Celle qui espéra un changement

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Ses maux à part, ses pas gais la guidèrent au centre du village. Malgré l’heure tardive, les habitants peuplaient la place ; les boutiques toujours ouvertes, les enfants jouaient en compagnie de leurs parents…Lila ne put qu’étirer ses lèvres en un sourire discret. Une bouffée de nostalgie l’enveloppa soudain. Elle longea la route et tomba sur une intersection où une menait aux restaurants tandis que l’autre au manoir Glasmartre. Le gargouillement de son ventre décida à sa place, vide depuis son arrivée.

Lila se dirigea à gauche, mais une voix la retint. Sa neutralité était reconnaissable entre mille, pas la peine de se retourner pour comprendre que Nolan de Glasmartre était derrière elle. Son ton ne s’élevait jamais, toujours tranquille et presque rêveuse. Elle se tourna vers lui, son regard n’exprimait qu’incompréhension et confusion. Le regard fuyant, il ne sut quoi dire. La savoir saine et sauve fut comme une gifle sèche et ne réussit à choisir le comportement idéal à adopter.

  • Tu devrais rentrer à la maison, essaya-t-il enfin.
  • Pourquoi ?
  • Bien de choses ont changé depuis ton…

Il se tut, ne sachant comment définir cette absence. Décès ? Elle était bel et bien vivante. Fuite ? Si tel était son souhait, pourquoi revenir ? Regret ? Aucune culpabilité ne se lut sur son visage en porcelaine. Jadis, rien n’était plus facile pour Nolan que de deviner les pensées de sa cousine, mais aujourd’hui, ce masque d’impassibilité ne le lui permettait plus. En tant que chef du clan Glasmartre, il se promit de creuser afin de connaître la vérité. Entre temps, Lila le contempla en silence.

Du haut de ses un mètre quatre-vingt-huit, la virilité changea sa frimousse de jeune garçon d’antan. Sa longue chevelure typique de la famille fut attachée en une haute queue de cheval, tandis que sa barbe le vieillissait. Le topaze ne lui sille guère, pensa-t-elle en fixant la boucle d’oreille. La droiture de sa carrure, mieux sculptée qu’auparavant, lui donna un air plus confiant, autoritaire et arrogant. Ses habits changés, Nolan opta pour des couleurs plus sobres, se mariant parfaitement avec sa peau laiteuse. Une ceinture blanche accrochée à sa taille et orné sur la poitrine gauche, le blason du clan de Glasmartre ; une jacinthe. Lila continua son observation et ne put que remarqué l’absence de son pouce et index droits, remplacés par de l’acier.

  • Qu’est-ce qui a réellement changé ? demanda-t-elle après un long silence.
  • Accompagne-moi.

Lila abdiqua et suivit son cousin. Cependant, une fois au pas de la porte, l’incertitude et le doute prirent contrôle de son esprit. Une petite voix lui cria de rebrousser le chemin, de s’enfuir loin d’ici. Mais la main de Nolan, serrant la sienne, le lui interdisait. Inconsciemment, ses sens furent en alerte alors qu’ils pénétrèrent à l’intérieur.

Le changement de peintures du manoir Glasmartre procurait plus de chaleur et d’hospitalité. Autrefois teinté de gris et de noir, il donnait l’impression d’être une maison abandonnée et habitée par des fantômes. Le nacré et le rose pâle invitaient les voisins à rendre visite, gardant le noir de la toiture. Lila n’en commenta pas, cette couleur leur appartenait, elle-même en portait à ce moment même. Elle remarqua également leur nouveau penchant pour le jardinage ; différentes fleurs et plantes jonchaient les terres de l’entrée.

La guerre a détruit le jardin, il fallait qu’on y remédie, répondit Nolan à sa question silencieuse.

Traînant des pieds, ils arrivèrent dans le grand couloir. Quelques membres furent adossés au mur, discutant de tout et de rien, tandis que d’autres s’occupèrent de leurs tâches respectives. Les enfants furent absents. Lila observa ce spectacle et ressentit de l’émerveillement ; combien de fois rêvait-elle de cette scène ? Sa main délaissa lentement celle de Nolan alors que son regard ne put se détacher de cette vue. Tous, sans exception, vêtaient des tuniques différentes, de différentes couleurs, pas celles imposées par les anciens du conseil de la famille. Douze ans en arrière, elle se rappela des habits obligatoires du clan ; étant divisé en trois branches distinctes, chacune d’entre d’elles devait arborer une nuance divergente.

La première se composait uniquement des dirigeants ; ceux à la tête du clan et à l’intelligence et force hors pair. Nés de parents aisés, qu’ils soient politiciens ou commerçants, ils n’avaient besoin de rien et étaient respectés par le reste de la famille. Ils étudiaient l’histoire et les stratégies dès l’âge de cinq ans. Les servants occupaient la seconde branche, leur devoir nécessitait uniquement à servir les chefs et leurs descendances. Il était possible de trouver un servant personnel pour une seule personne, comme en trouver plusieurs pour un même individu. Enfin, la dernière se composait des gardes du clan ; eux aussi, dès l’âge de cinq ans, apprenaient l’art du combat. Les exercices se résumaient à pratiquer des techniques cruelles et barbares.

Tous vêtaient en noir, la couleur symbolique des Glasmartre. Toutefois, au niveau de leurs tailles, des ceintures de différentes nuances y étaient accrochées. Tout comme Nolan, la blanche démontrait l’importance des dirigeants, tandis que la rouge appartenait aux gardes pour représenter leur entraînement sanglant et acharné. Camouflée, la dernière était aussi noire que leurs habits.

  • Nous y travaillons encore, annonça Nolan, le conseil est toujours aussi aigri.
  • Les vêtements sont unis, ça veut dire qu’il reste un espoir… souffla Lila en resserrant inconsciemment la main de son cousin.
  • C’est un début, le plus difficile à convainc est–
  • Nolan n’est donc plus satisfait de la jeune Foscor ?

L’intonation de ce ricanement les fit taire. Sa voix rauque loin d’être désagréable parcourut néanmoins l’échine de Lila. Son esprit se perdit, le temps d’une seconde, à la nostalgie, l’effroi et la colère. Elle se retourna lentement, lâchant au passage la main de Nolan. Eyden Elohan de Glasmartre se tint fièrement, le menton haut et les épaules bien droites. Le troisième chef du clan proclamé Héro d’Irathen. Cinquante-sept ans s’écoulèrent depuis la fameuse guerre civile du pays ; les clans ne s’entendaient plus et se disputaient le pouvoir et la puissance. Chevaleresque, ce vieil homme avait bravé les obstacles et réussit à réunir les familles en havre de paix. Du moins, c’était qu’on leur apprenait, pensa-t-elle.

Lila l’observa en silence. Plus jeune, elle aurait baissé la tête par respect ou par peur, mais ce ne fut pas le cas aujourd’hui. Son regard ridé par le temps n’occasionnait que dégoût et amertume, le mensonge et la manipulation se lurent au plus profond de ses iris violettes alors qu’il perdit sa voix à la vue de elle. Cette dernière se fit violence de pas faire n’importe quoi et dut se forcer à gratifier un simple sourire.

  • Je suis de retour, grand-père.
  • Dans mon bureau tout de suite, convoqua-t-il sèchement.

Ignorant son regard réprobateur et sans jeter un regard vers Nolan, Lila de Glasmartre suivit Eyden sans brancher. Le bureau n’était pas grand, juste la taille idéale pour y mettre une bibliothèque et un secrétaire, des parchemins de différentes tailles jonchés par-dessus. La lumière de la petite lampe émana de la chaleur, une impression opposée à l’expression du troisième dirigeant du clan. Froid et distant, son grand-père la jaugea quelques secondes avant de demander :

  • Où étais-tu ?
  • Ta question est aussi vaste que le monde.
  • Pourquoi être de retour maintenant ?
  • Ne t’ai-je pas manquée ?
  • Ce n’est pas le moment de plaisanter, Lila !
  • J’échappais la mort.
  • Ne joue pas avec moi, fillette !
  • De nous deux, qui est réellement en train de jouer ?
  • Je souhaite simplement savoir ce que tu faisais durant ces dernières années.
  • Je survivais.
  • Lila !

Il plaqua ses mains sur le secrétaire d’une telle force que Lila perçut le sursaut des servants en dehors de la pièce. Il n’était pas rare qu’Eyden craque sous l’effet de la colère, mais pas aussi facilement. Sa nature nerveuse naquit par les douleurs de la guerre. En aucun cas le regard de Lila s’abaissa, au contraire, il soutenait celui de son grand-père. Grand-père ? Pouvait-il vraiment l’appeler ainsi ? s’interrogea-t-elle. Parentés par lignage, il l’avait certes choyée, mais sans plus.

Le lien entre Nolan et Lila se nourrissait de la relation étroite de leurs pères, fils d’Eyden Elohan de Glasmartre. L’aîné, Galvane, plutôt fébrile et frêle, ne put reprendre les rênes de chef, ainsi, afin de garder le sang de la première division, il fut marié à une cousine éloignée. Le souhait d’avoir un garçon n’atteignit, par contre, pas les cieux, les fausses couches de sa femme ne cessaient point. Ce fut dix ans plus tard que Nolan de Glasmartre vit le jour. En bonne santé et fort, l’espoir naquit avec lui. En revanche, Goulven dont la corpulence coriace et dure, obtenir le rôle de dirigeant du clan n’était pas son désir. Un choix qui contraint les décisions de son père. Goulven était un homme simple d’esprit, le pouvoir ne l’intéressait pas et son seul souhait était de vivre pleinement et heureux. Neuf ans après le mariage de Galvane, il se mariait enfin à une Glasmartre de la deuxième branche, bien évidemment suivit de conflits entre son père et lui. Un an plus tard et deux mois avant la naissance de Nolan, Lila était arrivée.

Bien que l’apparence du clan ne soit plus que générique, la flame de ses iris reflétait celle de son père, jadis. Les évènements que sa détermination et son ambition puissent créer seraient effrayants, il le lut dans son regard.

  • Je ferai appel au conseil de famille. Tâche d’être présente.
  • Pour juger une simple servante ?
  • Une véritable servante ne se baladerait pas dans un tel accoutrement.

La réponse du tac au tac de son grand-père la surprendra toujours. Lila de Glasmartre quitta le bureau d’Eyden, tombant face à son cousin. Le sourire qu’il arborait la projeta vingt ans en arrière, à l’époque où elle se faisait gronder par leur grand-père à cause d’une bêtise qu’elle avait faite ; Nolan l’attendait toujours avec ce sourire amusé. Leurs regards se rencontrèrent et ils purent s’échanger une expression complice et fraternelle.

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