Celui qui cacha un secret

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Lila de Glasmartre courut durant des minutes et des minutes. Une fois à l’abri des regards, sur une colline non loin du palais, elle reprit son souffle. Sa tentative de feuilleter le dossier fut de courte durée ; Corry lui tomba dessus. Lâchant les documents au sol, elle roula quelques secondes avant que le choc ne se dissipe. Elle se releva délicatement et le toisa. Corry Arthus, membre de la quatrième division, était un homme que personne ne souhaitait combattre. De par sa nature réservée, sa discrétion lui attribua le titre du meilleur espion de la promotion. Bien que ses missions ne consistent qu’à l’infiltration, ses sens affutés faisaient de lui un adversaire redoutable.

Sans crier gare, Corry se jeta sur elle encore une fois, dagues en mains. Lila para les lames par ses petits sabres et tenta un coup au ventre. Il l’évita avec souplesse, mais n’eut pas le temps de souffler qu’il dût esquiver une autre attaque. L’espion l’observa le temps d’un instant, cependant, de par sa posture offensive et son regard flamboyant, il eut des sueurs froides. Une première pour Corry. L’instauration de la peur était d’habitude son point fort, mais cette femme réussissait à le déstabiliser au point de croire à sa propre perte. Chassant ces pensées, il souffla un bon coup avant de reprendre du poil de la bête.

Sa poigne se resserra sur son arme, tandis qu’il se redressa d’un bond. Isolé de tout regard, au fond de la sombreur de la nuit, l’entrechoquement des armes brisa le silence. Le combat dura plusieurs minutes sans l’once de fatigue. Toutefois, bien que la souplesse de Lila l’aide à esquiver un bon nombre d’attaques, Corry lui faisait perdre un temps précieux, songea-t-elle. Bondissant à quelques mètres de lui, elle cacha ses sabres dans leurs fourreaux et ferma ses yeux un instant. Corry saisit cette opportunité et ne se fit pas prier ; il égratigna ses bras et blessa ses cuisses, mais Lila ne réagit pas. Les paupières toujours closes, il la fixa une fraction de seconde avant de prendre de l’élan, accourir vers elle et n’eut aucune pitié à lui jeter sa dague droit dans le crâne.


Lequel a-t-elle volé ? demanda subitement Amaël de Val à Alon Elric.

  • Je l’ignore, mon seigneur.
  • Ne fais pas l'idiot. Cherche. Ta capacité étrange ne m’est pas inconnue. Je t’ai vu à l’œuvre quand grand-père était malade. Fais-le, tout de suite !

Seul un « Ah » traversa lui traversa l’esprit.

Dernier survivant de son clan et âgé de quarante ans, Alon Elric occupait le poste de bibliothécaire depuis déjà dix ans. Un métier qu’il appréciait grandement, grâce à sa paix et le silence du bâtiment. Depuis la guerre des Cinq Nations, il ne supportait plus la vue du sang et les cris stridents des mourants ; « une boucherie » désignait cette période dans sa vie. Son témoignage à l’assassinat de sa famille et ses proches restaient ancrer en sa mémoire, se transformant en souvenir pour le hanter chaque nuit. Le district où se situait le manoir Elric était le plus raffiné de par les multiples fleurs jonchées sur les murailles blanches ; rouges, bleues, mauves, jaunes…Néanmoins, après la fameuse guerre, la ruelle était simplement ornée par les taches de sangs, aujourd’hui toujours présentes ; difficiles à nettoyer.

Comme si le monde tournait contre elle, le pacifisme de la famille Elric ne consentait point aux combats ce qui l’avait conduite à sa perte. Alon ne sortait pas du lot. Afin d’éviter toute confrontation, il trouva refuge dans la bibliothèque du palais. Caché parmi les soldats de la septième division, le vieux croyait dur comme fer que l’utilisation de son pouvoir étrange ne serait guère primordiale. Du moins jusqu’à aujourd’hui.

  • Mon seigneur, je n’ai pas usé de cette capacité depuis longtemps, je crains qu’elle ne soit que défectueuse.
  • Balivernes. Je me souviens de la scène comme si c’était hier ; tes yeux brillaient d’une lueur sobre, tu fixais un point invisible devant toi et disais que tu cherchais un antidote contre la maladie de mon grand-père.
  • Très bien, soupira finalement Alon.

Le Forskare prit une certaine distance et fixa le mur en face de lui. Il inspira lentement, fermant ses paupières et ne les rouvrit qu’une fois une étincelle émeraude brille au fond de ses yeux. Son regard devint perdu, voire ailleurs. Du point de vue d’Amaël de Val, Alon ne ressembla qu’à un fou plongé devant un mur de pierre, sans bouger ni sourciller. En revanche, tout fut différent pour le bibliothécaire. Sa vision se brouilla avant de sombrer complètement, puis, une lueur lui apparut. Au début faible, elle s’amplifia d’un coup – capable d’aveugler une personne lambda. L’intensité dura quelques secondes avant de se dissiper doucement.

Enfin, une chaîne infinie d’informations circula dans la vision d’Alon, invisible aux yeux de l’empereur. Allant des lettres inconnues aux mots imprononçables, le secret du monde se retrouva plongé dans ses iris noires. Des paragraphes de langues différentes se mélangèrent entre eux, des symboles anodins restèrent immobiles une seconde tandis que des termes s’amusèrent à lui filer avec rapidité. L’analyse méticuleuse du bibliothécaire le mena vers l’information qu’il recherchait.

  • Les actes de naissance ? se dit-il à voix haute.
  • Que ferait-elle avec ce dossier ? la voix perplexe d’Amaël brisa la concentration d’Alon qui se retourna vers lui.
  • Je l’ignore, mon seigneur.
  • Qu’est-ce que tu veux, bon sang !

Sa voix tonna tandis que l’empereur cogna une bibliothèque avec force. Sa tête bouillonna d’interrogations, fatiguée de toutes confusions. Depuis le retour de Lila de Glasmartre, Amaël ne réussit à avoir l’esprit tranquille. Ce bout de femme parvint à jouer de sa confiance et naïveté. Cette dernière ne fut un secret pour personne ; étant encore en deuil suite au décès de Maël de Val, son assurance plongea dans l’invisibilité, accompagnée de sa méfiance et son instinct. En revanche, de par son regard améthyste, le jeune homme oublia tous ses maux en une fraction de secondes, drapée par une douce chaleur nostalgique.

Lila, bien avant son départ, occupait le poste de servante personnelle de l’impérialité et le membre dont elle vouait loyauté n’était personne d’autre qu’Amaël de Val. Un petit garçon de cinq ans à l’époque. Le devoir de ses parents les obligeait à prendre de moins en moins soin de lui, ainsi recruter quelqu’un d’autre pour le faire en leur absence. Leur relation nageait dans l’ingratitude et les caprices d’Amaël. Eloigné de sa maman et son papa, toute excuse était bonne afin d’attirer leur attention – qu’elle soit bonne ou mauvaise. Les trois premières années de Lila se résumaient à courir après le garçon, à le calmer et à le distraire, en vain. Ce n’était qu’en début de la quatrième qu’il s’ouvrait peu à peu à elle. Et de fil en aiguille, elle devenait une personne importante dans sa vie.

Inconcevable était l’idée de la perdre, mais le destin en avait voulu autrement. Amaël ne s’en remettait presque jamais ; il la voyait comme une amie, une enseignante, une confidente et une sœur. N’était-ce pas donc plausible qu’il soit aussi frustré qu’à ce moment ? songea-t-il avec fureur.

  • Je te remercie. Tu peux te reposer maintenant.

Une fois seul, Alon Elric ne sut comment il pourrait se détendre. Lila de Glasmartre, qu’es-tu en train de faire ?

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