Et pourtant je crie

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Je m'appelle Zélophe.

Je déteste ce prénom, j'ignore pourquoi mes parents ont choisi celui-ci.

Des fois je mens : "Harry" ou "Jean" devient alors mon nouveau nom l'espace d'un instant, le temps d'une discussion.

D'autres fois, je dis que je m'appelle Zélophe, et que j'ignore pourquoi mes parents ont choisi ce prénom.

Je passe souvent mes soirées au Bancomana, ce vieux bar miteux qui fait l'angle, collé à l'enseigne de ce garagiste que tout le monde évite, car tout le monde le trouve avare et de mauvaise foi. Mais après ces longues journées à traiter des milliers de devis et à répondre au téléphone dans ce bureau si étroit, ce verre de whisky dont j'ignore le nom et la provenance me procure le plus grand bien.

Je parle souvent avec la serveuse du Bancomana, Giselle.

Giselle n'est pas très belle, c'est certain. Mais elle m'écoute. Je lui parle de mon bureau, que mon patron a collé entre deux murs au fond du couloir. Quand je consulte ces devis, mes deux coudes frottent la peinture blanche écaillée des deux parois, et je me retrouve souvent avec des petits morceaux de plâtre collés sur la peau en rentrant chez moi. Mais l'exclusion, je m'en fiche.

Au moins au Bancomana, Giselle m'écoute. Mais ce soir elle n'est pas là. A la place, cette femme que je n'avais jamais vu avant. Une grande femme, assez mince. De longs cheveux lisses noirs de jais tombaient devant son visage. Sa peau était blanche, presque aussi pâle que le plâtre des murs du bureau et elle portait une chemise noire. Elle avait réajusté son col et parfaitement serré son noeud de cravate. Derrière le bar, je demande un whisky, la voix tremblotante, intimidé par cette inconnue qui avait remplacé Giselle.

Elle s'empare d'une bouteille de whisky et sans attendre verse son contenu dans un verre rempli de glaçons. J'osais à peine lancer la discussion, j'étais époustouflé par sa beauté saisissante, mais aussi terrifié par sa mystérieuse prestance.

Sans dire un mot, je décide alors de rentrer chez moi, le verre terminé. Je me faufile entre les tabourets et les alcooliques du quartier, puis pars en direction de la sortie. Un épais nuage de fumée blanche s'échappe du bar dès que j'ouvre la porte. Je prends une longue inspiration et emplis mes poumons de l'air impur de la ville, les pots d'échappements, les feux de cheminées, les boulangeries, les portes qui grinçent, les chats de gouttière qui feulent, le bruit. Cette ville dégorge de crasse qui colle à la peau et s'ancre dans votre épiderme pour l'éternité.

C'est seulement une fois rentré chez moi et allongé dans mon lit que j'entends quelqu'un frapper. Le bois de la porte craque sous les coups de phalanges répétés.

J'ouvre la porte, et je vois cette femme, la serveuse du Bancomana. Timidement, je l'invite à entrer, malgré mon accoutrement ridicule. Accueillir une femme en pyjama, même à une heure du matin, cela devrait être interdit. Elle avance de quelques pas, mais reste debout, figée, devant moi. Je lui propose un verre d'eau, un café, mais elle refuse d'un simple geste de la main. Alors que je n'avais pas entendu un seul son sortir de sa bouche, elle prononce quelques mots en articulant clairement. Au début je n'ai pas cru à ce qu'elle m'avait dit, mais au fur et à mesure que je lui posais des questions, je compris que son silence me hurlait de m'enfuir. Pendant plusieurs minutes, je l'interroge comme un vulgaire inspecteur à la recherche du meurtrier de son amante. Mais la femme se terre dans un silence infini. Je pouvais presque percevoir ce silence, sombre et obscur, froid et sec.

Glacial.

J'ai tellement de questions.

Après un long moment à plonger son regard dans le mien, elle décide de me tendre un petit objet plat en métal, et quand je le saisis, elle le lâche et opère un demi-tour, sans prévenir.

Je ferme la porte, et observe l'objet en métal. J'aperçois des gravures, et en plissant les yeux, devine les inscriptions : "Giselle Demänner, 1958 - 2024".

Un sentiment d'effroi commence à prendre possession de mes pensées, je sens des frissons parcourir mon échine. Ma gorge se noue et je repense aux mots de cette femme :

"Je suis venue chercher Giselle. Mais ton tour n'est pas venu, Zélophe. J'ai besoin de toi demain."

Je déteste ce prénom.

Il était clair, à présent, que même la Mort refusait de m'accueillir maintenant.

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