Chapitre 11

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2 septembre 1998

Bonjour Hélène,

J’ai été très surpris de voir ta carte postale dans ma boîte aux lettres. Tu as tenu parole. Je fais ma rentrée demain. On verra bien ce que ça donne.

Je t’avoue ne pas savoir quoi te dire. Ce n’est pas un exercice facile pour moi. Saint-Louis me parait déjà loin… toi aussi. Je ne sais pas ce que tu attends de moi en toute honnêteté.

Désolé d’être si bref.

Martin

4 Avril1999

(…) j’espère que mes cartes postales arrivent à bon port ! Les paysages sont à couper le souffle ! Je pense à toi souvent. Tes examens se sont bien déroulés ? Tu n’es pas trop stressé par le divorce de tes parents ? Tu vas devoir déménager ? Je suis désolée de te poser autant de questions. Je m’inquiète de ton silence. (…)

Hélène

16 juin 1999

Bonjour Hélène,

J’essaie de corriger mes erreurs, de rattraper le temps perdu. Je pense qu’il le sera à jamais. Je regrette de ne pas t'avoir répondu. Je crois que j'ai eu peur. Je ne voyais plus que ton âge. Sept ans de plus que le mien, c'est énorme. Tu n'es pas au même stade que moi. Puis je me suis rapellé de toi, à mes côtés, sur les marches du batiment.

J’ai été bête de réagir comme ça. Je sais que tu ne penses pas à mal, au contraire. Aujourd’hui avec du recul, je regrette de t’avoir prêté de mauvaises intentions. Je culpabilise. Depuis un an, j’espère qu’un jour tu me pardonneras. Tu voulais juste mieux me connaître, m’accompagner, et j’ai cru des choses fausses de toute évidence.

1 Juillet 1999

Mon très cher Martin,

Ta lettre m’a énormément touchée. En fait je ne t’en ai jamais voulu de ne pas me répondre. Je croyais que tes parents t’interdisaient de m’écrire. Je pensais qu’ils jetaient mes courriers. Ils en auraient eu le droit. Tu es jeune et ils sont là pour te protéger. Je ne pouvais concevoir que cela venait de toi. Et quand bien même, je l’aurais accepté. (…)

Cette lettre me réjouit.

Tu me croiras si tu veux mais en l’espace de deux semaines, à Saint Louis, j’ai fait ta connaissance. Je veux dire vraiment, en profondeur. Je crois savoir qui tu es. Tu m'as appris sur moi, j'ai compris que l'on se ressemblait. Tes silences, qui sont devenus les nôtres, m’ont apaisé.

Je ressentais beaucoup de choses envers toi. Une grande amitié, c’est sûr, de la fraternité et sans doute de l’amour. Je ne veux pas que cette révélation te froisse. Quand je dis « amour », je ne veux pas parler de ce que ressens un ado lorsqu’il sort avec une fille quelconque. Il est là, il l'embrasse et ça ne va pas plus loin. Moi, je « t’aimais » parce que je me voyais en toi, je me reconnaissais.

J’ai toujours été une incomprise et je suppose que toi aussi. Je voulais que tu sois heureux. À y réfléchir ce n’est sûrement pas de l’amour, mais « juste » la joie de voir qu’on est peut-être compris par quelqu’un, qu’on lui ressemble. C’est ça que j’appelle « amour ». Ça n'en est sûrement pas mais c’est un sentiment très fort que tu m’as fait découvrir. (…)

Je disais donc, tu me croiras si tu veux mais je savais que notre relation épistolaire n’était pas terminée. En d’autres termes, je savais qu’un jour, tu me répondrais et que tu me parlerais comme autrefois. Je le savais car je te connais. Si je ne t’avais pas écrit la première, tu ne l’aurais jamais fait.

C’est pour cela que j’envoyais des lettres, sans réponse. Oui, c’est vrai, ça m’a fait mal mais je gardais espoir. Je ne savais pas quand tu répondrais, un mois, six mois, mais je gardais confiance. (…)

Je ne t’en voulais pas. J’étais triste, c’est tout, de ne plus pouvoir échanger avec toi.

Tu dis : « Tu ne pensais pas à mal, au contraire » C’est vrai. Même si nos vies sont différentes, nous pensons la même chose. Nous sommes incompris par les autres et nous sommes souvent qualifiés de « bizarres ». Ce fut un peu dur à vivre pour moi et je voulais te conseiller pour que tu ne marches pas dans mes traces, que tu fasses mieux. (…)

Tu sais ce n’est pas l’âge qui compte, c’est ce qu’il y a dans la tête. Ce qu’il y avait dans la tienne m’intéressait beaucoup. La plupart des personnes adultes se croient importantes parce qu’elles ont soi-disant de l’expérience. Ça aide, c’est vrai, mais cela ne fait pas tout. Sept ans, ça peut paraitre énorme aujourd'hui mais une fois adulte, cette différence n'existera plus. (...)

Hélène

12 août 1999

Hélène,

Ce que j’ai à te dire est difficile à écrire, c’est pour cela que j’ai mis du temps à te répondre. Je réfléchissais à un tas de choses différentes. Ce que je ferais après le lycée, si je pars à l'étranger ou non, si je dois me trouver un travail cet été, où mène notre relation...

Ta dernière lettre est très belle, elle m’a vraiment touché. J’ai été surpris de l’intérêt que tu me portes, sans m’effrayer pour autant, mais je ne me suis pas senti prêt à une amitié de cette ampleur. Je ne veux pas m’engager. Avec personne à vrai dire. Tu es une fille formidable, qui a de l’amour à revendre, et qui veut faire le bien autour d’elle et je te suis reconnaissant pour le soutien que tu m’as apporté pendant le divorce de mes parents.

Mais j’ai quinze ans et même si je suis mature pour mon âge, j’ai seulement quinze ans. Ce que je veux dire, c’est que tu me surestimes. Comment peux-tu dire me connaître alors que je ne te donnais plus de nouvelles ?

À la suite du divorce de mes parents, je me suis reconstruit. Je veux tirer un trait sur le passé. Je souhaite me concentrer sur mes études et penser à l’avenir pour une fois, et peut-être m’en sortirai-je enfin.

Je ne me qualifierais pas de bizarre mais différent. C’est par cette particularité que tu m’as apprécié. C’est à cause de cette particularité que d’autres m’ont rejeté. J’ai besoin de réfléchir Hélène.

J’ai évolué et ne me reconnais plus dans le portrait que tu as fait de moi. J’ai besoin de savoir où je vais. Il faut que je parvienne à prendre des décisions, même si elles sont difficiles à prendre. N’est-ce pas ça, grandir ? La vie ne vaut pas la peine d’être gâchée, je ne suis qu’un moment de la tienne.

Jure-moi de m’oublier.

Au revoir, Hélène

22 Août 1999

Petit Martin,

Je viens de lire ta lettre, coincée entre deux vols, en escale à Madrid. Celle-ci sera la dernière pour moi, si tu le veux.

Ta réaction ne m’a pas surprise. Je savais que ça serait « dur à avaler » pour toi. Et je te comprends. Je ne te demanderai pas de revenir sur ta décision. Je voulais à mon tour te dire « au revoir ». D’ailleurs, j’ai noté que tu as écrit « au revoir » et non « adieu ». Je me doute que tu as dû hésiter. Il y a peut-être un espoir pour qu’un jour tu reviennes me parler. Si tu le veux, tu le pourras.

Les gens m’ont souvent qualifiée de « bizarre ». C’est pour ça que je garde ce terme mais comme toi, je me sens juste différente. Pour répondre à ta question, je peux dire que grâce à toi j’ai appris que je n’étais pas la seule avec cette différence-là. Au lieu de me sentir lourde, seule, au fond d’une société que j’ai du mal à suivre, je me suis sentie légère, avec des ailes. Ce qui t’arrive à quinze ans (je veux dire : « complètement changé ») ; à moi, ça ne m’est arrivé que beaucoup plus tard.

Je ne pense pas que je te surestime. Je pense que tu as de grandes valeurs en toi que tu développeras au cours de ta vie. Tu es quelqu’un de bien. Tu me comprendras peut-être plus tard.

C’est vrai que tu n’es qu’un moment de ma vie. Mais je ne pense pas pouvoir t’oublier. Tu y as joué un rôle important. Tu as été un véritable soutien dans mes destinations les plus sensibles. (…)

Je te considère comme mon vrai frère jumeau, avec un peu de retard. Mon aide aurait pu t'être profitable. Mais je ne me fais pas de soucis. Tu y arriveras… et bien ! en plus, sans te surestimer.

Je te demanderai juste une petite faveur.

Appelle-moi dans quelques années pour me dire : « Ça y est Hélène, j’ai réussi ma vie. Je suis heureux. Je fais un métier qui me passionne, j’ai une femme formidable et des enfants qui me comblent, bien que durs à supporter parfois. Tu avais raison. Merci »

Ou un truc du genre.

Je t’enverrai mon adresse à chaque fois que je déménagerai, sans un mot de plus. Toi aussi, dis-moi juste où tu habites pour que je puisse t’envoyer la mienne. Le jour où je ne le ferai plus, soit tu auras déménagé sans me dire où tu es allé, soit je t’aurai oublié.

Alors, à dans quelques années, je l’espère ou plus tôt si tu veux.

Hélène,

Ps : Je te souhaite un bon voyage Martin.

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