L'envol

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Dring ------Dring------Dring!

 

 " Qu'est ce qui se passe? Je suis où?" 

Ces mots rompent le silence et accompagnent la sonnerie "vintage" qui le réveille en sursaut.

En plus du son, le portable vibre, agité sur la table de nuit comme un poisson hors de l'eau. Au dehors, la ville ne dort que d'un œil au rythme de ses oiseaux de nuit. Il est minuit. Il regarde l’écran : c'est un appel de sa messagerie.

 

"Vous avez un nouveau message. Jeudi à zéro heure une :

- Vous allez mourir ce matin."

 

Encore à moitié endormi, il distingue le ton saccadé d'une voie féminine enregistrée, comme celle des GPS de voiture. Il appui sur la touche 2 :

 "Message supprimé".

 

Il s'assoie sur le bord du lit et regarde par la fenêtre les arbres du square ployer sous le vent. Il se demandait quand cela arriverai. C'est donc demain!

Il ne trouvera plus le sommeil cette nuit, il le sait. Il se rallonge et fixe l'obscurité de sa chambre. Des lignes lumineuses ondulent sur les murs sombres comme des aurores boréales; sans doute a t il changé de position trop vite. Le phénomène de tachypsychie, de « pensée rapide » s'installe, il en a l'habitude : au seuil de la vigilance, entre veille et sommeil, les idées s’enchaînent à toute allure, mêlant rêves et souvenirs en d'improbables associations. Dans cet ensemble surréaliste, un sourire aux lèvres, il glisse à travers sa nuit hachée jusqu'au réveil de 6h.

Une douche bien chaude pour laver son esprit des dernières visions tenaces, un saut dans ses habits préparés la veille, un café noir et quelques biscottes. L’habitude.

Le voilà prêt à affronter le grondement de la ville qui s’éveille.

Il jette un dernier coup d’œil par sa porte entrouverte, un regard volé sur l'intérieur de son appartement à presque vide, mutique, qui disparaît déjà.

 

Ce chemin qui l’emmène à son bureau il le connait par cœur. Même aveugle il trouverait sa route : le trottoir glissant où l’on respire toutes ces odeurs désagréables, passage devant le kiosque à journaux, bouche d'entrée du métro, escalier menant dans cette seconde ville souterraine, accrochée comme une ombre à son modèle, couloir à droite, escalier à gauche, le rugissement du train qui ralenti dans le brouhaha des anonymes. Un "clac" suivi d'un roulement, la porte de la rame s'ouvre. A contrecœur on se serre les uns contre autres. La porte se referme. Petite sirène puis roulis des wagons ondulant comme un serpent dans un terrier de souris. Plusieurs stations plus loin après 15 minutes qui paraissent une éternité: il descend. Marche rapide pour s'extraire de ce monde pavé de faïences blanches, aller chercher la lumière, l'oxygène en surface, comme un plongeur en apnée qui remonte respirer.

 

La première image qui lui apparaît une fois sortie c'est cet immeuble dans lequel il travaille. Ce matin le soleil jette ses rayons et fait briller les fenêtres des derniers étages qui se détachent sur ce ciel bleu limpide. 

Il à l'air moins vide cet immeuble aujourd'hui. Hall d'entrée, salut de la tête presque imperceptible au vigile, ascenseur, 7 eme étage, ding la porte s'ouvre.

 

Il arrive à son bureau après être passé devant la secrétaire tirée à quatre épingles, un casque sur la tête, saluant mécaniquement les arrivants tout en répondant au téléphone. Il pourrait bien s'agir d'un automate auquel on change la tenue chaque jour.

 

Installé à son bureau il allume son ordinateur. 18 mails non lus. Des requêtes de ses supérieurs, du genre « à faire aujourd’hui pour hier » : il à l'habitude.

Un mail reçu d'un destinataire inconnu : "Vous allez mourir ce matin." Un sourire amusé sur le visage, il sent un léger frisson le parcourir, comme de l’excitation, de l’impatience.

Il ouvre un nouveau message et commence à écrire. Après un début tâtonnant, la cadence de frappe augmente, les mots jaillissent le long de cette route imaginaire : cerveau - nerfs - muscles - doigts - clavier - écran.

Quelques lignes closent par des points de suspension. Il valide l'envoi différé de ce mail à l'ensemble de son carnet d'adresse. Il regarde la porte de son placard légèrement entre-ouverte, une sangle de sac à dos dépasse. Il est prêt!

 

10h30 : l'heure de la pause café! Tous ses collègues s'agglutinent autour de la machine, même le mannequin d'accueil qui a tout de même gardé son casque! Carte magnétique autour du cou, tous habillés en blanc, noir ou gris, ils s'empressent de prendre leur gobelet de café. Se souviennent-ils encore du vrai goût du café?

 

Affairés à échanger des banalités sur la météo ou les premières pages des journaux gratuits qu'ils ont lus en venant, ils ne s'aperçoivent pas qu'il s'en va. Il prend l'escalier et descend vers le hall. Il passe la porte-tambour et allonge le pas en direction de la station de métro. En chemin il admire le ciel bleu et s'enivre de lumière. Le train est presque vide et semble sautiller sur les voies. Il l'emmène à l'aéroport. Arrivé à destination, Il fait face au grand tableau lumineux des vols au départ. On dirait un feu d’artifice dans un ciel d'été. Il ferme les yeux, respire profondément. Il regarde sa montre. Il sait que son message est envoyé à l'instant même à tous ses contacts ; ponctualité de l'informatique.

 

"Bonjour à tous,

 

Excusez-moi pour cette défaillance, mais je n'y arrivais plus.

Ces quotidiens copier-coller, cette vie dépourvue de sens, cet état de prisonnier volontaire : c'en était trop.

J'ai besoin d'espace et de liberté.

Ne vous inquiétez pas pour moi, je trouverai un meilleur chemin...

 

Sylvain"

 

En pièce jointe sa lettre de démission et une adresse de boite postale pour y envoyer son dernier salaire.

 

Il est aisé d'imaginer l'agitation dans l'entreprise, la ruée vers son bureau, la découverte de l'inquiétant mail reçu sans destinataire, les milles interrogations qui fusent dans toutes les têtes : Il ne s’est pas suicidé quand même? Pourtant il n'avait pas l'air dépressif? T’as déjà parlé avec lui toi ? Au fond on ne le connaissait pas Sylvain?...

 

Ce curieux mail retrouvé dans sa messagerie, oiseau de mauvais augure ou blague stupide surprendra tout le monde mais Sylvain, lui, l’attendait. Il y a 6 mois son quotidien gris, mécanique et déshumanisé a fait une pause dans les bras de Louise, lors d’une semaine de congés. Une rencontre imprévue au jardin botanique où sylvain va se ressourcer sous les marronniers et les platanes centenaires, des regards timides, des échanges de banalités, mais comme une évidence cette attraction, quelque chose de magnétique. Puis la découverte de l'autre loin des convenances, de la morale, sans retenue. Une plongée sincère dans cette relation amicale agréable vite devenue plus intime. Une nouvelle bulle de liberté où ils ont construits ce troisième être, bien plus riche que la somme de leurs individualités. Deux âmes sœurs esseulées, errant à travers le monde qui se retrouve par la magie du hasard. 

 

Cette expression "vous allez mourir ce matin" est la sienne, chuchotée sur l'oreiller dans la douceur de leur dernière nuit ensemble : 

 

"Un matin Sylvain tu vas mourir, j'en suis sûr! Pas mourir au sens où tu l'entends mais mourir comme le ferait une chenille dans sa chrysalide, comme le phénix de la légende qui s'éveille de ses cendres pour une nouvelle vie. Tu te lèveras comme d'habitude et  tu trouveras ton quotidien étriqué, tu étoufferas comme à court d'oxygène. Ce jour là tu accepteras ta nature profonde qui cherche à percer à travers les conventions pour vibrer en harmonie avec le monde.

Ce jour là je serai libre moi aussi, libre pour toi, libre d'écouter le chant du monde à tes côtés. 

Laisse-moi juste un peu de temps. Tiens-toi prêt et si tu le souhaites nous partirons ensemble. Nous vivrons tous les deux dans le présent, pleinement conscient, comme réveillés après des années de léthargie."

 

Elle est parti au petit matin alors qu'il dormait encore, sans mot, sans adresse ni numéro où la joindre.

 

Envahit par des vagues de colère, d'incompréhension et de tristesse, il a mis du temps avant de faire le calme en lui. Puis progressivement une sérénité, une confiance c’est imposée. Il a voulu croire en elle, croire en son message plein d'un espoir de fou. Il a préparé son sac à dos avec tout l'inconnu possible et l'a gardé dans son bureau jusqu'à ce jour.

 

Assis devant le tableau lumineux, sylvain visite le monde : Denver, Mexico, Londres, Le Caire, …Il devine à droite une silhouette, encore lointaine. Une femme, qui porte un gros sac à dos de randonnée. Elle se rapproche mais devient floue. Les yeux de Sylvain s’emplissent de larmes qui coulent sur ses joues et contournent de chaque côté le coin de ses lèvres étirées en un merveilleux sourire.

Quelques formalités d'usage (enregistrement, bagages, sécurité) et ils s'assoient dans  l’avion

A l'heure prévu l’oiseau de métal s'envole direction la liberté. Sylvain regarde sa montre une dernière fois avant de la ranger devant lui dans le filet porte-revue. Il n'en aura plus besoin.

Sa vie ne sera plus rythmée par un réveil, une montre ou une horloge mais par les battements de cœur qu’il perçoit dans la main qu’il serre.

 

AmourContemporain
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Commentaires & Discussions

L'envolChapitre1 message | 8 ans

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