Chapitre 8-2

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— Pourquoi fais-tu ça ?

— Parce que tu me plais, répondit-elle comme si c’était une évidence.

— Alors, tu es sérieuse, dit-il calmement. Tu es vraiment surprenante comme fille.

— Oui, je le suis, sourit-elle.

C’était fait. Elle avait osé. Désormais le dé était jeté, elle n’avait plus qu’à attendre. Elle était prête à assumer les conséquences de son acte. Que les jours à venir deviennent un enfer absolu ou un temps de délices inespérés, Juliette pourraient étancher sa soif de sensations fortes. Aller plus loin dans l’interdit. Sans en avoir conscience réellement, elle aimait faire sauter les barrières du convenable.

— Et si je ne veux pas ?

— Tu n’auras qu’à me repousser.

Le garçon ne se doutait pas que son refus n'effraierait pas Juliette. Elle était plus excitée par le fait qu’elle était en train de changer le cours de l’histoire de cette colonie. Elle aimait être un grain de sable dans des rouages bien huilés, un fantasme naissant dans l’esprit d’un beau garçon, la fille sur laquelle les regards s’attardaient. Et que brillent dans ces regards l'envie, la jalousie ou la crainte... Sous son masque souriant d'innocente, la jeune Juliette s'exerçait aux jeux de l'amour avec une certaine perversité.

David avait tourné les talons pour rejoindre un groupe de garçons qui jouaient aux cartes sous un chêne. Juliette tremblait de tous ses membres. Tout son courage venait de la quitter, elle réalisait son audace. Claire et Mickael lui revenaient à l'esprit. Mais Juliette ne voulait que David et tout le reste était secondaire.

Les jours suivants, elle fut aux aguets, saisissant chaque moment de solitude lui poser la seule question :

— Et si je t’embrasse maintenant, tu me repousseras ?

Et à chaque fois, David rétorquait :

— Essaye et tu verras bien.

Juliette partait alors sans tenter sa chance. Pas encore. Elle aimait se fabriquer des espoirs et souffrir d'incertitude. L’ambiguïté de leurs échanges la titillait délicieusement. Ses réveils étaient plus doux, ses rêves plus fiévreux. Elle se contentait de jouer au chat et à la souris, il y consentait. Ils se croisaient souvent aux bras de leurs copains respectifs, échangeant un regard amusé. Rien de plus.

Un matin, Juliette avait réalisé qu’il ne restait plus que cinq jours avant la fin du camps. Elle devait agir sous peine de le regretter. Elle avait profité de le trouver seul dans une salle de ping-pong pour s’en approcher. Un coup d’œil pour s’assurer que la salle n’était que pour eux. Les autres colons disputaient dehors une partie de volley-ball. Une proximité nouvelle s’était installée. David sentait le tabac froid. Encore une transgression qui lui plaisait.

Elle posa délicatement un baiser sur la joue de David, qui ne cilla pas. Le cœur prêt à exploser, elle en déposa un autre à la commissure de ses lèvres, sans qu’il ne fasse un mouvement. Elle s’approcha de sa bouche, le cœur battant la chamade, et l’embrassa, hésitante, se préparant à son possible rejet. Il n’en fit rien. Surprise, son baiser devint plus maladroit. Il sourit entre ses lèvres avant de lui rendre son audace à pleine bouche. Il avait les lèvres fines et gercées, et l’odeur du tabac envahissait l'espace. Mais elle aima son contact, sa façon de saisir ses lèvres pour les mordiller. Ils s’embrassèrent longuement, fougueusement, avant de devoir quitter la pièce précipitamment, car des bruits de pas rapprochés leur parvinrent.

À partir de là, ils saisirent toutes les occasions pour s’embrasser en cachette. D’abord sur la joue, même furtivement, puis au coin de la bouche, entre deux portes, et enfin sur les lèvres, contre les murs, sur les bateaux, derrière le hangar, toujours à l’abri des regards.

Juliette n'avait pas rompu avec Mickael, et David avait continué à sortir avec Claire. Le soir, Juliette écoutait toujours attentivement les confidence de sa camarade. Elle ne s’était pas embarrassée de remords. Ses seize ans excusaient ses actes.

Qu'en est-il aujourd’hui ? Dans les bras d’Arnaud, elle sent les effluves de tabac froid qui la séduisaient tant et dont elle ne se lasse pas. Dans les bras de Lucie dont tous les mouvements disent la peur, elle ressent une excitation folle, une volonté de la posséder d’une manière ou d’une autre, au-delà de toute convenance. Elle aime se sentir puissante quand elle l'embrasse. Elle aime aussi guider Arnaud sur le chemin de l'amour. En cet instant, il lui paraît insupportable de se restreindre à un seul rôle, de n’être qu’une partie d'elle-même. Elle voudrait porter tous ses visages simultanément. Elle voudrait aller au bout de ses désirs pleinement, sans retenue, sans compromis, sans demi-mesure. Juliette a gardé de ses seize ans son absence de scrupule. Son désir avant le reste... Elle veut vivre — sa vie, celle de sa mère, et d’autres encore. À treize ans, elle a compris que la vie était injuste, cruelle et surtout, fragile. Depuis, elle se doit de tout vivre, de tout ressentir, de tout explorer. Quitte à faire mal. Quitte à se faire mal aussi. La douleur est une expérience comme une autre.

— J’ai dû être un saint dans une autre vie pour t’avoir aujourd’hui contre moi, glisse Arnaud au creux de son oreille.

— Si tu le dis.

La porte claque à nouveau plus fort, Martin déboule dans la cuisine et s’écrit, nerveux :

— Où est ma femme ?

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