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Quelques heures plus tôt

Entre quatre planches, ou presque

Crépitement d’un néon. D’un deuxième. D’un dernier. Tous libérèrent leur blancheur pour n’éclairer que faiblement l’espace aménagé pour l’occasion.

L’homme sur sa chaise continuait d’être endormi, la tête pendant vers l’avant. Quatre heures qu’il n’avait pas décroché de sa condition. Peut-être la dose de somnifère administrée de force avait été un peu trop lourd pour un gabarit comme le sien. Le faire émerger ne serait pas une partie de plaisir. Quoi que…

La première gifle imprima une trace du bas de la joue jusqu’au milieu du front. La tête vrilla, mais la réponse de sa destinataire resta décevante. Un léger grognement avant de replonger dans le silence. Craquement des doigts, étirements des bras et des épaules. Nouvel impact. Rempli de mauvaises émotions, le coup déplaça la chaise au passage. L’homme semble plus réceptif, ses yeux papillonnèrent, sa respiration plus bruyante, parsemée de mots incompréhensibles.

Encore une petite dose, juste pour s’assurer qu’il ne serait pas tenté de céder à la fatigue. Braguette du jean ouverte, la main gauche attrapa l’élastique du caleçon et l’autre se chargea de déverser les glaçons à l’intérieur. Sensation de froid instantané. Neurotransmission d’une agression thermique au cerveau qui activa les cinq sens en un quart de seconde.

- Putain ! Mais c’est quoi ce bordel ! hurla l’homme sur la chaise.

Nouvelle vague glaciale, mais à l’arrière du cou et dans le dos. L’homme jura tout ce qu’il put avant d’encaisser pas moins d’une dizaine de claques sur le crâne.

- Monsieur daigne enfin nous faire le plaisir de sa présence éveillé.

La lumière se réorienta pour l’éblouir. Un bruit de tabouret face à lui, un ombre à peine découpée dans le faisceau, un anonymat parfaitement préservé. Le silence qui suivit n’était teinté d’aucune émotion. Un instant neutre, ne laissant présager aucune suite en particulier. Mais l’homme n’était pas dupe, il en avait vu passer depuis qu’il fréquentait le milieu.

Les cordages à ses poignets et ses chevilles. Absence de taches, pas d’usure de la fibres, du matériel acheté spécialement pour l’occasion, juste pour lui.

- Si vous pensez pouvoir me soutirer quoi que ce soit, vous vous fourrez le doigt dans l’oeil.

Pas de réponse. L’ombre restait immobile.

- J’ai déjà subi ce genre de magouilles. Personne ne viendra me chercher. Personne ne paiera un seul centime pour moi. Vous n’avez rien à gagner.

- Tu vas fermer ta grande gueule ou pas ?

Sans attendre la moindre réponse, une masse un peu plus large qu’une balle de tennis surgit du halo lumineux et percuta de plein fouet le nez de sa cible. Un crac significatif, un cri perçant et un filet de sang. La zone vivra au rouge, puis au violet.

- Jocelyn Martin, dit l’Approvisionneur. J’ai eu du mal à te localiser, à saisir tes habitudes. Une véritable anguille, insaisissable, esquivant la plupart des appâts que j’ai pu lui tendre. J’ai même douté de ton implication dans les sombres affaires des hommes que je vise. J’ai dû m’employer, user de moyens peu conventionnels. Et puis, il y a eu ce paquet que tu as livré aujourd’hui, comme pour me rappeler que tu étais l’égal de ces fumiers.

La voix était calme, douce, racontant une histoire dans les intonations des personnes avait disparu. Un débit froid de faits et de conséquences, proche du présentateur du journal télévisé, le sourire en moins.

- J’ai besoin d’en apprendre un peu plus sur votre organisation, si je veux faire tomber des têtes. Et qui de mieux que celui qui constitue le rouage essentiel ? Le coordonnateur de toute cette belle mécanique glissant sous les radars de tous.

- Mais de quoi tu me parles ? Tu pètes les couilles là, vas droit au but !

- Tu sais très bien, mais… si tu insiste, je vais te rafraîchir un peu la mémoire, à ma manière.

Son visage se retrouva plaquer à un large morceau de tissu, assez pour englober sa tête et retomber sur le début de son cou. Sa respiration s’accéléra, un peu plus encore lorsqu’il sentit son corps basculer vers l’arrière.

- Bien, voyons si le caïd en toi est si fort qu’il le prétend.

Un claquement de doigts.

L’eau commença à se déverser sur le torchon, l’imbibant avec excès très rapidement. Jocelyn bloqua sa respiration, ses poumons remplis du plus qu’il le put. Il sentit le tissu coller à la bouche et son nez de travers, ses voix de respiration obstruées dans la seconde suivante. Résister à la peur, se concentrer sur un élément externe. Son corps en décida autrement et la panique s’accrocha à son esprit. Ouverture de la bouche enquête d’oxygène, chaque inspiration ne lui procurait qu’une résiduelle quantité d’air.

Claquement de doigts, fin du premier round. La minute qui s’écoula lui parut interminable.

Son corps retrouva une position normale avec les quatre pieds de la chaise au sol. Le tissu gorgé d’eau tomba sur le sol, libérant Jocelyn de son entrave. Il cracha l’excédent d’eau dans sa bouche et inspira un maximum d’air. Son torse se souleva en continu, comme le gonfleur d’un matelas pneumatique actionné par la pression d’un pied et relâché après un écrasement total.

Le jerricane vidés de ses cinq litres ricocha sur le sol pour finir dans le champ visuel du captif. Un avertissement pour la suite. Un rappel à l’ordre pour toute volonté d’opposition ou de rébellion. Sa souffrance pourrait être bien plus insupportable. Son kidnappeur voulait s’assurer qu’ils se comprenaient, sans aucun malentendu.

- Bien, reprenons. J’ai en ma possession un carnet, rempli d’informations très intéressantes. Je l’ai subtilisé à son propriétaire qui tentait de l’enterrer dans les bois. Il était codé.

Jocelyn esquissa un sourire qui lui arracha une grimace de douleur dans la foulée.

- Rassure-toi, j’ai réussi à trouver la clef pour lire entre les lignes, ou plutôt la personne qui oeuvre actuellement en ce sens. Je ne suis plus aussi patiente qu’au début, j’ai besoin d’en savoir plus dès maintenant.

- C’est con. Mais je m’en fous.

- Pas moi, Jocelyn. Ton prénom y est noté à plusieurs reprises. Ton surnom, si tu préfères. Et ça, vois-tu, ça me satisfait puisque tu vas me livrer une partie de la vérité. Une pièce d’un puzzle qui me mènera bout de ma quête. Que tu le veuilles ou non.

- J’ai rien à dire, vous êtes complètement barré.

L’ombre prit un peu de recul dans un soupire. Ils étaient tous pareils, personne pour lui faciliter le travail. Grand bien lui fasse, si les griffes devaient être sorties pour radoucir le caractère trempé de cet imbécile, alors il serait servi. Et pas qu’une fois.

La silhouette pivota à cent quatre-vingt et croisa ses bras, tête rehaussée.

- Entendu, je vais me montrer un peu plus persuasif.

Une force attira Jocelyn vers l’arrière. Chaise inclinée à soixante degrés, le linge trempé lui fouetta le visage avant de le mouler avec une précision chirurgicale. Déjà l’homme sentait son corps se mettre en situation d’urgence, la panique affluant dans ses veines.

Le liquide coula droit sur son nez amoché et se répandit. Le surplus s’attaqua aux narines et aux lèvres de la victime sans relâche. Un coup dans l’estomac accéléra les choses. L’onde de douleur se propagea et force Jocelyn à crier. En contrepartie, il n’eut droit qu’à plus d’eau et de suffocations.

Le poing fermé s’abattit sur chacune des deux cuisses tel un poids en chute libre depuis le haut d’un bâtiment de quatre étages. La souffrance monta d’un cran. L’homme chercha à faire céder ses liens inviolables. Sans succès. Le supplice perdura d’interminables secondes.

Le bourreau bascula sa proie vers l’avant. Retour sur terre et grandes bouffées d’air une fois la face dégagée. La thorax, en paralysie, se mit en hyper activité pour réalimenter son propriétaire. Chaque spasme des cordes vocales était suivi d’une bruyante inspiration, synonymes d’une souffrance montante.

- Combien de temps vas-tu tenir, à ton avis ? Une, deux ou même trois autres fois ? Tu veux lancer un pari ? J’adore, je gagne toujours.

Le visage rougie, le regard noir malgré des veines éclatées dans les sclérotiques telle la foudre craquelant dans la nuit, Jocelyn ne répondit pas à la provocation.

- L’intimité de ta vie, je m’en tape. Coopère et donne-moi juste ce que je veux. Tu repartiras, je m’y engage. Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer.

- Te fous pas de moi, putain de psychopathe.

- Joli compliment, j’apprécie.

L’homme ne semblait pas prendre la mesure des choses. Refouler une crise d’énervement et un déchaînement de haine, accélérer le rythme quitte à ne pas prendre la part de plaisir comme prévu. Il ne livrerait pas ses connaissance avant un bon moment sans cela. Le temps filait, le soleil se levait dans moins de deux heures et la liste des tâches ne désemplissait pas.

Bruits sourds dans les zones d’ombre. À gauche. À droite. Dans son dos aussi. Jocelyn plissa les yeux pour tenter d’apercevoir ce que préparait son regrettable visiteur. La source de lumière était positionnée avec précision pour lui obstruer la vue quelle que soit sa position. De la ferraille, tomba sur le parquet. Trop peu pour réveiller les voisins, assez pour qu’un frisson s'invite tout le long de l’échine de Jocelyn.

Les préparatifs continuèrent, s’éternisèrent. Subtile mélange entre un conditionnement psychologique pour mieux secouer cette proie de choix et minutie des techniques utilisées. La perceuse de poche tourna juste une seconde avant de retourner dans le sac. Le frétillement d’un arc électrique produit par un taser. La mécanique huilée d’un chargement d’arme de poing. Jocelyn les reconnut tous.

Pas le temps de changer d’avis sur sa coopération qu’il repartit en arrière. L’eau fut plus froide cette fois. Une morsure répétée par intervalles de quinze secondes entrecoupé d’un bref répit aussi long. La tige de bois claqua sur les abdominaux dévêtus, encore et encore. Le tuyau en fer prit le relai et fissura plusieurs cotes dont certaines rompirent à la salves suivantes. Le corps entier de Jocelyn déposait les armes sous la torture et les coups portés.

Cinq minutes qui fracassèrent les dernières espoirs d’une résistance. L’homme bredouilla quelques mots sous le tissu. Son tortionnaire souleva l’extrémité et écouta :

- J’abandonne, je vais tout vous dire, pleura Jocelyn aux bouts de ses forces. Je vasi tout vous dire, mais par pitié, arrêtez… Arrêtez…

- Je le sais, mais pas tout de suite.

Le torchon reprit sa place. Nouvelle vague. Asseoir sa domination sur l’esprit affaibli pour le brisé à jamais, ne pas avoir de pitié ni de regrets. L’eau coula en continu. Les suffocations était bien plus violentes, le tissu rentrait presque dans la bouche sans jamais en sortir totalement.

Le vice poussait à son extreme, il fallut que l’asphyxie de Jocelyn l’entraine aux frontière du coma pour que le sévisse cesse et que le dialogue reprenne.

- Maintenant, je t’écoute. Et sois convainquant, ordonna la voix.

- C’est… Manencier ? C’est lui que tu veux ?

- C’est un bon début.

- Il fricote avec un nouveau… un mec qui gère un… entrepôt pas loin de… de… j’arrive pas à me rappeler.

Les différentes phases avaient du priver son cerveau d’oxygène un peu trop souvent. Difficile de trouver une information précise dans un labyrinthe neuronale chamboulé.

- Un prénom ? Une ville ? Fais un effort avant qu’il ne prenne l’envie de te transformer en feu de joie.

- Euh… Rado… Raodovik, un truc comme ça…

La bouteille d’essence s’allongea sur le sol, délivrant son liquide et son odeur caractéristique. Jocelyn n’eut pas besoin de plus pour comprendre que la folie s’était invitée dans son salon et qu’il allait bientôt sombrer lui aussi.

- Ra… Ra… Radonic ! Pitié, pitié.

- Où je le trouve ton gars ?

- Dans l’Eure, un hangar sur Val de Rueil. Je sais rien de plus, je le jure.

L’intrus se frotta les mains. Objectif atteint, même si tout ne s’était pas déroulé aussi limpidement qu’espéré à l'origine. Il avait été coriace, mais il avait fini par cracher le morceau. Ils le feraient tous, tôt ou tard. Personne ne résistait jusqu’à son dernier souffle, l’instinct de survie plus fort que tout.

- Tu vois quand tu veux.

- Relâche-moi… s’il te plait.

- J’ai apprécié cet échange, très instructif et particulièrement dynamique.

Il était temps de mettre les voiles pour préparer la suite des hostilités. Radonic… ce nom ne lui disait rien. Le carnet contenait peut-être de quoi clarifier la situation et le sort à lui réserver. Seuls les coupables devaient payer leurs dettes.

La lumière disparut. L’ampoule s’éparpilla sur le sol dans un fin bruit de fracas. Une flamme s’éleva doucement sur la table, à deux mètres droit devant. Une bougie qui allait se désagréger jusqu’à disparaît telle une âme consumée.

Jocelyn paniqua et continua de se remuer sur sa chaise, toujours en vain.

- Tu as promis. Tu as promis !

La chaise s’inclina une dernière fois. Cagoule sans aucun trou et torchon légèrement humidifié sur le visage. Le tuyau relié au bidon de vingt litres goutta, puis échappa un filet d’eau avant d’être régulé par la main d’un bourreau satisfait. Le liquide glissa sur son corps, le sol accueillit ses premières gouttes.

Jocelyn s’agita sur sa chaise, tenta d’hurler avant que le tissu ne lui coupe la parole à tout jamais.

- Au fait, tu avais raison, j’ai un côté psychopathe parfois.

La porte se ferma dans un grincement mortel.

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