Le trésor du cimetière

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 Le lendemain matin au réveil, Annabelle trouva son front si rouge et si boursoufflé, qu’elle dût feindre une chute dans l’escalier pour ne pas éveiller les soupçons de ses parents. Comme des saignements au niveau de l’arcade s’ensuivirent, sa mère la pansa et la couvrit de baisers, comme elle savait si bien le faire. Quant à son père, M. Arch, lui s’agitait au-dessus de la gazinière et saupoudrait de poivre la dizaine d’œufs qu’il venait de faire cuire. D’habitude, cela représentait pour lui un simple petit déjeuner un peu frugal mais quand sa fille était attablée avec lui le matin, il lui en laissait volontiers la moitié. Oui, selon M. Arch, bien manger, avoir un ventre bien rempli, c’était déjà un grand pas vers cet idéal un peu fou que l’on appelle le bonheur !

— Mange Annabelle ! N’oublie pas, tu es belle, tu es intelligente mais sans des muscles et un système cardiovasculaire aguerris et en pleine santé, tu ne seras jamais que la moitié de toi même, lui disait-il en lui tendant bien souvent un fruit alors que la pauvre Annabelle peinait déjà à finir son assiette d’œufs brouillés. Ce matin-là pourtant, Annabelle, au grand plaisir de son père, en redemanda en tendant son assiette en sa direction.

 Un grand sourire parcourait son visage et par mimétisme, le visage de M. Arch se fendait d’un sourire équivalent, laissant apparaitre les mêmes fossettes. Elle avala ainsi deux assiettes entières d’œufs brouillés ainsi que deux pommes et une banane, sous la moustache et le regard admiratifs de son père. Les événements de la veille lui avaient creusé l’appétit et elle savait qu’il lui faudrait prendre des forces, pour affronter les dangers qui l’attendaient.

 A peine la table débarrassée, Annabelle demanda à ses parents la permission d’aller rejoindre Lucie chez elle. Et comme c’était le week-end, ses parents se montrèrent somme toute plus permissifs.

— Va te laver les dents, te doucher et ensuite seulement, tu pourras y aller, lui dit sa mère. Elle s’exécuta sans attendre, monta jusqu’à la salle de bains et en redescendit tout aussi vite. A la sortie de la douche, elle avait séché ses cheveux avec tant de hâte qu’ils étaient parfaitement ébouriffés. C’était comme si un pétard y avait explosé en plein centre ! Cela fit rire son père qui tordait sa moustache, assis devant son assiette toute chaude et encore fumante. Sa mère elle, fit une moue en haussant les épaules :

— Annabelle voyons ! Tu vas prendre froid trempée ainsi. Allez suis moi, je vais t’aider à te sécher et te coiffer. De toute façon, il est bien tôt pour aller chez Lucie. Elle doit prendre son petit déjeuner avec ses parents à cette heure-ci. Peut-être n’est-elle même pas encore levée.

 Pourtant elle l’était. Et cela Annabelle en était convaincue. Et lorsque sa maman eut assez frotté et brossé ses cheveux, elle céda finalement à sa demande et la laissa, à condition de revenir manger pour midi, rejoindre le domicile de Lucie.

 En arrivant sur place, Annabelle trouva Edgar et Henry assis sur un banc public en face de la maison de Lucie. Eux aussi étaient déjà au rendez-vous.

— Vous m’avez devancée ! Lucie n’est pas encore descendue ? lança gaiement Annabelle, que Edgar et Henry n’avaient pas encore remarquée.

— Tiens, salut Annabelle ! Non, pas encore ! On vous attendait justement, répondit Henry qui s’était retourné en direction d’Annabelle. Plus elle approchait, plus le sourire d’Henry s’élargissait. Plus elle approchait, plus le teint d’Edgar semblait virer au rouge. Les yeux d’Edgar balayaient le sol et comme il semblait très gêné, Henry comme souvent, se fit son intermédiaire et posa une main sur son épaule. Puis tout doucement, il l’obligea à relever la tête.

— Bonjour Edgar ! dit Annabelle, amusée de voir Edgar le colosse ainsi intimidé.

— Bonjour Annabelle, répondit timidement Edgar de sa voix tendre et suave qui paraissait si étrangère à son propre corps. Comme il n’était pas question pour Henry de laisser son copain dans l’embarras, il le suppléa et dit alors :

— Edgar t’est très reconnaissant de l’avoir soigné hier soir quand il saignait, tu sais !

 Les yeux d’Edgar, baignés de lumière, s’agitaient nerveusement et lorsqu'il trouva enfin le regard d’Annabelle, il resta parfaitement coi. Henry lui assénait des coups de coudes rapides et discrets pour le rappeler à l’ordre, puis entre ses dents, il lui dit tout bas, pensant tromper l’ouïe d’Annabelle :

— Mais donne-lui enfin, allez donne-lui !

 Et le visage d’Edgar se ranima tout à coup, comme si par ses paroles Henry venait de briser un sortilège de stupéfaction ! Timidement, Edgar s’exécuta et plongea sa grande et puissante main dans la poche de son pardessus. Il en tira un beau linge beige brodé et parfaitement plié en quatre. Très délicatement, car ses grosses mains faisaient vite ravage sur ce qu’elles touchaient, il déplia le linge qui laissait échapper des effluves florales et en tira une grande marguerite intacte, aux pétales de neige et au cœur d’or. Le visage d’Annabelle s’éclaira au-dessus de la silhouette de la fleur qui semblait un petit soleil et lorsque le bras tendu, Edgar offrit sa marguerite à Annabelle, il dit enfin :

— C’est pour toi… C’est gentil de m’avoir soigné hier. La plaie est complètement refermée, regarde !  

 Et tout comme la fleur, il présenta son front à Annabelle sur lequel s’étirait une petite cicatrice blanche. Annabelle, à qui l’on n’avait jamais offert de fleur, sourit comme qui voit la mer pour la première fois, accepta le cadeau qu’elle plaça dans ses cheveux et se pencha sur le front d’Edgar pour admirer son œuvre d’infirmière.

 Soudain, le battant d’une fenêtre grinça et quand elle s’ouvrit, Lucie apparut dans l’entrebâillement, semblant une souveraine éclairée par les rayons matinaux du soleil.

— Ah ! Vous voilà déjà tous là ! Vous auriez dû m’appeler ! Ne bougez pas, je descends !

 Et en moins de temps qu’il n’en faut pour soupirer, Lucie avait descendu les deux étages qui la séparaient de la porte d’entrée de sa maison et rejoint le groupe.

— Bien, maintenant que nous sommes tous là, si nous nous préparions pour ce soir ? proposa Henry qui s’était levé du banc et se tenait aux côtés de Lucie. Tous acquiescèrent et Lucie suggéra de fabriquer quelques armes, afin de pouvoir affronter ou du moins se défendre contre le fantôme du cimetière.

 Tous s’en furent vers le petit parc au cœur de la ville et dans un recoin, sous un arbre à l’abri des regards, ils s’assirent en tailleur derrière un gros marronnier. Comme Henry s’était emparé d’une pierre dont le bord aiguisé faisait une sorte de tranchant, il s’offrit de tailler des bâtons afin d’en faire des lances. Annabelle sélectionnait alors les meilleures branches d’arbre qu’Edgar avait ensuite soin d’arracher avec une simple extension de son bras. Lucie enfin, à l’aide de feuilles de marronnier et de sève, confectionnait un revêtement permettant une meilleure prise en main de la lance et une bonne protection contre les échardes. En unissant ainsi leurs efforts, ils fabriquèrent trois belles lances (car Edgar ne voulait pas manier d’arme) d’un mètre environ ainsi qu’un petit lance pierre, dont la création fut possible grâce à l’élastique à cheveux qui trainait dans la poche de Lucie. Quand tout fut terminé, ils cachèrent toutes leurs armes en bois dans le garage de Lucie, qui faisait une annexe à sa maison.

 Comme Annabelle avait promis à ses parents de rentrer pour midi, les quatre amis se séparèrent, après s’être donné rendez-vous à neuf heures trente du soir ici même, devant la maison de Lucie.

 Heureusement pour Annabelle, l’autorisation de dormir chez Lucie lui fut accordée et à sept heures, elle se rendit chez elle avec son petit sac à dos. Les parents de Lucie, monsieur et madame Doyle (qui étaient un peu plus âgés que ceux d’Annabelle) l’accueillirent chaleureusement et après le repas, jouèrent tout un moment au scrabble avec elles. Aux alentours de neuf heures, les parents de Lucie montrèrent les premiers signes de fatigue et après d’innombrables bâillements, décidèrent qu’il était temps pour eux de rejoindre leur lit. Annabelle et Lucie, elles aussi, montèrent jusqu’à leur chambre. Mais comme le soleil, toujours bien rond et bien chaud ne s’était pas encore enseveli dans les draps de l’horizon, les filles profitèrent de ses derniers rayons pour se lire des histoires à voix haute. Car il n’y avait qu’avec la lecture que les filles trouvaient un réel épanouissement. Entre les lignes, tout est suggéré, rien n’est péremptoire et l’esprit y trouve son compte. Plus elles lisaient et plus le monde extérieur leur semblait attrayant et sensé. En somme, ces séances de lecture partagées, forgeaient leurs futures vies d’adultes et leur donnaient le goût de la découverte, le goût de l’aventure ! On ne vieillit pas lorsqu’on s’émerveille, on grandit seulement.

 Aux alentours de neuf heures trente alors que le soleil entamait sa descente, Lucie et Annabelle aperçurent leurs deux amis qui avançaient avec précaution, d’arbre en arbre, jusqu’à s’arrêter à l’ombre d’un gros marronnier qui côtoyait la maison de Lucie. Depuis la fenêtre, elles firent un signe aux garçons auquel ils répondirent d’un geste de la main, puis elles s’emparèrent de leurs sacs à dos avant de quitter discrètement les lieux. Derrière l’arbre, elles retrouvèrent Henry et Edgar. Entre ses grands doigts, Edgar tenait une boîte à l’emballage doré.

— Un chocolat ? leur proposa-t-il

— On voulait partager cette boite de chocolats avec vous, pour nous donner un peu de baume au cœur avant de se retrouver à nouveau au beau milieu du cimetière, mais malheureusement Edgar en a déjà avalé les trois quarts. En cinq minutes, je précise, dit Henry qui lançait un regard désapprobateur à son binôme.

— Désolé, dit Edgar, penaud. Et déjà ses oreilles rougissaient.

 Lucie et Annabelle rirent à l’unisson et mangèrent le restant de chocolat avec un plaisir non dissimulé. Ils étaient très bons et c’est avec le cœur léger, léger et réchauffé par le chocolat fondant qui coulait dans leurs corps, qu’elles partirent avec leurs amis en direction du cimetière.

 Après avoir récupéré leurs armes artisanales dans le garage de Lucie, les quatre amis pressèrent le pas pour rejoindre le cimetière, passèrent devant la maison des « cannibales » en étouffant des rires et arrivèrent en un temps record au niveau de la grande et vieille église. Comme les grands épieux qu’ils portaient sur le dos ne leur permettaient pas de passer au travers du grillage, ils se délestèrent de leurs armes, les jetèrent de l’autre côté et s’engouffrèrent tour à tour à travers l’ouverture. Tous, sauf Edgar qui ne passait décidément pas et qui se résolut à se hisser par-dessus la grille, pour se laisser lourdement retomber de l’autre côté. Quand tous les quatre se tinrent côte à côte devant la porte d’entrée, un grand frisson les parcourut, un peu comme un choc électrique : porté par le vent, le son d’une voix sinistre leur parvenait… Une voix que tous crurent bien reconnaître.

— Le fantôme du cimetière… Il nous attend… murmura Annabelle.

 Ce fut Lucie qui pénétra en premier dans l’enceinte de l’église. Ce soir-là, un parfum de mort embaumait les lieux. Lucie, suivie de près par ses amis, marchait doucement, tout doucement, par peur d’éveiller le mal qui semblait somnoler ici.

 Dehors, la nuit et ses ténèbres étaient très denses. Pas même la lune, voilée dans sa quasi-intégralité, ne semblait à leurs côtés. Partout autour du cimetière régnait une odeur de fange et de sang et bien qu’il n’eût pas plu depuis plusieurs semaines, le sol semblait visqueux et l’on s’y enfonçait si l’on demeurait immobile trop longtemps. Aussi les quatre amis durent ils redoubler de prudence pour ne pas être engloutis par le terreau poisseux du cimetière. La voix s’était tue. On n’entendait plus rien, rien d’autre que le murmure solennel du silence. Parfois le son de leurs semelles qui s’enfonçaient dans le sol faisait bondir leurs cœurs dans leurs poitrines. Puis, comme leurs huit oreilles étaient à l’affût, tous entendirent un même son, le son étouffé du fer qui rencontre la terre. Avec la plus grande discrétion, tous en file indienne et les jambes fléchies, ils cherchèrent du regard la provenance de ce bruit.

 Comme ils sillonnaient entre les vieilles tombes défraichies, Lucie vit alors une petite lumière qui s’agitait dans les ténèbres ambiantes et qui tressaillait comme une luciole. Annabelle et Edgar crurent d’abord qu’il s’agissait des yeux du fantôme mais ils comprirent très vite qu’il n’était question que d’une lanterne, une lanterne que quelqu’un brandissait. Que quelqu’un brandissait au-dessus d’un grand trou, au-dessus d’une tombe. Le halo de lumière qu’émettait la lanterne aidant, les quatre amis discernèrent nettement l’homme qui la brandissait : Il portait une grande redingote noire ainsi qu’un chapeau haut de forme, les traits de son visage étaient sévères et agités, il semblait particulièrement inquiet. A ses côtés, ou plutôt à ses pieds, un autre homme creusait. Régulièrement, le sommet de sa pelle apparaissait par-delà le grand trou. Les deux hommes semblaient exténués. Peut-être creusaient-ils depuis des heures… Mais leur détermination sans faille finit par payer. L’homme au chapeau laissa tout à coup échapper un grand soupir de satisfaction et de soulagement. Six pieds sous terre, son camarade avait lâché la pelle et l’on entendait distinctement ses râles d’épuisement. Et soudain depuis le fond de la tombe, quelque chose se mit à luire, faiblement. C’était une lueur phosphorescente, irréelle, semblant naitre des profondeurs de la terre. Eclairé par cette bien étrange lueur, le visage de l’homme au chapeau semblait changer d’aspect. Quand son visage, jusqu’ici masqué de nuit et de ténèbres, rencontrait le fantastique halo vert, il semblait soudainement décrépir, comme brusquement marqué du sceau de la mort !

— Vite remonte là ! siffla entre ses dents l’homme au grand chapeau. Exténué, le malheureux pelleteur ne trouvait plus la force de se hisser hors du trou et n’avait de cesse de glisser à chaque tentative d’escalade.

— Des pilleurs de tombe ! murmura Henry

— Ah les misérables voleurs ! On ne peut pas les laisser faire ! murmura Lucie à son tour, qui semblait décidée à les empêcher d’accomplir leur forfait.

— Edgar ! il faut que tu les apostrophe, que tu les surprennes pour qu’ils s’enfuient sans demander leur reste » reprit Lucie qui ne voyait pas d’autre alternative pour mettre en fuite les voleurs.

— Tu rigoles j’espère ? s’exclama Henry tout bas avant de reprendre :

— Ils sont sûrement armés ! Et de revolvers je veux dire, ou de fusils ! C’est trop risqué, même pour Edgar ! Je veux bien qu’il soit costaud mais il n’est pas immortel pour autant ! Et puis de toute maniè… Mais Henry n’eut pas le temps de terminer sa phrase ! Edgar s’était levé et déjà, courrait en direction des deux hommes. Avec de grands yeux écarquillés où se mêlaient la stupeur et la frayeur, Henry, Annabelle et Lucie assistèrent impuissants à la colère d’Edgar qui s’improvisait justicier. Les bras levés, il courrait, le pas lourd un peu comme un géant de pierre en direction des deux pilleurs de tombe ! Et tout en courant vers eux, il criait :

— Partez ! Maraudeurs ! Funestes coquins ! Odieux truands ! Epouvantails mal empaillés ! Vieilles autruches déplumées ! Voleurs de bonbons ! Cow-boys du dimanche ! Harponneurs de poissons-rouges ! Mouches à formol ! Chapardeurs d’étoiles ! Euh… euh… Vandales !

 Ni la voix, ni les insultes proférées par Edgar n’inclinaient à la peur et pourtant, face à cette grande ombre qui fondait sur eux depuis les profondeurs du cimetière, les deux pilleurs de tombe furent pris d’un élan de panique. L’homme à la silhouette filiforme en perdit son chapeau, qu’il ramassa à toute hâte avant de s’enfuir sans un regard pour son collègue, sans même se retourner ! Le deuxième voyou, quant à lui, désespérait de pouvoir enfin se hisser hors de son trou. Pourtant, animés par la peur et l’adrénaline, l’intégralité de ses membres s’agitèrent bientôt comme les ailes d’une libellule et il grimpa la paroi de terre en une demi seconde, en se tortillant comme un lézard avant de partir en courant à son tour. Les deux brigands avaient fui et Edgar, haletant, se trouvait désormais seul au-dessus de l’énorme trou. Lorsqu’il jeta son regard dans la fosse, il fut ébloui par la lueur verte du trésor que dans leur fuite, les brigands avaient laissé tomber.

 Hébétés, Lucie, Annabelle et Henry restèrent immobiles, les yeux grands ouverts pendant plusieurs longues secondes avant de réaliser ce qui venait de se passer. Contre toute attente, Edgar avait bel et bien fait fuir les brigands ! Finalement, tous se redressèrent et s’empressèrent de rejoindre Edgar pour le congratuler.

— Bravo ! Bien joué Edgar ! A en juger par leur réaction, ils ont eu la peur de leur vie ! Entonna Annabelle.

— Je maintiens que c’était une mauvaise idée, il a eu de la chance mais ça aurait pu bien plus mal tourner ! s’exaspéra Henry en jetant des regards inquiets aux alentours.

— Oh ne sois pas si rabat joie ! Regarde, tout va bien ! Ça n’aurait pas pu mieux se passer au contraire ! Cela dit Edgar… Heureusement que tu es imposant parce que si tu n’avais dû compter que sur ta rhétorique, les deux bandits se seraient probablement tordus de rire ! Voleurs de bonbons… Je ne l’avais encore jamais entendue celle-là, ricanait Lucie.

 Mais impassible et parfaitement immobile, Edgar portait un regard fasciné sur ce qui gisait au fond de la tombe. Les autres aussi, ne tardèrent pas à remarquer la superbe lumière phosphorescente qui émanait du trou et tous se placèrent alors en cercle autour. Leurs yeux étaient tous empreints de cette lumière verte et personne ne consentait à dire mot. Pourtant, la curiosité prit le pas sur la volupté et Henry, sans un mot, sauta dans l’excavation. Lorsqu’il s’empara du trésor, la lumière faiblit tout aussitôt.

— Alors, qu’est-ce que c’est ? demanda Annabelle

— Je ne sais pas trop, je n’y vois rien ici, aidez-moi à remonter ! dit Henry qui avait plongé le trésor dans la poche de son pantalon. Edgar s’agenouilla au bord du trou, et tendit son bras vers Henry qui s’y accrocha fermement. Il le hissa d’un seul bras sur la terre ferme, sans effort, comme s’il eût s’agit d’une simple formalité. Mais on ne s’extasia pas devant la force d’Edgar.

 Tous couvaient du regard la chose qui luisait, là dans la poche d’Henry. Alors doucement, en tremblant un peu, Henry porta la main à sa poche et la délesta de ce qu’elle contenait. C’était un bijou, un collier, une sorte d’amulette. L’émeraude du bijou était d’une rare pureté et brillait d’une lueur dont seules les plus belles aurores boréales avaient le secret. L’émeraude était superbement taillée en forme de goutte, ou peut-être de larme. Au bijou était accrochée une chaine d’or d’une finesse irréprochable que des mains d’orfèvre avaient dû travailler avec passion, aussi s’agissait-il sûrement d’un collier ayant appartenu à quelqu’un de très riche. Mais si la qualité de la confection les émerveillait, ce qui subjuguait surtout Henry et ses amis, c’était la pierre, la sublime émeraude sertie dans la monture d’or. C’était une pierre comme on en avait jamais vue. Outre son extraordinaire lueur, sa singularité venait de ce qui semblait vivre en son sein même, enfermé derrière ses parois miroitantes. Il y flottait quelque chose dans un mouvement perpétuel, quelque chose de très blanc comme une étrange écume ou un filet de nuage cotonneux.

 Sans un mot, tous s’enivraient de la beauté radieuse et si mystérieuse de l’amulette. Même les éléments extérieurs, le vent, la terre, la lune ne semblaient pas insensibles aux charmes du bijou. Un halo argenté, éclairait à présent le cimetière. Puis une masse d’air qui s’était levée fit virevolter de petits monceaux de terre et de sable tout autour d’eux. La nature semblait chanter l’avénement du précieux bijou.

 Mais malheureusement, la présence des quatre amis n’était pas passée inaperçue… Quelqu’un approchait.

 Boitant, cliquetant, avec une démarche squelettique, le monstre, le fantôme du cimetière qu’ils avaient rencontré la veille, avançait dans leur direction. Trop absorbés par l’amulette, ils ne l’avaient pas entendu approcher… Vêtu de hardes sales et lacérées, il se tenait en face d’eux et leur tendit son grand bras maigre aux ongles jaunis, avant d’ouvrir sa main décharnée.

— Ça suffit les gosses, fini de jouer maintenant. Donnez-moi ça voulez-vous, allons, en vitesse ! dit-il alors d’une voix un peu rauque mais tout à fait humaine. Sur sa vieille salopette sale était épinglé un badge sur lequel on pouvait lire « Sam, gardien ».

 Le gardien ! Celui qu’ils croyaient être un fantôme n’était autre que Sam, le gardien des lieux, l’employé municipal. Le vieil homme était dans un triste état ! Pourtant bel et bien vivant, il était aussi blanc et décharné que les morts dont il avait la garde. Sam avait vu l’amulette et immobile, le bras tendu, il semblait attendre qu’Henry lui confie.

— Je vous rappelle que vous n’avez rien à faire ici. Allons mon garçon donne-moi ça ! Plus vite que ça ! reprit-il.

 Sam respirait difficilement et tenait son bras droit derrière le dos, semblant cacher quelque chose. Sous le regard de ses amis inquiets et pétrifiés, Henry d’une main tremblante, tendait le bijou vers Sam. Mais dans son esprit flottèrent alors les terribles paroles que le gardien avait prononcées la veille ! Et il se souvint des menaces de mort proférées à leur égard. Dès lors, Henry réalisa que s’il donnait l’amulette au gardien, plus rien ne l’empêcherait de se débarrasser d’eux. Alors il fit un pas en arrière, fourra l‘amulette dans sa poche à la vitesse de l’éclair et jeta un regard circulaire à ses trois camarades avant de leur crier :

— Vite, courrez ! On s’en va, maintenant !

 Instantanément, tous coururent alors à en perdre haleine. Mais le gardien, qui souhaitait plus que tout faire main basse sur le bijou, les poursuivait en agitant une grande serpe rouillée au-dessus de sa tête.

— Revenez sales gosses ! Que je vous déleste de vos têtes trop creuses ! hurlait-il en les poursuivant.

— Allez, foncez, courrez jusqu’à la sortie ! criait Henry à ses amis.

 A toute vitesse, ils courraient et louvoyaient entre les pierres tombales, espérant semer le gardien du cimetière. Mais malgré son apparente infirmité, il se déplaçait avec aisance et grâce à sa familiarité absolue avec les lieux, empruntait des raccourcis et gagnait peu à peu du terrain. Bientôt, tous entendirent le son sa grande serpe qui fendait l’air et qui semblait prête à s’abattre sur leurs nuques. Petit à petit le gardien les rattrapait… Ils voulaient accélérer la cadence mais le sol mou et fangeux les en empêchait. Et comme ils semblaient plus courir vers leur perte que vers leur salut, Lucie tenta le tout pour le tout et espérant pouvoir tirer profit des ténèbres ambiantes, s’arma de la lance qu’elle portait toujours derrière le dos et la coinça rapidement entre deux tombes, à dix centimètres du sol. Sans prendre le temps de vérifier la solidité de son piège, elle poursuivit sa course et approchait de la grille d’entrée, où ses amis se trouvaient déjà.

  Il y eut alors un bruit sourd, les imprécations du gardien cessèrent et l’on entendit quelque chose s’écraser au sol et s’enfoncer dans la boue. Le piège de Lucie avait marché à merveille. Le gardien s’était pris les pieds dans la lance, avait chuté et gisait au sol, vociférant à présent tout un tas d’insultes qui suppléaient ses jambes. Profitant de cette aubaine, Lucie et ses amis continuèrent leur course et bientôt, hors de portée de Sam, furent sauvés. Ce n’est que lorsqu’ils baignèrent tous sous la lueur jaune d’un réverbère de la rue du Graal, qu’ils s’arrêtèrent de courir et prirent un repos mérité. Edgar et Henry, hors d’haleine et le dos courbé éprouvaient quelques difficultés à retrouver leur souffle. Annabelle et Lucie, elles, plus endurantes que les garçons, s’appuyèrent contre le réverbère mais restaient à l’affût du gardien. Et c’est à ce moment, alors que l’on n’entendait rien d’autre que le chant des grillons et la respiration saccadée d’Edgar et d’Henry, qu’un cri, un horrible cri où se mêlaient douleur et agonie retentit au loin, déchirant la nuit. C’était le hurlement du gardien. Il résonna encore dans l’air l’espace de quelques secondes, puis s’évanouit à jamais.

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