L'appartement voisin

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  • Enceinte !? Non mais je n'y crois pas ! Comment c'est possible ?, hurlait Thierry. Comment s'est possible ?, répétait-il.

Mickaël le regardait faire les cent pas avec un sourire en coin. Il était autant agacé par l'état d'énervement de Thierry que par la vente qui avait été annulée si près du but.

  • Si tu ne sais pas comment on tombe enceinte, je peux te faire un dessin. Sinon, fais une recherche sur internet, il y a pleins de sites spécialisés avec tout un tas de photos et de vidéos très détaillées et explicites, s'amusait-il en cherchant à piquer son partenaire au vif.
  • Arrêtes tes conneries !, hurla-t-il. Si près du but ! Tout ça parce que Madame est enceinte, elle pense ne pas pouvoir vivre avec un nourrisson dans un deux pièces ! Mes grands parents ont bien vécu avec leurs dix enfants dans une maison de trois pièces, tout est une question d'organisation ! Et pourquoi cherche-t-elle un deux pièces alors qu'elle tombe enceinte ? C'est qui cette gonzesse ?
  • Calme-toi, je suis certain qu'on va finir par y arriver. Les autres clients potentiels sont toujours en recherche ?
  • Je leur ai dit que le logement était signé, ils ont acheté à la concurrence. Tout ça à cause de cette...

Thierry fut interrompu par la sonnerie de son téléphone portable. Il décrocha à contre-coeur. C'était l'ancien client qu'il avait croisé le jour de la signature de l'appartement treize. Il avait eu vent de l'échec de la vente et souhaitait parler affaire avec Thierry et son architecte.

Thierry organisa la rencontre le lendemain, dans l'appartement numéro douze.

M. Somont, le propriétaire les accueillit avec une joie certaine. Ils discutèrent autour d'un café de l'appartement invendu, ce qui irrita quelque peu le promoteur.

  • Venez-en aux faits, que voulez-vous ? Vous voulez l'acheter ?
  • C'est exactement cela. J'aimerais me porter acquéreur de cet appartement, en effectuant quelque modification d'aménagement si vous êtes prêt à les financer.
  • A les financer ? Vous voulez que je prenne en charge l'intégralité des travaux que vous souhaitez ?
  • Tout à fait. Je vous l'achète au prix annoncé et vous prenez à votre charge les travaux modificatifs. A prendre ou à laisser. Et comme M. Duchemin est présent, je peux vous énoncer dès maintenant les modifications que je souhaite.

Thierry bougonnait et bouillait intérieurement. Il n'aimait pas le ton qu'employait son ancien client, mais c'était une piste pour vendre cet appartement, il ne devait la négliger. Il ne pouvait plus de le permettre. Aussi, il décida d'écouter les requêtes de M. Somont.

Son premier souhait consistait à créer un lien entre les appartements douze et treize. Pour cela, il allait falloir créer une ouverture dans le mur de béton. Thierry voyait déjà de gros chiffres s'aligner devant ses yeux. Faire venir un maçon pour découper ce voile est tout à fait réalisable, mais source de nuisances, risque de sinistre et à un coût certain. Il écouta le reste des requêtes, qui consistaient à revoir l'agencement des cloisons, déplacer la salle de bain ou à créer un sauna. Si Thierry acceptait toutes les demandes, tout serait à refaire, et vu le mauvais oeil qui planait sur cet appartement, le pari était coûteux et risqué.

Dès que M. Somont eut fini, Thierry se tourna vers son architecte :

  • A combien s'élèverait le montant des travaux ?
  • C'est à confirmer auprès des entreprises que l'on va consulter, mais nous sommes près des cent mille euros.

Thierry déglutit avec difficulté. La perte financière serait colossale. Il fit ses calculs à toute vitesse. Voilà sept ans qu'il peinait à vendre cet appartement, que des acquéreurs, commerciaux, entrepreneurs y avaient perdu beaucoup, que ce soit en finance, en santé ou en moral. Sept ans de souffrance pour en arriver là, c'était cher payé, mais il était prêt à en finir. Il le souhaitait plus que tout. Il accepta la proposition, signa les documents de réservation et les descriptifs de travaux. Avant de partir, le client demanda à ajouter une dernière requête :

  • J'aimerais supprimer l'accès du numéro treize. Après tout, je n'ai pas besoin d'avoir deux portes à mon appartement. Et je vous avouerais qu'au vu des mésaventures autour de ce logement, je commence à me méfier de ce nombre.

***

Deux semaines passèrent avec une lenteur folle. Le client ne se désista pas et la vente eut bien lieu. Le passage devant le notaire fut un moment de stress extrême pour Thierry : il imaginait mille scenarii, de l'intervention d'un gang armé à la chute d'un météore qui s'écraserita sur l'office notarial. Mais rien de tout ceci arriva. La vente de l'appartement fut signée dans les règles, sans aucun vice de forme ou de fond, dans les plus pures règles de l'art. Un vrai paradis juridique.

Le chantier se déroula comme un charme. Aucun accident de travail ne fut à déplorer, aucune mésaventure ni incident technique. Alain, architecte depuis maintenant trente ans, n'avait jamais eu affaire à un chantier aussi simple, et avec des entreprises aussi qualifiées, impliquées et méticuleuses dans leur travail.

La remise des clés eut enfin lieu, même s'il n'y avait pas réellement de clés à transmettre. Face au bout du couloir, là où se dressait il y a encore quelques mois la porte numéro treize, M. Somont se tenait entre la porte numéro douze et la porte numéro quatorze. Il souriait devant l’absence fantomatique de la porte disparue. Il rentra chez lui, dans son appartement agrandi à un prix défiant toute concurrence et verrouilla la porte. Il se dirigea vers un placard d'où il sortit un maquette que Thierry aurait immédiatement reconnue parmi des centaines.

M. Somont avait réalisé une réplique miniature de l'appartement treize dans dans sa disposition d'origine, avec une multitude de détails et de réalisme. Tout apparaissait : le parquet, les menuiseries, même les équipements de la cuisine et de la salle de bain avaient été reproduits fidèlement. Les murs de carton étaient criblés de minuscules trous et bon nombre d'épingles jonchaient le parquet miniature. Il retira une aiguille restée plantée dans un coin et retira une souche de bougie presque entièrement consumée qui trainait dans un coin.

Il explosa de rire, d'un rire sordide et grinçant, démoniaque et empreint d'une folie certaine. Il regardait avec amusement l'appartement miniature et s'exclama entre deux éclats de rire :

  • Finalement, mon vaudou est toujours aussi efficace !

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