Celui qui ne put trouver le sommeil

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Son esprit perturbé par son histoire qui tournait en boucle dans sa tête, Amaël de Val ne trouva pas le sommeil. Il se tourna et retourna sur son lit baldaquin, vérité et mensonge se mélangèrent sans l’once de réalité.

  • […] J’étais seule, je ne savais plus quoi faire alors j’ai essayé de rentrer à Irathen, revoir ma famille et mes amis, mais la guerre avait éclaté. Une guerre qui a duré six ans, j’ai beaucoup perdu. Mais la vie continue, mon ambition me poussait à retrouver la route vers la maison. Au fur et à mesure que le temps passait, je me rendais compte que j’étais devenue une fugitive. Je ne pouvais plus rentrer, m’enfuyais des soldats que je croisais et peu à peu, mon envie de survivre disparaissait. J’ai fui comme une trouillarde, c’était ma seule issue. Même les soldats de mon propre pays souhaitaient ma mort juste parce que mes habits étaient typiques de Ghumer. Alors j’ai préféré attendre la fin de la guerre. J’y ai perdu la vie […]

Soufflant bruyamment, sa pendule en bois afficha deux heures du matin passées. Amaël de Val soupira une nouvelle fois avant d’enfouir sa tête dans son oreiller. Perdu, tel fut le mot pour décrire son état actuel. Héritier du trône depuis sa naissance, sa préparation à la gouvernance ne se termina pas qu’il dut s’y asseoir tôt. Après la mort de son père, Scrios de Val, pendant la guerre des Cinq Nations, Maël était tombé gravement malade et n’avait pu alors diriger le pays. De ce fait, doté de bravoure, Amaël se désigna sans peur. Toutefois, bien que son image ne soit tâchée que de courage, de force et de sagesse, le rabais de son estime de soi ne cessa point de le ronger dans sa solitude. Tous ses doutes et ses craintes surgirent dans la noirceur de la nuit tandis que l’incertitude lui souffla ses mauvaises décisions et soupçonna ses choix. Et chaque soir, Amaël de Val se noya dans son pessimisme.

Ce fut son cas à cet instant, l’empereur d’Irathen se tâta sur son jugement envers Lila de Glasmartre. La laisser partir était la bonne chose à faire ? s’interrogea-t-il sans cesse, ou peut-être devait-il l’amener aux cachots ? Frustration ne disparut pas alors qu’un énième soupir s’échappa de sa bouche. Amaël ferma les yeux l’instant d’une seconde avant de les rouvrir d’un coup sec. Une lumière s’alluma dans son cerveau, le poussant à bondir sur ses pieds, s’habiller de son peignoir impérial et quitter ses quartiers.

  • Qu’on m’appelle Corry Arthus et Luna Lund immédiatement !

La bibliothèque du palais fut de loin la plus grande et la plus vaste du pays, contenant plus de cent mille livres, cinq milles étagères et trois milles parchemins, sans oublier à la paperasse archivée. Tout ceci cacher en seulement deux étages. La catégorie « divers » se retrouvait au rez-de-chaussée, là où les nouveaux enfants admis au palais avaient la possibilité d’étudier. Le premier étage ne se composait que des recherches de la seconde division, tandis que le dernier ne regorgeait que des livres d’histoire que ce soit d’Irathen ou celle des pays voisins. L’intérêt d’Amaël se dirigea toutefois vers la pièce du sous-sol.

Encore méconnue du personnel du palais, la clé d’entrée fut en possession d’un unique individu, vouant fidélité et loyauté à la famille impériale depuis plus de vingt ans ; Alon Elric. Son savoir incommensurable, il était difficile de croire qu’il passait tout son temps à roupiller en pleines heures de travail. Ce fut sans grande surprise qu’Amaël le découvrit ensommeillé, la tête entre ses bras. Malgré le gris de la racine de ses cheveux, ces derniers gardèrent la couleur sombre d’antan, tandis que sa moustache camouflait la totalité de sa lèvre supérieure.

  • Réveille-toi ! Sermonna Amaël, n’hésitant pas à élever la voix à une heure aussi tardive.
  • Mon seigneur ! Non, je ne dormais pas ! se redressa Alon, mal réveillé.
  • Ouvre-moi la porte du sous-sol.
  • Pardon ?
  • Je te promets que si je te retrouve encore en train de dormir, je te jetterai dans le lac glacé de Dihya ! Maintenant tu te réveilles et m’ouvres cette porte !

L’incompréhension se lut facilement dans les yeux de noir de jais d’Alon, mais il obéit quand même. Sans attendre une seconde, le vieil homme s’approcha de l’arrière d’une bibliothèque et incanta de manière inaudible dans une langue que l’empereur ne reconnut pas. Une rune apparut sur le bois usé, sa lueur verdâtre brilla le temps d’un instant avant d’éclater en mille morceaux ; la concentration d’Alon fut interrompue.

  • Corry au service de sa majesté.

Le dénommé ploya le genou, laissant tomber ses mèches blondes. Ses habits tout en noir contrastaient avec les nuances de ses cheveux et l’émeraude de ses yeux, camouflés par un masque. Accrochés à sa taille, l’ornement perlé des poignets de ses dagues leur ajoutait une certaine valeur. La quatrième division n’était nul autre que les espions au service de l’empereur ; leur identité tenue secrète, même les compagnons entre eux ignoraient les traits physiques de leurs visages. Derrière lui, Luna Lund eut du mal à rattacher son cache-œil qu’elle laissa tomber bien vite en remarquant son arrivée devant Amaël de Val. Le bandeau tomba ; une vilaine cicatrice se nicha sur son œil gauche fendu en deux. Ses cheveux tombés en cascade sur son dos, Luna ne s’habilla pas de sa tunique d’investigateurs et se retrouva dans son pyjama blanc.

  • Votre majesté ! tonna la vieille voix d’Alon Alric, que signifie tout ceci ?

La bibliothèque du sous-sol est gardée secrète du personnel, je suis au courant. Aujourd’hui est différent, au lieu de rétorquer, ouvre-moi cette porte !

Le risque de briser une des règles fondamentales du Conseil ne fut que le fruit de l’inconscience de cet homme devenu empereur trop tôt. Alon l’observa le temps de quelques secondes, se rendant compte que sa sûreté et son poste au sein de la bibliothèque ne craignaient rien. Ce fut un ordre de sa majesté après tout, se rassura-t-il intérieurement. Son emplacement derrière le meuble retrouvé, il reprit son incantation.

  • Quoi que vous voyiez, quoi que vous trouviez, soufflez-en un mot dehors et la mort vous accueillera.

Les paroles d’Amaël de Val s’encrèrent au plus profond de leur esprit. Corry Arthus ne réagit pas, son expression ne put se lire à cause du masque qui la cachait. En revanche, Luna Lund déglutit difficilement et appréhenda le secret de cette fameuse pièce. La rune s’effaça lentement et découvrit des escaliers menant au sous-sol. Sans attendre, l’empereur s’empressa à l’intérieur, ses sujets lui emboitèrent le pas. Contrairement à ce que Luna imaginait, l’endroit fut bien plus éclairé grâce aux multiples chandeliers accrochés aux murs. Toutefois, seulement deux énormes bibliothèques réussirent à remplir la pièce tandis que de multiples documents et parchemins poussiéreux jonchaient le sol en pierre. Soudain, Amaël de Val ordonna de trouver toutes les missions archivées de Lila de Glasmartre.

Les soldats se mirent à la recherche du fameux dossier dans un silence absolu. Bien que peu convaincue par l’idée, Luna les fixa un instant, c’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin, pensa-t-elle. Néanmoins, elle se mit au travail.

Deux heures qu’ils fouillaient dans les documents sans l’once de Lila de Glasmartre. Son nom ne s’afficha nulle part sauf dans la liste du personnel impérial. Rien qui intéressait Amaël de Val. La fatigue se lut sur les visages d’Alon et Luna, une bonne nuit de sommeil fut nécessaire pour amener le travail à bien. Contrairement à Corry Arthus, il était aussi éveillé qu’un enfant de cinq ans. Cherchant silencieusement le document tant convoité, il tomba sur un dossier plutôt bien fourni et lourd ; les actes de naissances des irathiens. Ne lui portant aucun intérêt, l’espion le déposa nonchalamment sur une étagère. Soudain, le bruit de feuilletage attira son attention. Il se tourna vers Amaël de Val, en-dessous d’un petit bureau à éparpiller les papiers. Puis, son regard tomba sur Luna Lund qui vérifiait la paperasse jonchée sur le sol et enfin, Alon, un livre un la main, lisait méticuleusement les paragraphes. Les muscles de Corry se détendirent alors qu’il replongea dans sa recherche. Toutefois, le dossier des actes de naissances disparut de l’étagère, le garde se figea.

Rien de plus simple pour un soldat de la quatrième division que d’agir en toute discrétion. Corry observa les alentours une nouvelle fois et tomba sur un léger brouillard juste derrière Alon Elric. Faisant signe à Amaël de Val –qui l’avait remarqué, de garder le silence. D’un pas feutré, il s’approcha du mirage et au moment de le toucher, il s’évapora vers les escaliers. Ce fut à cet instant que les autres sursautèrent. Une personne apparut ; de sa peau laiteuse et sa longue chevelure ébène, tous la reconnurent sans faute. Son regard rencontra celui d’Amaël de Val et ce dernier ne put que se crisper.

  • Lila de Glasmartre ! rugit-il, mais elle s’évanouit dans un autre mirage.

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