Celle qui vit ses espoirs se briser

7 minutes de lecture

Son regard balaya le corridor en silence, observant les quelques corps encore évanouis. Certains se réveillèrent sans l’once d’un souvenir, le décrivant tel un trou noir. Ciara Foscor n’était pas une adepte des enquêtes, loin d’être un grand fan de devinettes. Suite à l’arrivée du jeune Glasmartre à la grande salle du palais, Amaël de Val lui ordonna avec Nolan, Luna, Glenn et Mei de se présenter au manoir sur le champ. Toutefois, sa participation n’apporta rien comparée à celle de Luna Lund.

Sa dévotion attisa l’intérêt de Ciara. Malgré son jeune âge, la borgne ne présenta que sérieux et professionnalisme, comme si ce ne fut point sa première fois. Ses mains traversèrent de l’épaule à la main de la victime d’une telle délicatesse qu’elle ne put que se détendre. Son regard azur n’exprima que tendresse tandis que Luna prit soin de l’interroger de manière subtile. Quant à Ciara, elle l’observa en silence, intriguée par son savoir-faire, étant la première fois qu’elle voyait un Anakrit en action.

Un cri strident attira leur attention ; Nolan s’y précipita, ses compagnons sur ses talons. Il courut dans le couloir, tourna à droite, puis à gauche avant d’apercevoir une servante avachie sur le sol. Son visage, déformé par la terreur, fixait le cadavre d’Eyden Elohan de Glasmartre.

  • Bordel ! souffla-t-il, incrédule.
  • On va se charger de son cas, marmonna Ciara en grinçant les dents. Glenn, Luna ! Suivez-moi !
  • Nous sommes arrivés trop tard, annonça Mei, observant le corps blême sur le secrétaire. Ne tardons pas, Nolan. Ton grand-père mérite une sépulture digne de ce nom.

Aucun mot ne put être articulé, Nolan contempla le cadavre sans broncher. Ses lèvres devinrent sèches tandis qu’une grande envie de dormir le prit. Puis, les paroles de Mei se brouillèrent dans sa tête, sa vision sombra peu à peu.


Les traces de sang encore fraîches les menaient au lac du Nord, selon Glenn de Zel. Ce dernier guida Ciara et Luna sans l’ombre d’un doute, parcourant la forêt dans ses moindres détails. Il savait quel chemin rapide prendre, quel raccourci aboutirait sur l’emplacement de Lila de Glasmartre. Un génie du territoire national, pourtant, loin fut son rôle de Zashtiten. La huitième division ne se limitait qu’à la protection des villages et des villes et les terrains en dehors ne concernaient que les sentinelles ; la garde Strazar.

  • Que peut-il avoir au Nord ? demanda Luna Lund d’une voix hésitante, toujours abasourdie par les actes de Lila.
  • Le lac est un bon endroit pour nettoyer les dégâts, répondit simplement Ciara, il résulte du fleuve de Dihya qui lui-même découle de la mer.
  • J’y pense, Glenn, comment tu connais toutes ces routes ? Serais-tu une sentinelle de nature ? plaisanta la cadette pour détendre l’atmosphère.
  • Haha ! Peut-être que je devrais songer à une reconversion.
  • Nous sommes à la recherche d’une meurtrière et vous avez le temps de discuter ! grogna Ciara en prenant les devants. Je vous signale qu’un Irathien a été tué ce soir ; c’est un ancien chef de clan et le Héro du pays. Soyez plus professionnels !
  • Qui dit que c’est Lila qui l’a tué ? répliqua l’Anakrit sur le même ton.
  • Tu ouvriras les yeux quand tu verras qu’elle n’est plus la même personne d’il y a douze ans ! Ne sois une enfant. Tu fais partie de la garde impériale, un soldat de sa majesté l’empereur, les sentiments ne sont pas permis en temps de guerre.
  • Nous ne sommes pas en guerre !
  • C’est ce que tu dis maintenant, laisse Lila faire ce qu’elle veut et tu seras le premier témoin de la chute d’Irathen !
  • Les filles ! interpella Glenn en faisant un grand signe de la main. C’est Lila.

Leur attention se tourna systématiquement sur elle. Trempée de la tête aux pieds, son bandage à moitié défait et le sang tâchait pratiquement tout son uniforme, On aurait dit qu’elle sortait d’une lutte acharnée. De loin, l’expression de son visage ne fut point visible, sauf pour Luna. Bien que borgne, elle discerna les rougeurs sur ses joues, son nez et ses yeux et ne put que déduire que Lila de Glasmartre avait pleuré.


Quelques minutes plus tôt.

Son intention de se rincer le visage disparut à la vue de son reflet dans l’eau, Lila se haït sur le champ. Sa joue gauche souillée par son acte atroce et impardonnable, elle plongea dans les profondeurs avec colère. Elle en ressortit complètement essoufflée et frotta ses mains de manière frénétique, de sorte à purifier son corps et son esprit. Les souvenirs des évènements récents la frappèrent de plein fouet, amalgamés avec ceux qu’elle ne souhaita surtout pas se rappeler. Le rythme des battements de son cœur s’accentua au fil des secondes, étouffant peu à peu sa respiration. Puis, les larmes coulèrent sur ses joues tandis que ses sanglots brisèrent le silence du lac.

Lila savait mieux que quiconque que ses actions n’étaient portées que par l’avidité de ses sentiments et engendreraient par la suite de lourdes conséquences. Pourtant, elle s’était promis de ne plus tuer, que la vie d’une créature valait bien plus que ça. Le regard impuissant d’Eyden se mélangea à celui de ses anciens camarades et les sanglots reprirent de plus bel.

  • Merde, merde, merde !

Son esprit se déchira entre raison et culpabilité ; entre justice soit faite et l’assassinat de sang-froid, Lila crut perdre la tête. Elle sortit de l’eau après plusieurs minutes de débat intérieur et sécha ses larmes d’un revers de la main de façon vive. Inspirant un bon coup, elle s’encouragea à ne pas perdre de vue son objectif et se poussa à se diriger un peu plus au nord.

  • Pourrais-je savoir pourquoi nous restons cachés ? chuchota Ciara à bout de nerfs, retenue fermement par Luna et Glenn.
  • Observons-la d’abord, suggéra l’investigatrice en ne quittant pas Lila du regard.
  • Je n’observe pas les meurtriers, je les tue.
  • Tu deviens une meurtrière à ton tour.
  • Elle avait peut-être ses raisons…
  • Une justicière, rectifia Ciara en échappant de leur emprise. Il n’y a rien au nord qui puisse l’intéresser. Mis à part des champs de blé et le village de Sour…

Une révélation s’illumina dans sa tête et sans crier gare, la Foscor bondit à la trousse de la Lila de Glasmartre.

La structure du grand manoir de ce clan n’enviait en rien à celui de sa famille. Plus terne que sobre, la différence fut la vivacité de ses membres ; la joie des enfants courant un peu partout ne dérangea guère les plus vieux. Certains s’entraînaient au combat tandis que les plus anciens comméraient sur ceux qui venaient et ceux qui passaient. Cette scène réussit à écorcher de l’envie chez Lila de Glasmartre, perchée sur le grand mur qui entourait le manoir. Un souhait enfoui depuis quelques années refit surface et elle ne put que jalouser cette entente entre les enfants Foscor.

Lorsque le Conseil de son clan avait eu écho de sa complicité avec Nolan, ils avaient remué ciel et terre dans le but de détruire cette fraternité naissante et interdite entre les deux cousins. L’aîné était destiné à diriger et tel un bon chef, son entourage ne devait ainsi comporter que des titres de hauts rangs et Lila n’en faisait pas partie. Ils ne se côtoyaient plus, ne se parlaient plus ou du moins devant les anciens. Têtus comme une mule, les disputes et remarques rentraient d’une oreille et ressortaient de l’autre, comme quoi, l’obstination était de famille.

Lila se gifla mentalement ; l’heure n’était pas aux émotions. Grâce à l’aide précieuse d’Alon, sa recherche devrait se faire rapidement.

  • Au lieu de chercher les derniers, trouve ceux qui sont nés dans cette période-là.

Qu’aurait-elle fait sans lui ? Pas grand-chose en tout cas.

Emilya Foscor ne tarda pas à attirer l’attention de Lila de Glasmartre. Du haut de ses sept ans, son chignon maladroit lui donnait un air plus âgé, un sourire béat sur le visage. Sa poupée usée entre les mains, la fillette jouait à cœur ouvert avec celles de son âge. Son kimono orangé retroussé au niveau de ses hanches afin de libérer plus de mouvements, ses sandales en bois jetés sur l’herbe humide du jardin, Emilya se fichait complètement de son allure.

Les lèvres de Lila s’étirèrent en un sourire attendri juste avant de prendre de l’élan, prête à atterrir sur la terre molle. Ses jambes changèrent de trajectoire à la dernière minute. Un fouet en métal s’abattit sous ses pieds de justesse et elle faillit perdre son équilibre une fois en face de son agresseur.

Ciara, Glenn et Luna l’observèrent en silence. L’une bouillonnante de colère tandis que les deux autres ne prononçaient pas un mot. Puis, une silhouette noire sortit d’un pas discret des arbres derrière eux dévoilant les cheveux blonds de Corry Arthus. Ce dernier les avait suivis sous l’ordre de sa majesté Amaël de Val.

  • Qu’est-ce que tu disais, Luna ? demanda Ciara sur un ton sarcastique, que Lila n’oserait jamais faire ça ?

La concernée baissa la tête, honteuse et chagrinée par les actes ce celle qui était censée être son modèle. Lila resta de marbre, observant les pas de Corry qui se voulaient discrets, tout en gardant un œil sur Ciara. Et dans un même souffle, ils s’élancèrent l’un sur l’autre.

Annotations

Vous aimez lire N. Kherbani ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0