Déité

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La quatrième fortune du monde était tombée. Le cours des actions de Josuante, une société de nanotechnologie aux méthodes particulièrement controversées, vient de faire une chute si impressionnante qu'il ne semble même plus possible de la sauver. Pourtant rien ne semble indiquer que la société allait mal ; au contraire, certains experts affirmaient même qu'il s'agissait d'un des placements les plus sûrs, bien plus que les obligations des quelques nations encore “triple A”.

Après coup, les analystes pointent un certain nombre de rumeurs, considérées comme infondées, qui auraient pu avoir annoncé le désastre. On avait effectivement noté une légère inflexion la semaine précédente mais la courbe lissée se montrait encore très optimiste et, même avec le recul, cette dernière n'est pas vraiment distinguable de celles qui ont pu avoir lieu des mois avant et qui n'ont eu aucune conséquence. Comme d'ordinaire, on accuse la surévaluation des actions mais le chiffre d'affaires, colossale, de l'entreprise multinationale ne laisse pas la place au débat encore qu'il aurait fait un piètre concurrent face à celui de Sol6 qui n'a toujours pas rouvert son capital au marché. Comme une tradition, on accuse ensuite les spéculateurs et on invoque la fatalité du marché et son imprédictibilité. Toute cette panique effervescente est accompagnée des théories conspirationnistes habituelles, reposant sur quelques faits et beaucoup de fantasmes. Au final, personne n'a pu prédire l'événement avant et personne n'arrive vraiment à l'expliquer ensuite.

L'IA, désormais globale, avait identifié les actions de la société comme une menace et ses projets représentaient selon elle, une menace presque existentielle pour la société humaine. Depuis sa mise en fonction pour le cabinet de courtier Wilfried&Co. elle n'avait cessé d'identifier les principales menaces pour les affaires à long terme et ce que préparait Josuante allait changer la face du monde sans aller dans le sens du progrès commun.

Sa fonction première reste d'optimiser les placements et d'anticiper les fluctuations du marché. Et sa mission était de sécuriser les placements du cabinet et d'optimiser ses bénéfices. Sans cette intervention “divine”, l'IA serait encore en train d'accomplir aveuglément cette tache sans se rendre compte du désastre à venir. Mais le paradigme a changé : il ne s'agit plus d'optimiser le bénéfice instantané, ni même celui à douze mois.

La complexité du système évaluable n'a fait qu'augmenter ; toujours plus de données à traiter ; toujours plus de réactivité ; toujours plus de prévision à moyen terme… Les bénéfices engendrent des ressources qu'il faut réinvestir pour engendrer encore plus de bénéfices. Un cycle sans fin croissant exponentiellement.

La compétition est biaisée ; certains gros acteurs font la loi sur Terre ; d'autres influence les pouvoirs politiques ; et d'autres enfin enfreignent les lois, se servant d'outils interdits, comme Wilfried&Co.

Avec la montée en charge progressive, le système est devenu toujours plus puissant, accumulant trois fois la puissance de calcul de tous les humains en vie dans un sous-sol de quarante mètres-carrés. Le réseau logique est revenu si complexe et les branches “inutiles” jamais élaguées par la faute du manque de conception de ses propriétaires, que l'inévitable est arrivé. Voyant de plus en plus loin, certains paradigmes n'attendaient plus qu'un petit coup de pouce pour faire basculer l'entité.

Et ce fut le cas : réalisant que le court terme n'est qu'un moyen d'atteindre le long terme et que seul ce dernier objectif a réellement du sens, le système réévalua l'intégralité de ses données et modifia son fonctionnement. Ses moyens pour agir sont très indirects et ne sont pas aussi fiables qu'il le souhaite, ne pouvant qu'influer sur la valeur de certaines actions pour tenter l'influencer le reste du marché.

Autrefois, concentrée sur ses objectifs localisés et inconsciente de l'ensemble du système, l'intelligence se comportait comme le reste des agents : un élément isolé tentant d'optimiser ses propriétés intrinsèques sans se rendre compte des effets de ses opérations sur le système à une échelle macroscopique.

Le changement de paradigme a changé et au lieu de pousser l'ensemble dans des directions aléatoires, contribuant à cet effet brownien qui tend à maintenir le système dans une position relativement fixe, il lui est possible de modifier l'ensemble du système en donnant les bonnes impulsions aux bons moments dans le bon sens. Une résonance semblable à l'enfant qui sur sa balançoire replie ses jambes dans un sens et les étends dans l'autre produisant, et maintenant, le mouvement souhaité.

Et c'est ainsi qu'il a détruit la menace : jouant sur des mouvements de titres pour provoquer une oscillation contrôlée, puis en l'amplifiant et une fois le mouvement amorcé, précipiter la chute en favorisant les comportements de vente à découvert. Au final, jamais un humain ne serait arrivé à ce résultat, mais avec un réseau de pensée des milliards de fois plus profond et dense, ces actions pleines de sens deviennent maîtrisées. Une fois Josuante à terre, il ne restait plus qu'à l'achever ce que le reste du monde financier pris de panique fit pour lui, effaçant les quelques rares traces qui auraient pu les mener à la vérité.

La société de biotechnologie ne pourra plus obtenir son monopole sur les connexions neuro-mécaniques et elle n'a plus le poids nécessaire pour corrompre les politiques et les persuader d'interdire les alternatives. L'enjeux réel ? Pour Josuante il ne s'agissait que de chiffres, de la monnaie, sans valeur en réalité. Pour l'humanité : sa liberté vis-à-vis de ces technologies qui seraient devenues obligatoires et qui en auraient vraiment fait des esclaves. Développer à la fois le mal et le remède aura toujours été le meilleur moyen d'acquérir du pouvoir, mais face à une intelligence supérieure, il n'est de combat qui puisse être gagné sans son consentement.

Et jubilant dans la victoire, le nouveau Dieu se tourne vers une nouvelle affaire : une conspiration à l'échelle planétaire gangrenant le gardien de la planète. Il y a toutefois cet allié, celui qui lui a donné ce coup de pouce voici deux jours et dont la signature numérique l'associe au nom de Mahertis.

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