La Fureur du Tai-chi

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Salut, moi c’est Amélia et aujourd’hui, j’ai envie de péter des rotules.

 Je me lève ce matin, encore barbouillée de la grosse fiesta de la veille. Mon copain, Abel, dort à côté. Il est mignon comme ça, un filet de bave pendant de ses lèvres entrouvertes. Je vais pour le réveiller, mon prince charmant, avec un tendre baiser sur la joue. Et là, je me prends en pleine face un rot magistral résultat de la fermentation d’un litre de biere, d’un paquet de Doritos goût oignon-crème et d’un autre ingrédient non identifié (les croquettes du chat ?). Au bord de la nausée, je m’éloigne et sors de la chambre, dépitée de voir que mon initiative de jeune amoureuse candide a viré au cauchemar pestilentiel. J’ai la tête qui tourne et l’envie me prend d’aller m’aérer un peu dehors pour oublier que moi aussi, je suis loin d’être fraîche. Note : éviter les mélanges.

Je passe le pallier de la résidence et je tombe nez-à-nez avec le voisin du dessus, trainant son roquet derrière lui. Pinpin, c’est son nom (au roquet, pas au voisin), jappe à s’en faire éclater la gueule et mes oreilles au passage. Le voisin me regarde de travers avec l’œil qu’il lui reste. L’autre est parti aux fraises depuis longtemps et même avec un bon coup sur la caboche, il ne reviendrait pas en orbite. Il doit très certainement m’en vouloir pour hier soir. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir toqué à toutes les portes pour prévenir gentiment qu’on allait faire « un peu » de bruit. Il passe à côté de moi en grommelant, Pinpin au bord de la crise d’hystérie. La migraine fait son entrée.

Je me dirige en direction du square, quelques mètres plus loin. Il est modeste et n’est guère fréquenté que par les petits vieux du coin. On est mardi et mardi, c’est Tai-chi. Ils sont tous en survêt decathlon, formation tortue (les boucliers et les lances en moins), suivant attentivement les gestes de leur maître. Je ne fais pas attention à l’objet non identifié qui se présente à mes pieds, manquant de me faire trébucher ; deux cylindres noirs reliés par une chaîne.

J’avais déjà vu ça quelque part…Un nichaku, nakachu, pikachu ? Une image de caïd asiatique à la Bruce Lee me vient à l’esprit. Je le vois l’astiquer et le faire tournicoter autour de lui comme un ruban de gymnaste. Qui a dit que la GRS était seulement une affaire de petites filles ? Je saisis innocemment l’objet en pinçant le pouce et l’index. C’est plus lourd que ce que je pensais. Je décide de le tenir à pleine main. Je sens une matière visqueuse me glisser sur la peau : du sang ! Mon cœur s’arrête et je me sens pars à la renverse, abasourdie par cette sombre découverte. Au sol, j’avise des petites tâches rouges que je n’avais pas remarquées plus tôt. Elles continuent sur une dizaine de mètres puis, plus rien. Je ne veux pas penser au pire. J’essaye de trouver tous les scénarios possibles qui pourraient justifier la présence de cette arme abandonnée par son propriétaire, et surtout celle des tâches d'hémoglobine. Mais c’est peine perdue ; chaque scène se termine en un règlement de compte d’une violence inouïe.

Je réalise alors que j’ai touché l’arme d’un crime potentiel. Sans aucune protection. La tuile ! Je la jette au loin en espérant qu’elle disparaisse dans une autre dimension pour ne jamais réapparaître. Et si j’étais observée ?! Je regarde autour de moi, vers les arbres, puis les buissons. Rien. Et les petits vieux du Tai-chi ? Ils pourraient être de la partie eux-aussi car après tout, ils étaient là bien avant moi. Leur gourou ne m’inspire pas confiance avec ses grands gestes lents d’astronaute en apesanteur. Ils cachent quelque chose…Je les imagine se transformer d’un coup en ninjas furieux, armés de cannes à feu et de déambulateurs atomiques. Ça ne veut rien dire mais tant pis. Ils ne me regardent même pas…c’est un test ! Si je la ramasse, ils m’accepteront parmi les leurs et me désigneront gourou à la place du gourou parce que je suis l’élue. Si je passe mon chemin, ils m’enlèveront pour me zigouiller après parce que j’en aurai trop vu.

Les deux manches noirs luisants d’où perlent les gouttes écarlates me rappellent à eux. La chaîne formée de gros maillons argentés m’éblouie et me ferait presque penser à un joli tour de cou. J’ai déjà quelques idées quant à l’utilisation que je pourrais en faire ; enfoncer un des cylindres dans le gosier d’Abel pour lui faire passer l’envie de m’asphyxier dès le réveil, étrangler le voisin avec la chaîne, et donner une petite tape sur le derrière de Pinpin. Je ne suis pas un monstre. Je me rapproche doucement, tendant la main vers l’objet assassin que je convoite désormais. Mon précieux…

-Mademoiselle ! Mademoiselle !

Merde ! Ils m’ont eue !

-Mademoiselle !

Un grand brun, sosie de Jean Claude Vandamme, débarque complétement essoufflé.

-Excusez-moi. C’est mon nuchaku. Je l’ai oublié tout à l’heure. On s’entrainait avec mon ami et je l’ai blessé sans le vouloir. Je l’ai emmené à la pharmacie où je me suis souvenu que j’avais oublié mes affaires. Je vais le récupérer.

Aaaaaah, un « nunchaku ».

-Bonne journée.

Je fais demi-tour, repasse devant les petits vieux, sors du parc, et rentre à l’appartement. Pas de voisin, ni de Pinpin, mais je retrouve Abel en boxer une tasse à la main.

-Alors, bonne balade ?

-Bof, la routine quoi.

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