Celui qu'on surnomma le Soleil

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  • Qui est-ce que tu cherches ?

Le silence brisé par sa question, Lila de Glasmartre esquissa un sourire.

  • Des personnes, répondit-elle simplement en lui tendant un petit carnet usé. Tu possèdes une des caractéristiques qui m’intéresse.
  • En quoi mon savoir pourrait t’être utile ? haussa-t-il les épaules en prenant ledit carnet.

Il le feuilleta avec désintérêt. Lire les monologues d’autrui fut loin d’être son passe-temps favori. Blasé, ce fut en atteignant les dernières pages qu’il tiqua. Des noms et des dates inscrits à l’arrache, le sang sec troubla et ses sourcils se froncèrent. De par ses lunettes, il examina Lila qui lui parut impassible. Néanmoins, en fixant son regard avec insistance, il perçut une tristesse infinie au fond de ses iris.

  • Mes compagnons d’armes, répondit-elle à sa question silencieuse. Tombés au combat.
  • Pour fuir ?
  • Pour survivre.

Alon soupira.

La survie, un sujet qui tendait à créer une polémique houleuse. Lui-même en faisait partie, de ces gens qui fuyaient la mort comme la peste. Toutefois, le résultat n’était pas celui qu’on retrouvait dans les histoires d’enfants. Il avait survécu lors de la guerre des Cinq Nations, mais tous ses amis périrent.

Alon avait longtemps questionné son destin. Pourquoi n’était-il pas mort comme ses compagnons ? Qu’avait-il de plus qu’eux ? En quoi sa vie valait plus que celles des autres ? Ses tourments le hantaient, rongeaient son esprit déjà torturé par le deuil. Le doute et les remords le conduisaient dans un gouffre sans fond, alors que son âme voguait vers la dernière porte. Pourtant et malgré tous ces sentiments de détresse, la joie, enfouie quelque part dans son cœur, lui criait de croquer la vie à pleines dents. De se réjouir de la chance qu’il avait eu de survivre.

Alors il comprit enfin le regard à moitié inerte de Lila. Il se dut de comprendre.

Sortant de la léthargie, son regard se posa sur un nom mal écrit, presque illisible. Yorrick Elric. Et son monde s’écroula de nouveau.

  • Il nous a beaucoup parlé de toi, déclara Lila en se penchant légèrement sur la table, qu’est-ce qu’il pouvait t’aimer ! Les compliments volaient à ton égard.

Elle se tut un instant, Alon garda le silence.

  • Malgré son âge avancé, il faisait preuve d’un courage sans égal. Sa force nous réduisait tous en poussière, haha !

Son rire résonna pour éviter le craquement dans sa voix.

  • Je lui dois la vie…
  • Quand est-ce qu’il est mort ?
  • Il y a trois mois de cela…

Yorrick Elric, son oncle, était un homme de savoir. Sa passion pour l’histoire et les mythes cultivait sa personne et il dévorait les livres sans lendemain. Reconnu comme étant le bras droit de sa majesté Maël de Val, il était évident que sa renommée de meilleur combattant lui délègue le grade du chef de la première garde. « Le soleil des divisions » tel était son surnom entre les soldats. Une boule de positivité et de bonne humeur, Yorrick avait toujours le sourire aux lèvres. Son air enjoué invitait de plus en plus de gens dans son cercle, comme c'était le cas de Byron Corentin.

Mis à part sa réputation, son savoir fut légué à Alon. Ce dernier préféra le calme des étagères qu’aux tavernes empestant l’alcool, avec pour seule compagnie, des soldats à moitié ivres. Qu’au champ de bataille où la mort les attendait de pied ferme.

  • Comment est-ce arrivé ?

Sa voix se brisa.

  • Nous sommes tombés dans une embuscade alors que nous retournions à Irathen. A un certain moment, j’ai perdu connaissance. Et une fois réveillée, Yorrick était sur le point de mourir. J’ai pu le transporter jusqu’à Ighil – je ne sais par quel miracle…

Son rire nerveux s’évapora dans le silence, les yeux embués de larmes.

  • …Là où il a été enterré.

Inspirant fortement, son imagination essaya de recréer la scène dans sa tête, en vain. Alon baissa un peu plus la tête. Il se massa les tempes après un long silence, puis prit sa tête dans ses mains.

  • Quand une personne est trop lasse pour te sourire, offre-lui le tiens.

Alon releva brusquement la tête et ne put qu’éclater en sanglots. Lui qui crut avoir fait son deuil plusieurs années auparavant, toute sa peine revint au galop. Ajoutant la citation préférée de Yorrick, sa douleur coula à flot, le noyant presque. Lila posa une main sur son épaule et le laissa déverser son chagrin en silence. L’écho de ses paroles résonnèrent encore et encore dans sa tête.

Il lui fallut quelques minutes pour se calmer. Il releva la tête, retenant sa morve de tomber. Toutefois, Alon ne s’attendait pas à trouver un doux sourire sur le visage de Lila. Compatissant et chaleureux, avec ce simple geste, elle lui annonça qu’il n’était pas seul.

Les documents du dossier volé jonchée sur la table, Alon et Lila recherchèrent pendant près de deux heures, sans grand succès.

  • Ce sont plus des femmes, mais des poulinières ! rugit-elle en jetant une énième feuille.
  • Tel est le sens de la vie. Les hommes reproduisent et les femmes donnent vie.
  • Quelle philosophie !

Alon haussa les épaules.

  • Arrête-moi si je me trompe, le gène se transporte vers le nouveau successeur une fois que le porteur meurt, dit-il et continua après que Lila ait hoché la tête. Et si… si le porteur n’était pas un enfant ?
  • C’est-à-dire ? Regarde bien les dates, l’âge maximum serait entre quinze et vingt ans. Ça reste toujours des gamins immatures qui ont besoin de conseillers.
  • Je ne suis pas le cadet du clan, pourtant j’ai le gène.
  • Je ne comprends pas, répondit-elle en plissant les yeux, dubitative.
  • Je veux dire que le gène se transporte, non seulement vers les plus jeunes, mais aussi vers les seuls survivants… ?

Lila le fixa, sceptique.

  • Je ne pensais pas que tu sois aussi lente à la détente. Au lieu les chercher les plus jeunes, cherchons quand tes compagnons sont morts. Enfin, l’année…Tu obtiendras des réponses plus rapidement.

Ni une ni deux, Lila se jeta sur son carnet et farfouilla les dernières pages, sous l’œil amusé d’Alon. Ce dernier se contenta de reprendre les documents en mains. Supprimant le successeur de Yorrick Elric, ils commencèrent par celui des Glasmartre. Lila étant toujours vivante, ce fut plus judicieux de retrouver les traces du tout dernier du clan.

  • Donovan de Glasmartre, tiens sa photo.

Alon l’arracha et la tendit vers Lila, qui la cacha soigneusement sous son armure. Ils continuèrent sur cette lancée et retrouvèrent six autres susceptibles d’avoir le gène. Lila s’arrêta net.

  • Alon, les Lund n’ont pas eu de descendance ces dernières années ? demanda-t-elle d’une voix qui se voulait neutre.
  • Je l’ignore, pourquoi ?

Il se retourna et tomba sur la photo de Luna.

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