Celle déchirée par la culpabilité

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  • Jorik est décédé en 841 et aucun enfant n’est né pendant cette année-là…
  • Et Luna étant la plus jeune, elle a sûrement dû en hériter, devina-t-il sans grande difficulté.

Jetant la photographie d’un coup sec, Alon fut surprit par la réaction de Lila. Elle jura, frappa une chaise d’un coup de pied et souffla bruyamment, terminant sa mise en scène d’un coup de poing sur la table. Son cœur s’alarma alors que sa respiration se saccada doucement.

Alon l’observa en silence, les bras croisés, analysa ses faits et gestes et ne put que conclure que l’angoisse prit possession de son corps. La culpabilité, sans doute. Lila aurait tout donné pour que plus personne de sa vie ne traverse ce chemin parsemé de souffrance et de douleur, qu’ils avaient jadis emprunté.

  • Elle ne mérite pas ça, souffla-t-elle finalement.
  • Ne mérite pas quoi ?
  • Cette putain de vie !

Elle hurla pour la première fois. Son regard en larmes et son menton tremblant comme une feuille.

  • Fuir, courir, mourir, fuir, courir et encore mourir ! Mon destin ne me laissera donc jamais en paix ! J’ai perdu ma famille, ma vie, mon pays, mes compagnons, qu’est-ce qu’il faut de plus… Ils sont morts par ma faute, tous… à cause de ma faiblesse, de mon manque d’expérience. Ça leur a valu leur vie…
  • Parle-moi d’eux, demanda Alon qui se positionna près d’elle.

Sa soudaine requête la fit taire un instant.

  • De ta vie, je suis sûre que tu as vécu des moments heureux avec eux.

Sa mémoire se mit en marche, à la recherche de ces instants enfouis quelque part entre ses souvenirs les plus sombres. Quant à Alon, il continua sa tâche comme si de rien n’était.

  • C’était un jour de pluie, entama Lila en fixant un point invisible. Après un combat acharné, Gwendal s’était blessé et Seylan voulait le soigner. Mais fier et macho comme il était, il refusait qu’elle porte une main sur lui. Pourtant, Seylan était une guérisseuse hors pair ! Avec sa gentillesse et sa délicatesse, ses soins laissaient toujours cet effet de bien-être. Mais Gwendal restait sur sa position et hurlait haut et fort qu’un homme n’avait pas besoin de l’aide d’un médecin, et encore moins une femme. A ce moment-là, héhé, Seylan l’avait frappé sur sa blessure et je peux te dire que son cri valait plus que dix hommes !

Son rire rendit l’atmosphère moins froide. Alon esquissa un simple sourire.

  • Tout le monde avait ri, soupira-t-elle. Même Jorik et Alistair, les plus réservés du groupe. Nous étions encore douze, à l’époque. J’ai l’impression que c’était hier…

Son expression se crispa de douleur et l’envie de pleurer lui revint. Son sourire disparut, Lila ressassa ces douze ans d’exil et être la seule survivante du groupe lui laissa un goût amer.

  • Pourquoi ne suis-je tout simplement pas morte, comme les autres ? Je me le suis toujours demandée. Ça aurait pu être Rozen, lui qui est tout puissant. Ou Keith, ce cher tacticien. Ou peut-être même Malvina, c’était une femme forte, mais tellement fourbe…
  • Cesse de te morfondre, la coupa-t-il en lui tendant le dossier enfin terminé. La vie t’a donnée une seconde chance, saisis-la.
  • La vie ? dit-elle en prenant les documents, elle le feuilleta rapidement. La vie m’a ôtée des personnes que je chérissais beaucoup, des personnes qui donnaient un sens à la mienne. La vie les a tous tués sous mes yeux et elle m’a épargnée. Moi, une moins que rien. Je n’ai rien pu faire avec mon pouvoir, alors imagine-moi sans ! Oui, je veux vivre en fermant les yeux sur toutes ces conséquences qui m’ont permis de respirer encore, mais je n’y arrive pas… La culpabilité me ronge, me détruit à petit feu. Elle ne se tait pas.
  • Tu te l’infliges.
  • Parce qu’il le faut. Parce que si je ne le fais pas, le murmure qui me susurre de me réjouir de ma survie éclatera. Ne serait-ce pas injuste ? D’oublier et de vivre simplement ?

Les sanglots la firent hoqueter tout au long de son récit, reniflant nonchalamment, Lila ne quitta pas les yeux d’Alon qui n’exprimèrent que pitié. Un regard qu’elle n’apprécia pas. Séchant ses larmes d’un revers de la main, Lila s’apprêta à quitter les lieux.

  • L’oubli n’est pas un crime. Parfois, il faut oublier pour mieux avancer. Lâche-toi, respire, tu es la seule à autant te juger. Ouvre les yeux et remarque ceux qu’il te reste, de camarades. Parle-leur et tu verras que l’avenir n’est pas si effrayant que ça.
  • Merci, Alon, sourit-elle, je te revaudrais.
  • Tâche de rester en vie.

Pour simple réponse, Lila de Glasmartre hocha de la tête et disparut dans un mirage. Quant à Alon Elric, il soupira de lassitude et souhaita ardemment la discrétion de la jeune femme. La divulgation de ses objectifs fut grande, bien trop grande pour qu’elle y arrive seule, pensa-t-il en s’asseyant sur le bout de la table. Ses doigts jouèrent avec le marque-page du carnet qu’elle lui avait laissé ; un carnet bien trop précieux pour le garder sur elle.

  • J’espère que tu fais le bon choix, chuchota le bibliothécaire avant de reprendre la routine de ses tâches.

Essoufflée, Lund Lund trébucha en reculant. Une douleur aiguë bouillonna tout autour de son crâne. Sa respiration rapide, elle crut perdre connaissance, mais tint bon le temps qu’Alon reprenne ses esprits. Quel fut son soulagement à la vue du mouvement de ses paupières. Luna se leva difficilement, ses mains massant sa tête de manière frénétique.

  • C’est l’effet secondaire de ton pouvoir, l’informa-t-il. Seul le repos peut calmer la douleur.
  • C’est ton savoir qui te l’a dit, ou ton gène ?
  • Les deux ? Grâce à vous deux, ma connaissance en la matière s’approfondit de plus en plus.
  • En espérant que ce soit un argument fiable à sa majesté. Il va être dur à convaincre
  • Je compte sur toi et tes talents de persuasion.

Ils partagèrent un sourire et sans un mot de plus, Luna prit congé. Elle tituba le long du couloir, sa crainte de ne pouvoir arriver en bonne forme à la salle d’interrogation de Lila la rongea dans un coin de sa tête.

Lila tomba à ras le sol. Des gémissements de douleur brisèrent le silence de la pièce, tandis que du sang dégoulina de son dos meurtri. Un fervent partisan de Prest Yogh lui avait retiré son armure et l’avait fouettée une vingtaine de fois, sous les ordres de sa hiérarchie. L’Anakrit s’avança d’un pas lent, ses yeux fixés sur son calepin. Il retint les mèches sauvages de Lila et tira assez pour qu’elle relève la tête.

Le nez cassé, les lèvres écorchées et les joues enflées, seul son regard garda cette lueur de colère.

  • Décidée à parler ?
  • Je te tuerai, menaça-t-elle entre deux souffles.

La bouche de Prest se déforma en moue, secoua sa tête et la rejeta d’un geste sec.

Lila maudit sa vulnérabilité et la confiance promise à Luna. A cet instant, la véracité de ses paroles ne lui parut que factice. Sa loyauté envers sa majesté Amaël de Val incommensurable, elle ne le trahirait pas pour ses beaux yeux, ni pour ses défunts camarades. Les poings serrés, Lila cracha de la salive, mélangée à du sang, et tenta de se redresser.

  • Tu peux être faible d’esprit, mais ton endurance m’exaspère ! commenta Prest en ébouriffant sa tignasse mal coiffée. Ça va faire deux jours qu’on est là-dessus, tu peux pas m’aider ?
  • Va te faire foutre.
  • Ta langue n’est jamais emmêlée quand tu injures. Quelle femme vulgaire !
  • Ecoute-moi bien, Prest Yogh, dit-elle en s’aidant de la table. Une fois sortie de ce coin perdu, je te jure que je t’égorgerai, décapiterai et donnerai tes restes aux chiens ! Et je ferai en sorte que ton bourrin n’érige plus jamais.
  • Laisse-le en dehors de ça. Les cris de douleurs l’attirent et les tiens lui donnent l’effet d’un aphrodisiaque, haha ! Maintenant, dis-moi où se trouve Donovan ?
  • Dans le cul de ta mère.

Prest haussa les épaules et fit signe à son soldat de finir le travail. Ce dernier saisit Lila par le col, la plaqua contre la table et releva sa robe. Ses fesses endolories par les coups réussirent à gonfler sa virilité. Il lécha la poignée de son fouet et se prépara à la prendre une énième fois.

On toqua à la porte.

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