Les étoiles du Niger

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- Bon et sinon tout se passe bien ? Vous faites quelque chose pour ce soir quand même ? Mais dans une tente cela doit être bizarre non ?

Comme à son habitude, sa mère la bombardait de questions sans attendre une réponse de sa part. En appel vidéo, Julie cherchait un bon angle pour ne pas apparaître en contre-jour avec la lumière des différents spots. Elle recadra ses lunettes sur son nez avant de répondre.

- Oui Maman, tout se passe bien. On a une tente qui nous sert de zone de vie avec une grande table et des canapés. On fête Noël dedans avec tout ce que nos familles nous ont envoyé en plus du repas de la base.

- Je vois. Oh, il y a un jeune homme derrière toi. Tu le connais ?

Derrière elle, allongé sur les marches devant l’entrée du bureau des sports, un homme en tenue civile grillait sa clope en contemplant les étoiles.

- Non Maman. On est plusieurs centaines sur la base, je ne connais pas tout le monde. Et je te rappelle que tu es en vidéo donc quand tu cries comme ça tout le monde t’entend.

Sa mère haussa les épaules.

- Bon je te laisse, je dois y aller. Souhaite un joyeux Noël à tout le monde, je vous embrasse et on attendra mon retour pour s’échanger les cadeaux.

De l’autre côté de l’écran, la maman afficha une mine quelque peu triste. Une année de plus, l’armée lui volait sa progéniture pour les fêtes. Julie finit par raccrocher dans un signe de la main et souffla d'exaspération.

- Première OPEX* ?

Elle se retourna. Le jeune homme fumait toujours sa cigarette en fixant le ciel.

- Non, mais vous connaissez les mamans. Elles s’inquiètent toujours plus que nécessaire. Votre famille ne vous a pas fait le même scénario ?

- Pas vraiment. Nous ne sommes pas si proches que cela et ils ont l’habitude de mes absences.

- C’est un peu triste dit comme cela, surtout pour un soir de Noël.

- Je me contente de la beauté des étoiles.

Julie leva les yeux au ciel. Certes, les étoiles étaient scintillantes mais la pollution lumineuse cachait le potentiel de cette belle nuit étoilée. Il fixait son regard. Elle n’avait pas l’air convaincue.

- Je connais un endroit sur la base où la vue est somptueuse. Je vous emmène.

Julie hésita.

- Je devrais retourner en tente rejoindre mes camarades.

- Ce ne sera pas long, c’est promis. Vous n’allez pas me faire croire que vous avez vraiment mieux à faire dans votre tente, remplie de jeunes qui se noient dans les écrans de leur smartphone, le soir de Noël, si ?

Son regard était tout ce qu’il y avait de plus sérieux. Elle comprit qu’elle ne l’avait pas convaincu, pas plus qu’elle n’avait cru en son propre mensonge. Elle s’entendait bien avec le reste de son équipe mais l’ambiance n’était pas autant à la fête qu’elle se l’était imaginée. Entre l’éloignement familial, les histoire de Covid-19, le boulot et le manque d’intimité dans cette vie en promiscuité, le moral n’était pas au plus haut.

- En avant dans ce cas. Je vous suis.

Il se leva et partit en marche derrière le terrain de volley presque sans l’attendre. Alors que le bruit de ses tongs rythmait la cadence de ses pas, il jeta sa fin de cigarette d’une pichenette dans la poubelle la plus proche. Julie constata son air assuré qui traduisait surtout un je-m’en-foutisme particulier. Dans son attirail short-t-shirt-tongs, il contrastait parfaitement avec elle, encore en treillis avec son galon de sergent-chef bien scotché sur sa poitrine. Ce côté sérieux était renforcé malgré elle par ses petites lunettes rondes et sa longue chevelure blonde tirée en chignon. Il lui fit signe, entre un bâtiment préfabriqué et un mirador tous deux inoccupés. Se couchant par terre, il l’invita à faire de même.

- Ce n’est pas beaucoup mieux, annonça-t-elle de but en blanc.

- Attendez que la lumière du fond s’éteigne et vous verrez.

Les secondes qui s’écoulèrent lui parurent être une éternité. Elle était là, allongée dans la base militaire de Niamey, à côté d’un inconnu, bien qu’il soit forcément un militaire. S’ils se faisaient attraper, il y aurait de fortes suspicions sur la nature de leur relation. Cela ferait aussi surement le tour de la base. Elle, la fille discrète et rangée, ce n’était habituellement pas son genre de prendre le risque de faire l’objet d’un pseudo-scandale. Malgré tout, il était bien connu que les militaires en mission, s’ils ne dérivaient pas avec des locaux, se trouvaient bien souvent un partenaire parmi leurs camarades. Tout d’un coup, la lumière s’éteignit et elle se retrouva sous une pluie d’étoiles.

- Et voilà !

Le ciel avait gardé une légère teinte bleutée provoquée par les lumières de la capitale au loin mais sa beauté était sans pareil. Submergée, elle en oublia tous les tracas qui la taraudaient. Sans s’en rendre compte, elle se mit à sourire.

- Vous êtes bien plus belle quand vous souriez.

Elle tourna la tête vers lui. Ses pupilles bleus semblaient parfaitement ressortir dans le noir. Ou alors était-ce le fruit de son imagination.

- En vous observant au téléphone avec votre famille, j’ai bien cru que jamais vous ne souririez.

- Vous dévoilez enfin votre jeu, dit-elle amusée. C’est maintenant que vous me jouer votre numéro de charme.

- Vous ne partez pas, j’en conclus que cela ne vous déplaît pas.

Elle sentit ses doigts chercher timidement les siens.

- Je pourrais crier, lui lança-t-elle avec un air de défi.

- Je vous en prie, cela ne fera qu’accroître ma réputation, lui rétorqua-t-il avec un regard malicieux.

Elle le trouvait insupportable. Il avait toujours la bonne réplique alors qu’elle se sentait encore novice même pour le taquiner. Lorsqu’elle releva les yeux après avoir rougi un instant, elle fut instantanément replongée dans le bleu de son regard. Dans un moment d’égarement, son instinct la poussa à joindre ses lèvres aux siennes. Elle se ressaisit presque aussitôt.

- Excusez-moi, je ne sais pas ce qui m’a pris.

Confuse, elle s’apprêta à partir. Il rattrapa rapidement sa main.

- Ne vous excusez pas.

Ses yeux l’appelaient. Elle se laissa guider doucement pour s’installer à califourchon sur lui. Il lui retira ses lunettes qu’il posa précieusement à ses côtés. Ses bras l’enlacèrent sans retenue. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas connu la chaleur d’un homme honnête dans ses sentiments. A l’abri des regards, sous la bienveillance des étoiles, ils échangèrent un long baiser passionné.

Comme chaque jour depuis la fin de la saison des pluies, le soleil battait son plein à Niamey. Julie, presque frigorifiée par la climatisation bien trop fraîche de sa tente, sortit prendre un bain de chaleur sous ces 37 degrés quotidiens. Elle repensa à la nuit dernière, qui avait constitué l’une de ses plus belles fêtes de Noël. Ce baiser fut le meilleur cadeau qu’elle eut reçu. Dans l’allée principale, elle aperçut trois militaires qui marchaient d’un pas assuré dans sa direction vers la sortie du camp. Un capitaine semblait donner des instructions précises à deux de ses subordonnés qui se tenaient à sa gauche. Elle eut un sourire gêné, se ressaisit et rectifia sa position.

- Mon capitaine.

Ce dernier lui rendit son salut d’un « bonjour » presque glacial, repartant de plus belle dans ses explications. Cela eut l’effet d’une douche froide sur Julie qui fut incapable de retrouver le sourire. Ses doux souvenirs volèrent en éclats comme s’il avait s’agit d’une simple illusion. En arrivant à son niveau, sans s’arrêter, le capitaine fit glisser sa main le long de son avant-bras dénudé, nouant rapidement ses doigts aux siens avant d’aller chercher une caresse fugace dans la paume de sa main. Alors qu’elle le regardait s’éloigner, elle sentait encore parfaitement la forme de sa caresse dans sa main. Il avait dessiné un sourire.

* Opération extérieure

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Table des matières

En réponse au défi

Romance de Noël

Lancé par Isabel Komorebi

Coucou les auteur(e)s :)

Parce que c'est de saison, je vous propose d'écrire une romance de Noël, avec de l'amour, de la guimauve et des paillettes !

Faites-vous plaisir : court, long, monde réel ou imaginaire, peu importe. Une seule contraire : arriver à caser le mot "litchi" dans votre histoire.

À vos claviers, et au plaisir de vous lire.

Commentaires & Discussions

Les étoiles du NigerChapitre3 messages | 3 ans

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