Ceux qui furent brisés par sa mort

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La lui ramener de suite, tel était l’ordre reçu par Amaël de Val. Enora obéit malgré sa confusion. Pourtant, l’empereur lui fit confiance. La jeune femme n’était pas la plus puissante de ses gardes, ni la plus intelligente, mais son contrôle de soi l’avait fait florès. Pour preuve, en dépit de ses sentiments mitigés, elle garda un calme fou contrairement à son coéquipier, Breig de Caelo.

Ce dernier s’était hissé un nom ces dernières années ; il était reconnu pour son sang-froid, sa sérénité et sa méticulosité. Son adhésion à la première division faisait de lui le chien de garde de l’empereur. Il ne quittait jamais sa compagnie, sauf en cas d’urgence au niveau du département des Mantenes ou durant ses journées libres.

Néanmoins, Breig de Caelo avait commis une erreur des plus basiques ; abandonner Amaël de Val. Il quitta son poste et l’assemblé pour assouvir sa curiosité. Sans crier gare, Nolan de Glasmartre l’avait suivi en trombe.

  • C’est quoi ce bordel ? Tonna la voix de Breig.
  • Ça doit être dur à digérer, je le conçois, mais c’est réellement moi.

Derrière le palais d’Irathen, Lila de Glasmartre se fit interceptée par son cousin et Breig. Celui-ci, retenu par Nolan, tenta de s’approcher dangereusement de Lila. Son ami n’eut aucun mal à le restreindre et jeta un regard méfiant en direction de sa cousine. Malgré son aspect physique, son esprit ne réussit point à adhérer cette information explosive. Tant de questions culbutèrent brusquement dans la tête, sans pour autant obtenir une réponse. Nolan l’observa silencieusement sous les injures incessantes de Breig. Ce serait un mensonge s’il affirmait qu’elle n’avait changé en rien. Sa petitesse et ses traits mis à part, le raffermissement de ses muscles démontra un entraînement acharné, tandis que ses iris, luisantes de souvenir, devinrent vidées.

  • Pourquoi es-tu revenue après tout ce temps ? Interrogea la voix brisée de Nolan de Glasmartre.

Lila tiqua, le moment qu’elle redoutait arriva finalement. Les explications, de simples justifications couchées sur des mots, pourtant toutes aussi funestes qu’un Python de Glospielle.

Sa disparition soudaine douze ans en arrière étreignait la possibilité que tout redeviendrait comme avant. Elle le savait, mais l’espérait quand même. Leurs regards se rencontrèrent l’instant d’une seconde et c’était comme si tous les maux moururent au fond de leurs cœurs. Toutefois, Breig en profita et agrippa le col de Lila, brisant au passage le lien créé entre les cousins. Une expression crispée par le mélange de colère et de mélancolie, le jeune homme pinça ses lèvres alors que sa poigne se resserra.

  • Ne crois pas que ton silence te sauvera, pas cette fois !

De tous, la réaction de Breig de Caelo fut la plus surprenante.

Lila connaissait son tempérament par cœur, il était tout sauf violent et agressif. Aujourd’hui, elle découvrit une nouvelle facette, une qu’elle ignorait à l’époque où ils se fréquentaient. Une idylle d’enfance, telle était leur relation. Ils s’étaient rencontrés au dojo et rapprochés quand Breig avait été affilié à la première garde. Mais le début de leur histoire se termina le lendemain, alors que Lila de Glasmartre disparut. En vue de la réaction de son ancien amoureux, leur mûrissement était bien trop différent ; un apprit à exprimer toutes ses émotions sans l’once de doute, tandis que l’autre se renferma encore plus.

Impatient, Breig n’attendit pas plus longtemps. Il délaissa son col pour lui asséner un coup au ventre. Le choc ne percuta pas ; Enora Moshtnost s’interposa et défendit Lila. Sa coéquipière lui jeta un regard noir avant de demander à Lila de retrouver la grande salle, sous les ordres d’Amaël de Val. La concernée n’attendit pas une seconde et fila dans un mirage.

  • Non, mais ça va pas ! Qu’est-ce qu’il te prend ? Rugit Enora, Breig alla riposter, mais n’eut le temps qu’elle continue : Ton comportement est digne d’un gamin de dix ans ! Où sont tes priorités et tes devoirs ? Les as-tu donc oubliés ? Que fais-tu de ta mission de protéger l’empereur quoi qu’il arrive ?
  • Ma mission n’a pas été négligée !
  • Ignorée. Tu as délibérément abandonné ton poste.

Breig se noya dans le silence, une preuve qu’Enora toucha un point véridique. Reprenant son calme, elle se tourna vers Nolan de Glasmartre. L’expression de cet homme mystérieux et presque impassible ne refléta que douleur, nostalgie et espoir, rongé par les souvenirs houleux d’antan. La jeune femme se rappela de ces moments difficiles qu’ils durent traverser tous les trois. Le déni s’était retrouvé à détruire Nolan de l’intérieur suite à l'annonce de la mort de Lila, le poussant ainsi à supplier sa majesté Maël de Val à envoyer une équipe de sauvetage. Cependant, son refus n’avait fait qu’empirer les choses ; sa braise de souffrance s’enflamma de plus bel, brûlant son esprit et son cœur. Ses iris, autrefois brillants d’espoir et de détermination, se transformèrent en une boule vide, inerte et le furent toujours il y eut quelques heures de ça. Désormais, une lueur vive prit place au fond de son regard. Une observation qui soulagea Enora.

  • Calme-toi, Breig. Lila nous dira tout au moment venu, ne force pas les choses et estime-toi heureux qu’elle soit toujours en vie.
  • Devait-elle réellement mentir pour sa survie ? Elle aurait pu au moins prévenir !

Breig fut le seul à participer au sauvetage des survivants. Bien que l’ancien empereur eût délibérément rejeté l’idée de la chercher, le jeune homme n’en avait fait qu’à sa tête. La tâche de l’équipe consistait à retrouver les corps des soldats tombés au combat, mais celui de Lila demeurait introuvable. A l’annonce officielle de son décès, Breig était tombé dénue, rajoutant la réaction de Nolan, son état s’était empiré. Ses pleurs ne cessaient plus, son chagrin déferlait comme une vague, croyant que c’était la meilleure solution afin d’éteindre cette douleur au fond de son cœur. Il lui fallut plusieurs mois pour se résigner et accepter l’idée de ne plus la revoir, jusqu’à aujourd’hui…

  • Ce n’est pas facile, je vous l’accorde, mais patientons, réconforta Enora, nous avons attendu douze ans, nous pouvons attendre plus.

Confidente et sœur de cœur, Enora Moshtnost n’était pas une simple amie pour Lila. Elles avaient passé la plupart de leur temps ensemble au temps du dojo. Toutefois, la distance s’installa une fois que la garde personnelle de l’empereur fut choisie par une division, ce qui ne fut pas le cas de Lila de Glasmartre. Entre les entraînements, les missions et l’apprentissage des règles du palais, la jeune femme ne savait plus où donner de la tête et n’accordait presque plus de temps pour son amie. En revanche, dès lors que elle intégra le personnel impérial, elles ne se quittaient plus. Seulement, à l’annonce de sa mort, Enora devenait inconsolable ; sa détresse lui mangeait le corps, elle n’avait jamais été aussi maigre. Cependant, son témoignage de l’état de Nolan et Breig, la jeune femme se décida à se prendre en main. Depuis ce jour, son contrôle de soi devint presque inhumain au point d’être remarqué par l’héritier du trône, Amaël de Val. Elle l’avait attendue durant douze ans, elle pouvait le faire un peu plus.

L’ambiance dans la grande salle fut morbide, le regard de l’empereur se perdit dans les profondeurs améthyste de ses yeux. Tout au long de son récit, l’expression de Lila de Glasmartre resta de marbre, Amaël n’entrevit aucune peine, aucun relâchement, comme si elle avait tout appris par cœur. Une fois à l’intérieur, elle lui avait d’abord demandé l’étendue de ses connaissances sur son départ, un savoir qu’il ne réussit pas à divulguer. Lila l’avait jaugé le temps d’une seconde avant d’entamer son histoire. Les paroles défilèrent de sa bouche, sa langue totalement détendue ; les mots ne lui filèrent pas. Les évènements vécus, la douleur, le chagrin et la solitude, survivre à tout ça était simplement surprenant, était-elle toujours saine d’esprit ? se demanda-t-il.

  • Maintenant que vous êtes au courant de la vérité, je vous demande une faveur, votre majesté.
  • Quoi donc ?
  • Ne mettez-vous pas en travers de mon chemin.

Aucune intonation fâcheuse ne s’hissa dans ses propos. Bien au contraire, ils ressemblèrent plus à une supplication qu’à une demande. Le changement dans son regard fut infime, mais Amaël le remarqua ; une tristesse sans nom nageait dans les profondeurs de sa douleur. Malgré son regard peiné, le débit de son ton demeura inchangé et ce fut à ce moment l’empereur comprit ; elle lui avait raconté son vécu, pas sa vie. Une histoire totalement vide et objective, rien de plus. Ses cachoteries camouflaient la vérité sur son ambition, mais à quel point était-elle brûlante ? se demanda-t-il.

  • Vas-tu rentrer chez toi ?
  • Mon « chez-moi » n’existe plus.
  • Que dira ta famille ? Les Glasmartre n’accepteront pas ta survie rapidement.
  • Je me débrouillerai. Sur ce, bonne soirée.

Lila prit congé, laissant Amaël libre cours à ses songes. Son regard se dirigea vers la vitre où la démarche de elle lui parut sereine.

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