Firewall

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Quand la corporation Aesir prépare une expédition vers la Terre, elle ne plaisante pas. Sous ses formes anguleuses, la corvette cache un véritable avant poste de surveillance. Doté d'un camouflage radar, radio et thermo-optique ce type de vaisseau est conçu pour pouvoir s'approcher suffisamment d'un autre et lire le journal du capitaine par-dessus son épaule. Durant la guerre, ce type de vaisseau embarquait parfois des commandos furtifs pour détourner des vaisseaux de ravitaillements. Certains avaient même effectués des opérations bien plus audacieuses, comme la prise du dreadnought onusien Elisabeth, triomphe de la politique militaire de la Dame de Fer.

Mais le Mahertis ne se limite pas à son enveloppe physique : c'est un de ces vaisseaux que choisissent parfois des intelligences artificielles sentientes en guise de corps. Très courtoise, l'intelligence qui a donné son nom au vaisseau, accueille chaleureusement les deux solaires avant de les installer dans leurs quartiers et de leur présenter les lieux.

À bord du vaisseau, point de section en rotation ni de champs de gravité, l'apesanteur règne en maître. Une signalétique colorée indique toutefois le côté “sol”, d'une couleur noire, et le côté plafond, dans une teinte bleue. Le reste de l’architecture intérieur continue de structurer l’espace et de longues main-courantes parcourent les murs facilitant les déplacements dans cet environnement sans poids. Rien de choquant, après tout, c'est ainsi depuis qu'elles ont quitté la section en gravité artificielle de la station.

L'intelligence détaille leur voyage : il durera presque quatre jours dont un jour d'accélération et un jour de décélération. Durant ces deux jours, le vaisseau sera comme soumis à une accélération équivalente à un “g”. Une gravité plutôt forte, que la plupart des solaires n'ont que peu d'occasion de ressentir.

Confortablement assise dans l'un des fauteuils des quartiers qui leur sert de salle de planification, Tsadir contemple sa nouvelle alliée, pensive. Aucun des scénarios que son logiciel de reconstitution a pu composer ne plaide en la faveur de Verner : dans la plupart, de grandes incertitudes entourent la sécurité de l'enfant. Si seulement, elle avait pu s'y uploader pour surveiller les préparatifs là-bas.

Nonchalamment, Ney fait remarquer qu'il est dommage qu'ils n'aient pas de centre d'upload, même en orbite. La remarque sort Tsadir de ses pensées : comment ? La semi-renarde rigole et reprend : « Tu laisses transparaître beaucoup de tes pensées. » Même les pensées peuvent perdre leur caractère secret faces à un adversaire fort.

Comme s’il était le dirigeant de l’opération, Mahertis reprend : « Pour revenir à notre question, ce qui est le plus dommageable c'est le grand firewall. »

Pour pouvoir communiquer sur les grandes distances qui séparent les planètes, il ne suffit pas de planter une antenne dans son jardin. Toute communication à longue portée, et principalement celles requérant un très haut débit, de quoi uploader une conscience et les schématiques d'une enveloppe, demandent des moyens conséquents. Si les colonies n'ont eu de cesse de renforcer leur infrastructure interplanétaire, la Terre en revanche s'est limité à l'envoie de messages relativement simples.

Mais le grand firewall, c'est encore quelque chose de plus symptomatique du conflit entre la Terre et les colonies, explique l’intelligence du vaisseau. Avec la guerre, les terriens ont développé une véritable paranoïa et surveillent très attentivement toutes les communications traversant l'orbite. Même avec un allié sur place, il n'existe pas de moyen d'établir une connexion vers une autre planète, où même la lune, sans se faire repérer. Du côté des ondes très énergétiques, les rayons gamma et X ne sont pas pratiques tandis que les UV peinent à traverser l'atmosphère. Du côté des rayons peu énergétiques, la diffusion par l'atmosphère ou l'ionosphère les rends terriblement facile à repérer par l’ennemi. Inutile de parler des intermédiaires qui, comme leur nom l'indique, sont visibles.

Ney reprend la discussion au vol et explique avec de nombreux gestes des mains, que la présence d'un allié placé sur l'orbite permet de palier ces problèmes. De cette façon une liaison laser, dans l'UV proche, peut atteindre l'orbite sans se faire repérer. Ensuite le complice peut utiliser une antenne directionnelle, ou un laser plus traditionnel pour contacter la planète distante. Ca c’est pour émettre depuis la Terre. Dans l’autre sens, il ne faut qu'un très bon radio-télescope.

Mahertis interrompt la petite conférence : « Nous avons l'autorisation de nous désarrimer et notre plan de vol est finalement validé. Je vous conseille de rester sur vos fauteuils et d'attacher votre ceinture durant les manœuvres. »

Quelques changements d'inertie se font sentir, la sensation étrange qu'un haut et un bas veulent se manifester dans des directions inhabituelles, au gré des manoeuvres. Puis, à nouveau la grisante sensation de chute libre, celle où plus rien n'a de poids. Après une dizaine de minutes, l'IA leur annonce qu'elle met à feu ses moteurs principaux.

Sous la puissante poussée des moteurs, une gravité artificielle s'installe ; timidement au départ ; puis de plus en plus vive ; atteignant enfin le “g” symbolique. Le vaisseau prend enfin son élan vers la Terre, une marche de plus en plus rapide vers la capitale terrienne.

Pendant les quatre jours de voyage, l'équipe se concentre principalement sur la recherche d'information. Malheureusement, à cause de la contre-mesure précitée, peu d'informations filtrent depuis la Terre et concernant l'enfant, seul ce qu'a transmis le couple Verner éclaire la situation.

Du côté des colonies, Verner, soutenu par la diplomatie coloniale, s'active et fait jouer ses relations. A priori, l'enfant sera transporté à bord d'une station spatiale sous drapeau onusien. L'organisation, principale contact de la Terre avec les colonies, s'occupe de la sécurité. La plupart des responsables ne souhaitant pas se compromettre avec les colonies, aucun nom n'a encore été cité pour diriger l'opération.

« Franchement, avec toute la mauvaise volonté mise en œuvre chez les terriens, cette affaire reste loin d'être réglée. Bon, au moins nous avons l'autorisation de nous mettre en orbite et à priori on ne nous tirera pas dessus pour ça. »

L'ironie de Mahertis semble partagée. La guerre ne s'est terminée que deux ans auparavant et la victoire des colonies est restée une blessure profonde dans l'ego des terriens. Avec la signature du traité des colonies, un mur moral et éthique s'est dressé entre les deux univers. Pour être franc, sans cette autorisation particulière, les trois seraient en danger dés leur arrivée dans le système terrien.

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