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24 septembre 2022 – 22h00

Paris - Brigade criminelle

Da Costa presse le bouton de la machine à café qu’il avait rapatrié sans aucune validation et retourna s’asseoir à son bureau. La bécane brouta puis entama son cycle, chauffant l’eau avant de la déverser dans le filtre blindé d’une poudre différente de celle qu’il avait croisé si régulièrement au début de sa carrière.

Après leur escapade dans l’intimité personnelle et professionnelle de Jordan Belcourt, le lieutenant et sa coéquipière avait contacté Bauroix et Levalet pour un point d’étape. L’heure tournait et fixer les actions à mener avant de fermer la boutique était la priorité. Les découvertes de deux binômes interrogeaient tant par leur caractère troublant que par l’esquisse d’une sombre histoire qu’elles dessinaient.

Le vieux loup des mers avait ordonné un retour des troupes pour mettre en place un brainstorming, mais avant tout se restaurer.

Dans sa fâcheuse habitude, Gabriel avait passé une commande pour toute l’équipe sans même prendre le temps de consulter les envies du moment. Le plaisir de déguster un bon plat attendrait la clôture de l’enquête. Adieu les régimes et autres bonnes résolutions. Les sacs arrivèrent un quart d’heure après le coup de téléphone. Barquette de raviolis aux épinards et une part de moelleux au chocolat, un repas digne des grandes soirées du 36, rue Bastillon, qui satisferait les panses après une journée à rallonge qui n’en finissait plus.

Le capitaine s’adonna à la distribution avec toute la nonchalance d’un homme au ventre vide, prit place dans son fauteuil qu’il fit glisser jusqu’au tableau principal et n’attendit personne pour attaquer. Un coup de fourchette et, la bouche pleine, il ouvrit la séance :

- Olivio ou… Lotta ? Oui, c’est ça, Lotta. Si vous voulez bien nous faire un résumé de votre expédition chez la victime.

- Jordan Belcourt, 26 ans, analyste chez SEGMA, entreprise de la banlieue parisienne. Il a été vu pour la dernière fois mardi soir pendant un after-work avec certains collègues dans un bar du Ve arrondissement. Aucune nouvelle depuis qu’il a quitté les lieux vers deux heures du matin.

- Le patron ?

- Un dénommé Samy Lespiot, il ne s’est pas inquiété ce matin en constatant l’absence de notre victime, sans trop se justifier.

- Deux à trois jours qu’il nous faudra reconstituer, indiqua Levalet en griffonnant le tableau de son marqueur. Le rapport détaillé de Carlotin sera disponible demain.

Le capitaine se leva, mit sa barquette dans le sac vide et étira son dos en levant les bras vers les quatre tubes blancs du plafond. Son regard décrypta les données au fur et à mesure qu’elles étaient ajoutées par le lieutenant. Son écriture digne d’un enfant de cours préparatoire n’évoluerait jamais, mais l’oeil du gradé s’était adapté un peu plus à chaque enquête à ce qui relevait plus des hiéroglyphes d’ancienne Égypte qu’à l’alphabet français.

- La boite aux lettres vide. Pas de présence féminine. Un célibataire dans toute sa splendeur, qui plus est négligé, pour le numéro complémentaire. Pas d’histoire avec le voisinage aux dires de leur gardienne.

- Et cette histoire de notes ?

- Récurrence dans ma méthodologie d’écriture, enchaîna Lotta, peu d’éléments. Le type cherchait à être discret sur cet aspect de sa vie.

Les notes sur l’ordinateur et celle manuscrite accrochée sur le frigidaire. Un appartement négligé, à la limite de passer pour une chambre d’étudiant en pleine crise existentielle. Deux éléments qui contrastaient dans la tête de Bauroix. La rigueur d’un esprit rodé au milieu d’un laisser-aller total.

- Le bonhomme est connu de nos services. Le TAJ nous indique une condamnation en 2017. 3 mois avec sursis et mise à l’épreuve pour des faits de violence. Quelques noms dans le dossier, mais rien à en tirer de plus.

- Et là, c’est lui qui a ramassé. Le karma, je vous le dis, Puissance de l’univers. Ça finit toujours par vous retomber dessus quand vous faites de la merde.

- Ouais, comme nous les briser avec tes conneries.

Da Costa se redressa dans son siège et adressa brandit son majeur droit à destination de Bauroix. Ce dernier fit tourner sa main gauche à côté de la droite tout en dépliant son propre majeur. Lotta assistait à une scène irréaliste et dont elle n’aurait jamais pu en imaginer les contours. Elle réprima un sourire et se déconcentra sur la glisse ininterrompue du feutre d’Edouard.

- Quand ces messieurs nous feront le plaisir de mûrir, nous pourrons passer à l’entourage connu de la victime.

- Accouche, le provoqua Bauroix les bras croisés sur son torse qu’il gonflait artificiellement.

- Olivio et Lotta ont découvert des cristaux dans un sachet planqué en-dessous d’un tas de feuilles dans le tiroir du bureau de notre suspect. Assez pour faire planer non-stop une dizaine de personnes pendant une semaine. De notre côté, trois cent cinquante grammes sous forme de poudre.

- Une origine identifiable, sans le bordel des labos ?

- Cannabis, non. Aucune odeur caractéristique, intervint Olivio le doigt sur le nez. Après, pour tout ce qui est cocaïne, héroïne, MDMA, c’est mort pour avancer sans un appui, donc sans être ralenti par la paperasse et les délais.

- Edouard, tu contactes le substitut de permanence. La réquisition, c’est dans l’heure. Il faut faire accélérer les analyses des deux substances. Ils vont nous sortir la classique « surcharge », on va faire monter le papelard au-dessus et les résultats seront là demain soir. Si on a un lien, on renvoie la patate chaude à la brigade des stups. Ça serait un sacré poids en moins pour recentrer nos efforts.

Bauroix s’exprimait en parcourant la pièce, comme il avait toujours procédé. Que le moteur soit la drogue ou non, il savait que tout allait se jouer dans les quarante-huit premières heures. Au-delà, la minorité intelligente des criminels avait pour mauvaise habitude d’effacer ses traces.

- Les camés et leurs approvisionneurs ne sont jamais loin les uns des autres. Deux pour le prix d’un, c’est les soldes toute l’année avec ce genre de crapules.

Da Costa fouilla dans ses notes en pagaille sur le coin de son bureau.

- J’ai lancé une requête auprès du responsable SALVAC pour qu’on puisse s’appuyer sur d’éventuels rapprochements. C’est maigre, mais on ne sait jamais ce que la bécane peut nous recracher.

- Parfait. L’entourage de notre gros lot, des informations exploitables ? Et notre suspect ?

Levalet claqua des doigts pour retrouver l’attention perdue de ses collègues. Il aimanta une fiche judiciaire puis reprit un peu de distance pour avoir une vue d’ensemble.

- Gaëtan Mangesa, né le 7 mai 1994 à Argenteuil. Rappel à la loi sur la consommation de stupéfiants à 16 ans. Salarié dans la même entreprise que la victime. Une dizaine de courriels menaçants à Jordan Belcourt. On a récupéré son ordinateur pour les techniciens. Les deux étaient en rivalité sur un projet depuis un an et notre victime semblait être la reine des coups fourrés. L’atmosphère était électrique entre eux, si on en croit les différents témoignages des autres collègues.

- On a une adresse sur Vitry-sur-Seine. Olivio se leva pour quitter la pièce, papier à la main. J’envoie une équipe en repérage et planquer.

- Bien joué, on le tape à 6 heures pétante si c’est positif. Appui du RAID obligatoire avec de la drogue sur la table. Je me charge de la demande.

La mécanique en cours de rodage fut interrompue par un signal sonore. Bauroix tourna à peine la tête, les racines de l’enquête se fixant dans son esprit. Edouard Levalet regagna son bureau et afficha à l’écran le résultat de sa recherche en quelques clics de souris.

Un coup d’impression le temps d’une rapide pause. Chacun vaqua à ses occupations durant les dix minutes de battement. Tous sauf Lotta. Devant le tableau, elle continuait de peaufiner sa prise de notes. L’arrivée d’une tête inconnue dans l’équipe la rendait nerveuse. Sa peur de commettre une erreur était une hantise permanente, décuplée à présent. Lui semblait être un chevronné, un mec forgeait au marteau de l’horreur humaine, sous les coups de la noirceur de l’âme. Elle devait en apprendre plus sur lui pour se libérer de sa propre croix.

Levalet reprit la parole, un sourire plein de fierté accroché à ses lèvres :

- J’avais lancé une petite recherche après ma lecture sommaire du dossier de procédure.

- Il a bien été formé, le petit gars.

Sur la feuille A4, le portrait d’un homme aux origines latines. Cheveux courts, le visage fermé avec un premier tatouage au creux de l’œil et un second s’étendant d’une partie de la joue jusque dans le cou. L’identité de l’homme restait vierge, le contenu de son casier compensait outrageusement ce vide.

- Je vous présente Chiquito. Surnom d’un gars cité dans plusieurs dossiers pour trafic et violence. Des condamnations, un tour en cabane pendant 6 mois pour de la récidive. Un cran au-dessus de notre victime et de son collègue.

- Il a la tête de l’emploi. La pêche va nous remonter de quoi le griller une bonne fois pour toute.

Bauroix se leva et ferma son dossier. Il en avait assez entendu pour avancer sans polluer le fil de sa réflexion interne par un surplus. Sans filtre, il remit les trois acolytes en ordre de bataille.

- On a du pain sur la planche si on veut pioncer un minimum. Au boulot.

Sans un mot de plus, il quitta la pièce.

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