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24 septembre 2022

Plongé dans les ténèbres…

La notion du temps, une notion qui perdait tout son sens une fois plongé dans le noir.

L’absence de tout. En apparence au moins. Et pourtant, tout un univers se déployait une fois l’obscurité complète, autour de soi, mais aussi à l’intérieur de soi. Ce qui n’avait que peu de valeur devenait essentiel. Une vie que l’on mettait chaque jour en jeu par des décisions sensées sur l’instant s’interprétait comme impensable une fois dans les ténèbres, si proche du néant.

Tamara avait commencé par compter les secondes. Un rythme qui s’essoufflait avant de repartir de l’avant, mais bien trop rapidement pour conserver sa cohérence. Le claquement des doigts, une alternative pleine d’espoir, mais dont la mélodie répétitive rendait fou n’importe qui en peu de temps. Chanter sa chanson préférée, dont on connaît chaque note, chaque mot par coeur, le temps de joie qu’elle nous procure… la première fois seulement.

Et cette foutue entrave qui l’empêchait d’explorer sa prison, de trouver une solution pour fuir le plus loin possible, mais… de qui ? De quoi ? Où se trouvait-elle ? Dans une forêt à l’autre bout du monde ou bien plongée dans les entrailles de la terre là où aucun signal ne lui permettrait de contacter les secours ?

Trop de questions, une seule et unique réponse : le silence absolu et son incontournable acolyte, la peur.

La mémoire ne lui revenait pas. Malgré tous ses efforts pour reconstituer les derniers souvenirs qu’elle avait, tout restait flou dans son esprit. Les rires de ses amis étaient si lointains, les odeurs si atténuées. Qu’avait-elle mangé et bu avant de basculer dans l’inconnu ? Maudite mémoire ! Toujours aussi défaillante, et même pire que pour l’interrogation de maths !

Privée de l’efficacité de tous ses sens, elle se sentait mise à nue, incapable de réagir face au moindre danger qui se présenterait à elle. Et il viendrait, aucun doute sur ce point. Elle n’aurait plus qu’à prier, comme un dernier rempart divin s’opposant avec succès à tout en ce bas monde. Une croyance que la faucheuse adorait entendre sur le bout des lèvres de ses victimes.

Un grincement. Un seul. Court. À peine perceptible.

La jeune femme crut à une affabulation de son esprit, un façon comme un autre de se défendre contre les griffes de la folie qui déjà la guettaient. Le silence n’avait été troublé que par le sifflement du vent. Un écho parfois lointain, parfois au plus près d’elle.

- Te voilà enfin réveillé, dit une voix sortie de nul part.

Tamara sursauta puis se recroquevilla les genoux entre ses bras, près du torse. Si d’aventure, elle avait une fois pensé avoir eu la peur de sa vie, celle-ci fut mille fois plus terrifiante. Sa respiration lui nouait la gorge, compressait ses poumons, et elle était incapable de la réguler.

Ses yeux en parfaits explorateurs à l’aveugle sur un chemin indéfinissable tentèrent d’attraper au vol un indice sur l’origine de cette vibration sonore qui restait pour elle une création de son imaginaire. Le manque de sucre après autant de temps coupé du monde, voulut-elle se convaincre.

La voix s’exprima à nouveau :

- Je suis ta seule issue et tu es ma seule chance. Toi et moi, nous sommes deux moitiés inséparables pour voir un jour le soleil se lever sur nos avenirs.

Le ton était neutre, dénué d’émotions. De quoi foutre la chair de poule au premier venu. Mais qui prendrait le risque de fourrer son nez dans un tel lieu ? Et de quel endroit parlait-elle ? Tamara se déconcentra sur la voix. Elle crut d’abord reconnaître un son naturel de son oreille droite, mais elle changea d’avis quand l’annonce suivante lui parvint de sa gauche.

- Je ne te veux pas de mal, mais je n’ai pas le choix. Tu es l’unique à pouvoir accomplir cette tâche, clef de voûte de mon plan.

- Qui êtes-vous ! hurla la fille.

- Chaque chose en son temps. Laisse-moi d’abord t’exposer les règles et conditions de ta survie.

Cette fois, les mots lui venaient d’une source droit devant elle. Une musicalité si glaciale que Tamara frissonnait à chaque mot avec la désagréable impression qu’une lame de couteau glissait sur son cou, prête à lui entailler la peau à la moindre erreur.

- Un précieux objet que je possède se refuse à ma compréhension. Je n’ai jamais eu le talent de lire entre les lignes, encore moins un tel charabia. Mais toi, tu le peux, Tamara.

Entre son prénom résonner fut un choc qui figea la captive.

- Mes actions dépendent de toi. De ce que tu trouveras au coeur de cet enfer. Je saurai me montrer d’une extrême bienveillance envers toi si tu joues le jeu et que tu me permets d’accomplir.

- Ils disent tout ça dans les films… mais ils mentent tous ! Vous êtes comme eux ! Je vous tuerai !

- SI-LEN-CE ! s’emporta la voix dans un coup de sang spontané.

Tamara se figea à nouveau. L’épreuve de la force ne lui avait pas été favorable. A quoi s’attendait-elle, enchaînée dans une geôle comme un animal. Son ravisseur contrôlait la situation dans son entièreté, il en faudrait sûrement plus pour inverser les rôles et reprendre les commandes. Le terrain de la provocation n’était pas la solution. Elle considéra ses autres options.

- Et si je refuse, qu’allez-vous me faire ? Me tuer ? Mais vous n’obtiendrez jamais les réponses que vous souhaitez avoir. Vous êtes coincé, je ne coopérerai pas !

La pièce resta dans un silence religieux à peine une minute. La fillette avait repris étonnamment du poil de la bête et elle faisait preuve d’une grande intelligence dans sa réflexion. Elle n’était pas encore totalement brisée, fragile certes, mais avec un tempérament animé par une flamme vaillante.

Doucher ses espoirs et rester l’étau autour de son cou, une possibilité. Non, une nécessité.

- Il mourra.

- De qui me parlez-vous ? Qui mourra ? questionna Tamara.

- Ton père.

La claque verbale scotcha la prisonnière. Comment… Comment l’existence de son paternel avait-elle pu être découverte ? Elle qui s’acharnait à préserver aux yeux du monde sa situation familiale. À part ses meilleurs amis et sa soeur, personne ne connaissait son père et encore moins toute la complexité qui l’entourait.

Sa fougue, fer de lance de sa révolte, s’était fendue au premier obstacle pour n’être, au finale, létale que pour elle-même. Elle se résigna bien plus vite que ne l’aurait imaginé son adversaire.

- Très bien.

- Sage décision. Cependant, ne t’avise pas de trahir ta parole. D’essayer de me duper. De vouloir me doubler à un quelconque moment. Tu en payerais le prix de ta chair et de ton âme. Retrouver ta liberté ne sera alors qu’une vulgaire illusion, un poison qui lentement te rongera jusqu’à ton dernier souffle.

Un oeil de lumière se distingua avec douceur dans un coin de la pièce. Les pupilles de Tamara se rétractèrent instantanément, ses paupières quasi closes en guise de protection en plus de ses mains. L’adaptation aux nouvelles conditions fut rapide. Une caresse d’un réconfort incroyable, une lueur dont la signification allait bien au-delà de toute espérance.

Autour d’elle, de la pierre. Elle n’avait pas besoin de ses lunettes pour reconnaître cet élément sur lequel elle évoquait tous les week-end durant ses sessions d’escalade en plein air. Les formes était rectangulaire, naturellement irrégulière dans leurs proportions et encore plus avec sa vue qu’elle détestait un peu plus à présent. Elle ne voyait qu’à un petit mètre devant elle, trop peu pour détailler sa cellule.

Une main masquée par un gant noir pénétra par surprise dans son champ de vision. Elle tenta de reculer, mais son dos collait déjà le mur du fond. Face à elle furent déposés une boîte et sur le couvercle, une assiette en carton avec un sandwich et un verre d’eau.

Tamara hésita un instant. Ce devait être un test de la part de son geôlier, voire pire, un piège qui l’emporterait à tout jamais. La main réapparut, saisit le mets pour le faire disparaître dans la partie de la pièce toujours plongée dans le noir total. Quelques secondes plus tard, le casse-croûte reprit sa place dans l’assiette, amputé d’un coup de dents en forme de demi-lune.

- Le poison du plaisir gustatif pour satisfaire l’appel de la panse. Tu devrais te laisser tenter, tu auras besoin d’énergie à partir de demain.

Plus aucun son ne s’extirpa de l’ombre. Le temps se mit de nouveau à s’allonger, inlassablement, mais la tache brillante au dessus d’elle persista. Tamara engloutit le sandwich sans le savourer, méfiante et sur le qui-vive. Une gorgée d’eau pour hydrater sa bouche, une seconde pour se sentir vivante au milieu du vide.

Cette boite, pourquoi la lui avait-on apportée ? Sa curiosité avait toujours été un défaut exploité à n’en plus finir par son entourage. Elle avait accumulé les ennuis à chaque fois, ne retenait jamais la leçon. Et tel le papillon attiré par cette lumière qui lui coûtera la vie en lui grillant les ailes, Tamara ne résistait pas à l’appel, prête à assumer les conséquences de son choix insensé.

Elle se déplaça au plus près de l’objet, retenue par une unique entrave. L’inconnu lui avait ôté la chaîne de son poignet droit et elle ne s’en apercevait que maintenant. Elle se tapa le front avec la paume. Bras tendu, ses doigts marchèrent sur l’arrêt du coffret, puis sur le dessus pour rapprocher la boîte et s’en emparer. La manoeuvre se conclut par un véritable succès qui lui décrocha un sourire s’effaçant l’instant d’après.

Sans attendre, elle retira l’attache et le couvercle bascula pour libérer un contenu qu’elle espérait utile à sa survie. Sous ses yeux, elle reconnut immédiatement ses lunettes qu’elle enfila dans un soupir de soulagement. Enfin, un signe positif. Tu vas pouvoir y voir un peu plus clair. À peine sa vue redevenait-elle normale que l’intensité de la lumière se mit à faiblir. Elle devait faire vite.

Tamara replongea la main dans le contenant en bois et fit émerger deux autres objets qu’elle n’identifia pas tout de suite. La lumière continuait de décroître, il fallut plissait les yeux pour que la jeune femme comprenne qu’elle avait entre ses main un carnet, assez ancien au jugé de l’état de la couverture. Elle n’aurait pas le temps d’en lire le contenu et tâta leçon pour retrouver l’autre trouvaille. Elle la porta à une trentaine de centimètres de son visage.

Une photo d’un homme plein de vie et heureux d’être avec les siens dans un jardin. Tamara la reconnut. Le soleil éblouissait cette magnifique journée dans sa tête. Un flot d’émotions pour un souvenir qui aurait dû être l’un des plus beaux dont elle puisse se remémorer.

Il lui creva le coeur. Les larmes montèrent.

- Papa…

Et l’obscurité s’abattit sur la pièce.

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