La recette d'un jour

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Maxime sortit de son bain et prit sa serviette. Comme à l’accoutumée, il s’enveloppa dans la douceur du linge et s’assit sur le rebord de la baignoire. Il aimait ce moment. Ce moment où, sans frotter, l’eau allait passer doucement de sa peau à la serviette. En quelque sorte, cela l’obligeait à prendre son temps, et il en avait besoin. La même sensation de plénitude emplissait son esprit à chaque fois. Il oubliait alors sa journée de dur labeur, et cela le mettait dans de bonnes dispositions pour la soirée.

Demain, comme tous les jours, il se lèverait à 4h, et irait préparer du pain pour remplir les étals de sa boulangerie. Jusqu’à la fermeture de sa boutique à 19h, il ne s’accorderait qu’une courte sieste entre 14h et 15h, car il avait noté que les clients étaient timides à ce moment-là. Toujours les mêmes horaires, et toujours les mêmes pains. On venait d’ailleurs parfois de loin pour ses pains, car il les confectionnait avec les recettes que lui avait transmises son père, qui les tenait de son père avant lui. Maxime ne savait pas très bien de quand dataient ces recettes, mais il savait que la boutique était dans sa famille depuis sept générations.

A 20h, Maxime sortit de sa salle de bain, avec sur lui le même parfum qui lui avait été offert pour ses 20 ans. Il enfila ce qu’il mettait toujours pour sortir : son jean noir, son t-shirt gris, et sa veste noire. Un petit passage devant la glace avant de partir lui permit de vérifier son rasage. Maxime avait le visage carré et était rasé de près, car son père lui avait dit que c’était ainsi que devait être un boulanger. Il scruta sa coiffure de ses yeux marron, et jugea que ça irait pour ce soir. A 31 ans, Maxime était toujours un bel homme.

Il descendit les trois étages qui le séparaient de la rue, s’arrêta un moment devant la porte pour écouter les bruits de Perpignan, puis emprunta un chemin qu’il connaissait bien. Il empruntait tous les jours la petite rue piétonne qui démarrait devant son immeuble, de l’autre côté de la rue. Après 300 mètres, il tournait à droite sur encore 500 mètres, et arrivait au bar « La Jolie Table », qu’il appréciait pour son calme et pour une bière qu’il servait. En arrivant, le serveur lui indiqua d’un signe de tête que sa table était libre, et Maxime, tout sourire, alla s’y asseoir. Il appréciait cette place pour de multiples raisons. Juste au-dessus de lui, accrochée sur le mur, une applique lui procurait la lumière idéale pour lire le journal. De là, il avait également une vue d’ensemble sur la salle, et pouvait observer à sa guise tous les clients : habitués, occasionnels, ou de passage. Au cas où, il pouvait jeter son regard à travers une fenêtre pour regarder rapidement un passant. C’était là son passe-temps favori. Admirer les gens, se délecter de leurs mimiques, écouter quelques bribes de leurs discussions, et enfin, imaginer leurs vies. Leurs passés, leurs présents, et leurs futurs. Ce qui les avait conduit jusqu’ici, ce qu’ils faisaient ce soir, et ce qu’ils allaient réaliser demain.

Le serveur apporta un demi de la bière que Maxime prenait toujours, et lui posa le journal sur la table. Maxime le remercia, but une gorgée de bière, et commença la lecture du journal. Les articles nationaux d’abord, puis les locaux. Suivaient alors le sport et l’horoscope. Il n’était ni sportif, ni superstitieux, mais aimait se tenir au courant des prouesses des autres, et aimait comparer sa journée avec ce que l’horoscope avait annoncé le matin. Encore une fois, c’était raté.

Après son journal, Maxime plongea dans ses pensées tout en dégustant sa bière. C’était le moment de la journée où il pouvait penser également à son propre passé, à son propre présent, et à son propre futur.

Depuis quelques temps, chacun de ces instants l’emportait dans le futur, et il faisait toujours le même rêve. Il se voyait loin de sa ville, loin de son appartement, loin de sa boulangerie. Il s’imaginait tenir une petite boulangerie, près d’une plage, dans une petite ville portuaire comme Collioure, où il pourrait réaliser ses propres recettes et vendre ses brioches sur la plage. Il pourrait s’asseoir devant la mer, le soir, et observer les touristes.

Maxime soupira à grand bruit, et prit la dernière gorgée de bière que contenait le verre. Il fit un signe au serveur de mettre le demi sur sa note, et se leva pour quitter la table.

Il sentit alors une main lui agripper le bras et le tirer en arrière, le faisant retomber sur sa chaise. Une femme, assise sur la table voisine, lui fit alors un timide sourire.

« Excusez-moi… Je ne voulais pas vous brusquer… J’avais peur de vous voir partir… », dit-elle, non sans dissimuler le tremblotement de sa voix.

Maxime ne savait que répondre.

« Je… Je suis désolée… Je… », reprit-elle.

Puis, comme si elle avait répété la phrase des centaines de fois, l’inconnue parla alors d’une voix très posée, presque trop directe : « Je peux vous offrir une bière ? ».

Devant l’absence de réponse de Maxime, elle se tourna vers le bar et cria au serveur « Garçon ! Deux demis s’il vous plait ! De la même bière ! ».

Elle se retourna et regarda Maxime. Elle avait imaginé tant de situations possibles avant de prendre son courage à deux mains, mais aucune ne ressemblait à cela.

Elle comprendrait cependant très vite une chose très simple, mais très compliquée à la fois : elle venait de faire toute la différence.

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