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24 septembre 2022 - 16h45

Paris - Brigade criminelle


Un hurlement rompit le silence quasi religieux de l’étage.

Bauroix s’était figé à la seconde où son regard s’était posé sur son bureau. Il quitta le cadre de la porte à moitié ouverte et s’approcha d’un pas prudent, perturbé par sa découverte. Il tourna autour du meuble, scrutant son espace vital avec méfiance.

Un choc, une incompréhension.

Plus une seule boule de papier par terre. Une nouvelle chaise sans aucun stigmate. Des dossiers triés et ordonnés sur la partie droite, une lampe et un écran d’ordinateur réajustés. Des stylos neufs dans un pot à l’effigie de la police et…la poubelle vidée.

Désorienté par les mois d’absence, il s’était sûrement trompé d’endroit. Les réorganisations étaient une monnaie courante après tout, un jour au deuxième et le suivant trois étages plus haut. Mais il reconnut sur le mur d’en face le large tableau qu’il avait fait réinstaller lors de son arrivée à la brigade, comme à chaque relocalisation.

Son univers entier avait fait l’objet d’une attaque déloyale, dans son dos. Une trahison orchestrée qu’il n’oublierait pas. Hors de question de rester les bras croiser sans agir. Il renversa la pile de dossiers et posa sa tasse à café dégoulinante dessous. Son postérieur calé dans un siège qu’il venait de dérégler autant que possible, il déposa ses pieds sur le bureau et tapota avec un stylo sur la tête de sa lampe.

Le lieutenant Levalet aurait dû se douter de la réaction de Bauroix. Il allait tout remettre d’équerre et vite, prêt à défendre son territoire sur lequel il n’admettait aucun changement. Le capitaine de police était incorrigible. Rentrant à son tour dans le bureau, le jeune flic s’installa directement derrière son écran pour échapper à la réprimande. Mais la patrouille le rattrapa sans aucune difficulté.

- Petite saloperie… Profiter de mon absence pour réorganiser mon magnifique écosystème.

- Une porcherie, Gabriel.

- Ne me provoque pas, le maniaque. Je suis en forme olympique.

Répondre eut été la pire des options, garder le silence la plus sage. Mais les règles n’étaient pas si aisées avec cet homme. Une demi-seconde de retard pour réagir et le lieutenant Levalet se retrouva sous l’assaut de son supérieur.

D’un pas rapide, le capitaine s’empara du bloc-notes de son subordonné, sans qu’il ne lui oppose de résistance. Il y dessina un doigt d’honneur au feutre noir et inscrit en dessous « fuck la police ». Son œuvre terminé, il balança son œuvre sur le bureau.

Un bref coup d’œil, sans commentaire.

L’homme regagna sa chaise et ouvrit le premier dossier à portée de main. Comme à son habitude, une lecture en diagonale lui suffit pour identifier la nature de l’infraction : une affaire d’escroquerie en bande organisée. La fermeture du support fut immédiate. Hors de question de traiter ce genre de délinquance, il ne s’y s’abaisserait pas. La pochette cartonnée termina sa trajectoire sur le sol.

- Il va falloir t’adapter, Gabriel. Les gros dossiers ne concernent plus que les crimes de sang. On a hérité de toutes les appropriations frauduleuses lorsqu’elles sont commises en BO.

- Rien à faire. Je ne suis pas là pour ce genre de foutoir.

- Ce sont les règles d’en haut, tu ne peux…

Levalet n’eut pas le temps d’aller plus loin qu’une cinglante réplique fusa :

- Garde tes règles à la con. Vous êtes incapables de me les faire respecter. Explique-moi un plutôt ce dossier pour lequel tu m’as sorti de mes vacances offertes par la hiérarchie. Ça sera plus utile.

Edouard Levalet laissa échapper un soupir avec discrétion.

Dossier à la main, il se dirigea vers le tableau général et aimanta plusieurs clichés sur la partie haute. Sous la première, il dessina en rouge un rond barré suivi du mot « identité ». Le lieutenant précisa la sexe, la taille et le poids approximatifs.

Olivio et Lotta firent irruption dans la pièce pendant la préparation. L’homme s’arrêta, ouvrit grand les bras avec un large sourire et pressa le pas pour aller saluer Bauroix. Une tape amical dans le dos, quelques mots pour la forme et chacun regagna sa place. La femme conserva ses distances, les yeux rivés sur le nouveau venu.

- Noldssen, c’est le légendaire Gabriel Bauroix, le flic le plus… le moins apprécié de France, lança Olivio. Ce mec est un génie, tu verras.

Elle inclina timidement la tête, les joues rosit par le caractère embarrassant de la situation, et s’installa sur la dernière chaise de libre.

Le tableau s’était rempli en un éclair. Feutre Velléda noir à la main, Levalet débuta son exposé :

- Nous avons été contactés ce matin à 7h00…

- T’écris toujours aussi mal, coupa Bauroix.

- …par la responsable de la police municipale sur le secteur de Ville-d’Avray après la découverte d’un corps sans vie par deux agents répondant à un appel radio. Un voisin leur a signalé, je cite, « d’étranges comportements autour de la maison voisine ». Devant l’insistance de l’homme, ils ont envoyé une patrouille pour faire le point.

Le lieutenant tapota la première image pour attirer l’attention de ses trois partenaires.

- La victime. Un homme proche de la trentaine dont l’identité nous échappe. Lotta, du nouveau sur ce point ?

- Les empreintes palmaires, bien que partielles pour certaines, sont suffisantes pour la base. J’ai lancé un matching, en cours de progression. J’ai l’espoir bon.

Edouard ajusta les informations et se retourna vers Olivio. D’un coin de l’oeil, il remarqua la concentration de Bauroix, plus attentif que jamais.

- La maison ?

- Propriété appartenant à un dénommé Dylan Lombare. Homme d’affaire de la Défense, 45 ans, 2 enfants et marié. J’ai demandé un épluchage global pour cerner le personnage et sa voir où l’on pourrait le tauper.

- La demeure semblait plus à l’abandon qu’autre chose. Un mode de paiement ?

- Pas encore.

- Mise en location ? AirBnB ? une autre de ces combines, peu importe. Il faut trouver pourquoi un cadavre est arrivé précisément dans cette baraque et pas une autre. C’est notre scène de crime.

- Pas sûr, intervint Bauroix.

Tous les regards se trouvèrent vers lui. Le capitaine s’était redressé dans son fauteuil, les mains croisées sur son bureau, le dossier ouvert en-dessous. Son index pointa un passage qu’il relut une fois supplémentaire avant d’exprimer son point de vue.

- Lividités cadavériques paradoxales. Elles ne sont provoquées que dans une hypothèse bien précise : si le corps est déplacé dans l’intervalle des doutes premières heures suivant la mort.

- Je connais, merci. Où veux-tu en venir ?

- Ne parle pas de scène de crime avec certitude, c’est une possibilité. Il a pu être tué dans la même pièce, mais aussi dans une autre, ou même un lieu différent. Et ta vision n’est dès ors plus du tout identique.

Bauroix se laissa choir sur le dossier du fauteuil et replongea dans le silence.

Edouard resta sans réaction. Quand son collègue avait-il eut le temps de lire les notes qu’il avait préparées ? Il ne l’avait pas vu manipuler la pochette, sûrement trop absorber sur l’organisation de son briefing. Peut-être la pression de diriger pour la première fois une enquête avec, sous ses ordres directs, celui qui avait fait de lui un bon flic l’avait-elle troublé.

Un Bauroix concerné était un indispensable pour progresser dans l’enquête. Le lieutenant savait identifier les dossiers hors du commun et celui-ci en ferait indéniablement partie. L'expertise et l’expérience de l’ancien seraient tout aussi précieuses pour démêler le vrai du faux et s’engager sur la bonne piste. L’erreur n’était pas permise, le commissaire s’était montré très clair.

Il se ressaisit et continua avec le véhicule décrit par le témoin. Modèle spacieux, correspondant à un à utilitaire ou tout autre camion de chantier. Arrivée la veille au soir vers 22h30, il avait fait au moins trois aller-retour avant de disparaître définitivement peu avant l’aurore. Aucune marque précise, une couleur jugée « foncée » sans et seulement un morceau de la plaque, cette piste était secondaire.

- On passe quand même en revue les déclarations de vol et les locations sur la région depuis une semaine.

- Trop ambitieux, Edouard. On va crouler sous les résultats, crois-moi.

- Une alternative, Olivio ?

L’un des ordinateurs émit un signal sonore à trois reprises. Lotta se précipita sur son écran et serra le poing vers le haut. Elle lança une impression et récupéra la feuille qu’elle accrocha sur le tableau à côté de celle du cadavre. Le sourire aux lèvres, elle invita son collègue d’un geste de main à en prendre connaissance.

- Jordan Belcourt, 28 ans, analyste dans une société situé à Levallois-Perret. Connu de nos services pour des faits de violences en 2015. Trois mois avec sursis et mise à l’épreuve, pas de récidive.

- Olivio, tu prends ta nouvelle camarade et vous lancez la totale sur ce mec. On ne finit pas avec cette tronche sans raison. Il nous cache un truc, le filou.

Sans rien demandé, Gabriel Bauroix avait reprit la parole et se comportait en chef d’équipe. Les trois autres flics le dévisagèrent, médusés. Les vieux réflexes avaient la vie dure et le capitaine ne les avait pas perdu.

- Vous tapez sur la famille, les amis, les collègues, les activités, continua Bauroix, et si le mec s’est payé un porte-clefs Pikachu dans une station essence en Corrèze, je veux le savoir.

- Gabriel ? tenta timidement Levalet.

- Quoi ?

- C’est moi qui…

Il ne put terminer sa phrase, arrêter net par une geste de la main. Comment affirmer son autorité nouvelle face à celui qui l’avait guidé tant de fois ? Il se sentait le cul entre deux chaises. L’envie de conserver les reines d’un côté, sa première véritable affaire en tant que meneur d’hommes. Mais impossible pour lui de s’opposer à Gabriel Bauroix, il n’en avait pas le courage.

- La liste des plaques, des modèles et tout le bordel, on prend quand même. L’aiguille dans la meule de foin, on finit toujours par la trouver. Il suffit simplement de savoir comment s’y attaquer et de remonter un peu les manches.

Bauroix gribouilla deux trois éléments dans son petit carnet noir et le rangea dans sa poche de pantalon. Un exemplaire tout neuf, détail que Levalet ne manqua pas. Avait-il retrouvé le flic hors pair, rien n’était moins sûr. Quoi qu’il en soit, le lieutenant se sentait fier de voir brûler cette petite flamme dans la prunelle des yeux de son mentor. Il était de retour, lui en était convaincu.

- Vous attendez la fin du monde ? Au boulot, les gars. Et… Lo… la nouvelle.

Tout le monde se mit en ordre de marche. Un dynamisme insufflé à l’équipe qui remonta à bloc le moral de chacun. Le capitaine prit son arme de service dans le coffret déposé dans son tiroir un peu plutôt dans l’après-midi. Il vérifia le chargeur, plein, la chambre, armée, et la fourra dans son Holster.

Il se leva et se dirigea vers la porte de sortie.

- Ed’, avec moi. J’ai bien envie de visiter cette baraque. Ça va être mortel.

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