Chapitre 5 - Shakir

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Quelques années déjà étaient passées, le souvenir de Kalina s'était tendrement endormi dans un coin de son âme. Les effluves de la petite fille qu'il avait connue le faisaient légèrement sourire lorsqu'il pensait à elle. Son odeur, ses mains, cette étreinte ... c'était une sensation qu'il avait rangée avec son innocence d'enfant. Vahan avait été contraint à bon nombre de sacrifices, l'année qui suivit le départ de Kalina résonnait comme une des pires de son existence. Il avait pris une rafale de responsabilités en pleine figure.

Son père, l'Empreur Shakir, avait quelque peu perdu la raison. Cela faisait quelques années qu'il n'était plus tout à fait lui même. La quête de pouvoir le rongeait. Il lui fallait toujours plus. L'Empire d'Urmak s'étendait déjà sur de nombreux territoires. Il instaurait un règne de la terreur, tous craignant l'armée d'U. Des guerriers surentraînés qui n'avaient ni foi ni lois. Ils maîtrisaient le Souffle de vie par le feu. Vahan était le Prince impérial de l'Armée d'U, il la présidait et prenaient toutes les décisions concernant l'armée. Son père avait commencé à céder doucement ses responsabilités à son fils en le guidant pour poursuivre sa revanche sur la Cité.

L'Empire d'Urmak s'était bâti une réputation terrifiante au fil de l'histoire, c'était un peuple élitiste et fort. La justice s'y voulait incisive, et il n'y avait pas de place pour les écarts. Certains pensaient que les habitants d'Urmak avaient besoin d'être dirigés par quelqu'un de puissant et invincible. Il existait beaucoup de traditions et d'usages, une en particulier résumait assez bien l'Empire.

Chaque année l'Empereur remettait en cause son titre, le père de Shakir avait ainsi pris la tête de l'Empire il y a quelques décennies. Il avait rapidement cédé le pouvoir à son fils pour que la lignée puisse perdurer. Il avait senti qu'il ne pourrait pas se battre pour la dernière fois. Le combat se tenait dans l'arène du coeur de l'Empire d'Urmak, des tournois avaient lieu en amont afin de faire sortir un seul favori. Les jeunes hommes affluaient de toutes parts pour tenter leur chance. Ils passaient leur temps à s’entraîner.

Cela faisait partie des raisons pour lesquels Vahan semblait obligé de se battre, de travailler encore et encore et de faire honneur à l'héritage de son père et de son grand-père. Il fallait qu'il mérite sa place d'Empreur. Et après tout, il n'avait grandi que pour ça. Il avait été formaté et préparé uniquement dans ce but. C'était son devoir, et son destin de prendre en charge toutes les responsabilités qu'avait engendrées sa naissance.

L'Empire avait pris des terres au Nord, ils avaient terrassé des villages entiers. Shakir avait expliqué à son fils qu'autrefois ces terres leur appartenaient et qu'elles disposaient de richesses infinies. Il voulait toutes les asservir et agrandir encore l'Empire afin d'encercler complètement la cité d'Om. Il commençait par les proies faciles pour finir en beauté avec la magnifique Cité d'Om. Vahan n'avait pas été convaincu par les désirs de son père qu'il lui trouvait un appétit déraisonnable et opulent. Toutefois les ordres étaient indiscutables.

Vahan avait pris goût à l'engouement que présentaient ces nouvelles conquêtes pour le peuple. Ils étaient acclamés et soutenus. Tous les conseillers qui entoureraient l’Empereur soutenaient ce dernier et donc incitaient Vahan à poursuivre les effusions de sang sans se poser de questions.

La pratique des arts martiaux, l'éducation à la guerre, les combats avec les précepteurs, Vahan avait très peu de temps pour lui. Il s’était endurci, aucune émotion ne s'échappait de sa mâchoire serrée en permanence. Il avait développé une musculature imposante, il pouvait tout écraser sur son passage. Sa maîtrise du Souffle était aussi considérable. Il brisait des os et pulvérisait des rochers.

Deux ans avant le retour de Kalina, l'Empreur Shakir était gravement tombé malade. Une sorte de fièvre étrange l'avait emporté. Il était resté mourant pendant des mois. Ses apparitions publiques se faisaient de plus en plus rares, le peuple avait tendance à se soulever et à clamer son mécontentement. Le leader d'Urmak ne pouvait demeurer souffrant. Les combats pour le titre approchaient et Vahan s'inquiétait pour son père, mais aussi pour l'état de la politique. Un soir d’orage, Shakir fit venir Vahan dans ses appartements.

Il était livide, sans forces et pourtant déterminé. Il ne pouvait que chuchoter et fit signe à Vahan d'avancer vers lui.

- " Mon fils, il est temps. Comme ton grand-père avant moi, tu dois m'aider. N’aies aucune crainte, c'est ainsi que les hommes de notre trempe doivent poursuivre leur destinée. Continue ce que j'ai commencé... "

Il lui attrapa le bras avec toutes ses forces restantes et lui glissa entre les doigts une dague. Elle était aussi froide que tranchante. Shakir tenait tellement fort la main de son fils, il l'approcha près de son cœur. Tout s’était bousculé dans la tête de Vahan, il était horrifié. Comment pouvait-il mettre fin au jour de son père de la sorte ? Puis il comprit. Le devoir, il n'y avait aucune autre issue. Shakir avait ainsi tué son grand-père avant cela et aujourd'hui il devait faire la même chose. À cet instant son âme s’était comme scindée en deux.

Il le fallait, il ferma les yeux. Le Souffle l'envahit, il le ressentit dans chaque partie de son corps. Il le devait, à son père, à sa lignée, et à l'honneur. Il rouvrit les paupières et planta la dague sans plus d'hésitation dans le corps déjà froid de son père. La douleur fut insupportable, cette brisure. Il se sentait déchiré. Il savait que cette image, cette cicatrice le hanteraient aussi longtemps qu'il pourrait vivre.

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