La balle

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La détonation claqua dans l’air avec un bruit sec. Chaud. Bref. Elle en fut surprise. Elle ne s’attendait pas à ça. Ses seules références en matière de coup de feu elle les avait emmagasiné année après année, rivée au petit écran comme au grand. Pour elle c’était de l’ordre du spectaculaire. Lorsqu’une arme faisait feu, cela provoquait un bruit assourdissant, telle les trompettes de Jéricho fondants sur leurs proies avant d’ébranler et de déchirer leurs entrailles. Pourtant là aussi ses idées reçues volèrent en éclats. Aucun souffle ne jaillit du canon pour la propulser plusieurs mètres en arrière. Elle ne vit aucune balle fondre sur elle pour la perforer de part en part en laissant un trou béant et anarchique sur son passage.

Juste ce claquement sec, presque désuet. Presque aussi inoffensif qu’un de ces pétards de fête foraine que ses gamins lançaient par terre devant les passants avant de déballer comme des lapins, riants aux éclats. Elle l’entendit, ça provenait de l’arme pointée sur elle. Pourtant elle n’était pas sûre. Dehors l’orage grondait. Les coups de tonnerre était proches, assourdissants. Tant et si bien que cette détonation lui parut presque ridicule. Puis elle sentit comme une piqure au creux de son ventre. C’est là qu’elle comprit. Ce n’était pas spécialement douloureux. En tout cas, moins qu’elle ne l’aurait cru. Une piqure, une simple piqure. Ce devait être un petit calibre. Elle s’en sortirait peut-être. Une seconde balle la toucha à la poitrine. Celle-ci fut nettement plus douloureuse. Elle recula d’un pas. Il lui sembla découvrir un goût de cuivre sur sa langue. Du sang affluait dans sa bouche. Elle recula encore et trébucha en arrière. Des bras l’accueillir et l’accompagnèrent au sol. Dehors la nuit était déjà tombée. Comment était-ce possible ? Il faisait encore jour quelques instants avant. Le vent secouait le vieux chalet dans tous les sens faisant craquer les articulations de la vieille bâtisse plus que centenaire. Le ciel déchargeait sa colère à grand coups de tonnerre. Les grondements roulaient avant de craquer dans un vacarme assourdissant. Les éclairs striaient le ciel de façon stroboscopique, révélant à la faveur de flash argentés la forêt qui les emprisonnait. Derrière ce boucan de tous les diables, elle disserna des cris et des pleurs. Ils ne provenaient pas d’elle. Elle ne put émettre le moindre son. Non pas qu’elle en soit physiquement incapable – le sang n’avait pas encore complètement obstrué ses poumons –; mais elle était trop estomaquée par ce qui lui arrivait pour articuler le monde mot. Tout ceci était bien au delà de l’entendable. Tout simplement inacceptable pour son esprit. Alors, quand l’acide des réponses commença à la ronger, quand le venin de la compréhension amorçât son voyage dans ses veines, quand la balle partit… son esprit de femme trop naïve et son coeur de mère trop tendre cessèrent de fonctionner. Coupure de courant là-haut. Et tandis que le noir – encore parfois ponctué de flashs dilluviaux – l’envahissait, elle laissait ses seuls sens profiter de ses derniers instants de vie.

Elle était trempée, dehors, sur le ponton, affalée dans les bras de son fils, gorgée de pluie et de sang. Il déversait sur elle un torrent de larmes en implorant son pardon. Elle crut reconnaitre sa voix. C’était donc toi… Elle tordit le cou vers lui pour s’en assurer, mais sa vue était brouillée de noir et de rouge, comme à travers un voile humide et laiteux. Je voie le monde comme les bébés dans le ventre de leur mère, pensa-t-elle. Le goût du sel se mêla à celui du cuivre dans un magma écoeurant. Elle eut un violent haut le coeur qui mit un terme à sa divagation. Un ultime courant électrique crépita dans l’esprit de la pauvre femme. Son fils hurlait. Un mélange de détresse et de haine. On aurait dit un animal. Une bête sauvage blessée. Elle aurait voulut le rassurer avant de partir. Le prendre dans ses bras et le bercer. Lui dire qu’une maman pardonne toujours à son enfant. Même le pire. Sauf que c’était elle qui gisait contre lui, recroquevillée tel un foetus. Dans un ultime effort, elle s’arqua et ouvrit la bouche. Son inspiration s’englua dans les marécages sanglants de ses poumons. Elle sut que cette fois-ci c’était la fin. Elle étouffait, lentement mais sûrement. Elle se revit gamine, ici-même, dans le lac, prêt du ponton, mais pas suffisant près pour qu’elle s’y arrime. Elle ne savait pas nager et était tombée de la barque. Elle se noyait et serait sans doutes morte si la poigne ferme de son père ne l’avait pas sortie de là. Cinquante ans plus tard, elle y était de nouveau, à quelques détails près. Pourquoi fallait-il que la vie nous réserve ce genre de surprise… Celle-là, elle ne l’avait pas vu venir.

Elle aurait peut-être dû s’écouter et s’offrir un une révélation de MY WAY.

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