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24 septembre 2022 – Heure indéterminable

Dans ma maison sous terre…

Un léger battement de paupière. Puis un autre.

Elle s’éveillait enfin, avec une innocence presque naturelle. Un sommeil dont le point de départ lui échappait. Quelques petits mouvements des chevilles jusqu’au bassin, son corps lui répondait parfaitement malgré cette gêne qu’elle n’aurait su identifier.

Ses yeux s’ouvrirent un peu plus. Le flou. Des formes indescriptibles ici et là, un filet d’une lointaine lumière pourtant si éblouissante. Contraction des muscles pour lutter contre l’agression oculaire.

Tamara amorça une nouvelle tentative pour retrouver la vue. Plus concluante, mais sans ses lunettes sur le bout du nez, impossible discerner quoi que ce soit. Elle plissa yeux et avança sa tête vers l’avant. Rien à y faire, pire qu’une taupe.

Si seulement elle arrivait à se souvenir de la moindre chose, un petit élément pour la mettre sur une piste. Elle se sentait encore bien engourdie. Ses idées s’ordonnaient avec difficulté et aligner un raisonnement clair et fluide relèverait du miracle. Elle capitula et se laissa aller.

L’oreille tendue, elle ne perçut pas un seul bruit. Aucun contact des écouteurs au creux des esgourdes. Aucune odeur de tabac ou de cannabis, et pourtant les autres de la bande étaient de sacrés consommateurs. Un sourire s’esquissa sur son visage et disparut aussitôt. Où avait-elle pu bien terminer sa soirée ?

Elle s’imagina tout un tas de scénarios. Petite, on lui avait prédit un avenir de réalisatrice dans les films hollywoodiens. Mais elle avait balayé d’un revers de main les plans de ses parents, déjà trop envahissant avec un peu de recul. La belle époque, pensa-t-elle à moitié morte de rire.

Plus de temps à perdre, elle devait retrouver ses amis et rentrer avant que sa mère ne pique une nouvelle crise de nerfs. Elle avait d’ailleurs dû lui laisser six messages vocaux et plus d’une douzaine de textos. Pourquoi lui avait-elle appris à se servir d’un smartphone…

Tamara chercha à pivoter sur le côté pour se redresser, mais son mouvement s’arrêta net. Et cette douleur dans les deux épaules, insoutenable. Les masser un peu lui ferait le plus grand bien. Elle tenta d’approcher sa main, mais une force l’en empêcha avec fermeté.

Si le bas de son corps lui obéissait, ses bras et ses mains refusaient de coopérer. Quel coup farfelu lui avait joué la bande cette fois-ci ? Elle était bien trop facile à piéger et ne comptait déjà plus le nombre de canulars dont elle avait été la cible.

- C’est pas drôle les copains, vous êtes relous là.

Aucune réponse. Ça aussi, elle commençait à avoir l’habitude avec Léonard et Jules. Des vrais petits monstres quand ils s’y mettaient, et surtout bien incapable de s’arrêter par eux-mêmes. Mais elle les adorait tellement.

La jeune femme tenta une nouvelle fois de reprendre le contrôle de ses membres supérieurs. Un échec de plus. Mais cette fois, un bruit l’interpella : du métal s’entrechoquant, proche d’elle. Elle agita les bras. Encore et encore, pour confirmer sa découverte. Le tintement se répéta à chaque mouvement. La douleur l’obligea à cesser, mais aucun doute.

La colère lui empourpra les joues. Ils avaient été trop loin !

Bon sang, mais qu’est-ce qui leur passe par le crâne à ces idiots ? On dirait que mes bras sont entra…

Tout s’éclaira en une fraction de seconde dans sa tête.

Le froid des bracelets la mordit tels deux serpents de fer injectant leur poison pour immobiliser leur proie. Un léger vent caressa son corps à moitié dénudé. Ce n’était pas une mauvaise farce, mais bien pire.

Shoot de stress instantané. Afflux brutal d’adrénaline. La peur lui foudroya le cœur, son corps se tétanisa.

Son rythme cardiaque s’emballa sans prévenir. Chaque battement lui infligeait une douleur démultipliée. Tamara tenta de prendre de grandes inspirations, mais rien à faire, son corps ne cessait d’accélérer sa respiration. Sa cage thoracique se compressait un peu plus à chaque seconde.

Elle avait chaud, sentait son front libérer des vagues de sueur coulant le long de ses joues. Elle tourna la tête à droite, à gauche. Son visage se crispa de souffrance lorsqu’elle tira sur ses liens, en vain. Des tremblements s’emparèrent d’elle une fois au sol. Elle perdait la bataille contre son esprit, s’imaginant rendre son dernier souffle seule, isolée de tout.

Une solution, il lui fallait une solution, et vite. Trouver le moyen de se libérer de ses chaînes et de fuir aussi loin que possible. Elle qui n’avait jamais renoncé de sa vie, elle devait se battre. Mais pourrait-elle se lever pour courir le moment venu ? Ses jambes se dérobèrent à la première opportunité. Prisonnière, à la merci de son bourreau, il n’y avait plus rien à faire pour s’en sortir.

Sa gorge se nouait, l’air lui manquait. Ou bien était-ce encore un tour que lui jouait son cerveau saturé par un flot incontrôlable d’émotions ? Elle aurait voulu crier, faire savoir qu’on la retenait contre son gré, mais rien ne put s’échapper dans sa bouche.

Les larmes perlèrent dans ses yeux, mais ne quittèrent pas le nid.

Tamara reprit sa position initiale, prête à abandonner tout espoir d’un jour revoir le siens.

La lumière s’envola d’un souffle.

Tapis dans un coin, une ombre se déplaça avec silence vers la porte en ferraille. Cette scène de détresse lui avait procuré un plaisir d’une rare intensité. Ôter la vie, les yeux dans les yeux, rester néanmoins son favori. Demain, la princesse déchue serait confrontée à une réalité qu’elle ne soupçonnait pas. Elle ne s’en remettrait pas.

Les gongs du battant émirent un grognement qui fit sursauter la jeune captive. Mais à peine eut-elle le temps de se redresser que déjà l’antre replongeait dans les ténèbres, un rire d’une malsanité sans commune mesure résonnant entre les parois de son nouvel enfer.

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