Chapitre 8

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Karin avait quitté le village aussi discrètement qu’elle y était entrée. Elle ne doutait pas d’avoir été aperçue par les villageois mais ceux-ci, furent sûrement trop effrayés par son apparence pour chercher contact. Depuis que le cristal enserrait son estomac, elle ne ressentait plus la faim. Elle avait l’impression que son humanité disparaissait de jour en jour. Elle avait remarqué que l'étau magique ne restreignait plus ses mouvements lorsqu’elle agissait par instinct, comme un animal. Elle avait donc cessé de réfléchir, se laissant guider par cette force mystique qui lui montrait le chemin. Elle avait remonté la route couverte d’une fine couche de neige et atteint la grotte. Comment avait-elle su où aller, elle n’en savait rien et à vrai dire, n’en avait cure. Elle découvrit la grande salle tapissée de cristaux comme Rænia un siècle plus tôt, mais à la différence de la sorcière, la caverne n’était pas vide. Au centre de la grotte, près d’une étendue de liquide sombre, se trouvait le dragon, immobilisé par les mêmes pieux de roche, le corps perforés de nombreuses blessures et tatoué de cicatrices bleues. Devant lui, la femme de ses visions, postée près de l’œil éteint de la bête.

« Pleure, maudit dragon ! »

Les entrailles de Karin de compressèrent par la peur. Elle n’avait pas remarqué la sorcière tout de suite et avait tout simplement sauter dans la gueule du loup sans plan d’attaque ! Son cerveau se mit à réfléchir à toute vitesse à une stratégie mais dès qu’elle entama sa réflexion, son corps devint extrêmement lourd et le cristal maudit l’immobilisa. Elle perdit l’équilibre et s’affala sur le sol dans un grand fracas.

« Qui est là ? »

Terrorisée à l’idée d’être découverte ainsi incapable de bouger, Karin retint sa respiration. Son cœur battait à tout rompre, menaçant de briser ses côtes. Elle attendit, tétanisée lorsqu’elle aperçut la silhouette de la magnifique femme tout près d'elle. Mais celle-ci sembla aveugle à sa présence et retourna auprès du dragon. Karin n’en croyait pas ses yeux. Ce coup de chance ne pouvait qu’être de mauvais augure et elle était persuadée d’en payer le prix. Elle regarda son bras droit et constata qu’il se fondait parfaitement dans le décor cristallin. Alors, elle comprit. Reprenant son état d’esprit animal, elle rampa. Son marteau solidement fixé dans son dos, sa progression était étrangement silencieuse. Plus elle s’approchait du danger, plus Karin était sereine, comme le calme avant la tempête. La sorcière était un prédateur de front et Karin ne pouvait compter que sur sa rapidité et sa discrétion. Elle misait tout sur une attaque furtive. Arrivée à une distance qu’elle estima convenable, elle posa sa paume droite sur le sol et ferma les yeux. Une fine ligne de cristaux émergea du sol et serpenta en direction de la sorcière, trop occupée pour la remarquer. D’un coup, les cristaux jaillir de la pierre et immobilisèrent les chevilles de la femme, qui cria de surprise. Karin n’hésita pas une seconde et s’élança, marteau dans une main, et gant de cristal dans l’autre. La sorcière se retourna pour évaluer la menace et à la vue de l’adolescente au demi-visage de dragon, elle ricana. Elle leva le bras et lança son pouvoir en direction de l’insecte qui osait l’attaquer. Instantanément, le gantelet minéral adopta une forme de bouclier pour parer le coup mais il vola en éclat au contact de la vague de magie. Karin refusa d’imaginer sa nuque subir le même sort et exécuta un bond sur le côté. Elle réfléchissait à la suite des événements et de nouveau se retrouva immédiatement stoppée en plein élan par la malédiction. Elle atterrit lourdement par terre sous les rires moqueurs de la sorcière, désormais libérée des étaux de cristal qui lui bloquaient les chevilles. Plus Karin se débattait pour libérer ses mouvements, plus le cristal enserrait son emprise. La panique était à son comble. Elle tentait de pousser sur sa jambe gauche pour échapper à l’ennemie, mais elle rampait avec une lenteur infernale, s’épuisant plus qu’elle ne bougeait.

Rænia s’approcha, observant avec attention cette enfant agitant ses membres dans tous les sens comme un scarabée retourné sur le dos. Elle remarqua le cristal qui recouvrait toute la partie droite du corps de la jeune fille et elle en nota la ressemblance avec les larmes de dragon. Cette petite était finalement plus intéressante qu’elle ne le pensait. Arrivée à sa hauteur, elle baissa les yeux vers sa proie, se délectant de son affolement. Le dragon pouvait attendre, elle allait se mettre en appétit en torturant ce petit animal d’abord. Par où commencer ? Elle leva le bras, prête à venir briser un des poignets de sa victime, quand soudain, celle-ci retrouva sa mobilité. D’un bond, elle fut de nouveau sur pied et se mit à courir en direction du dragon, derrière lequel elle trouva refuge. Amusant, se dit la sorcière, que la chasse commence.

Jamais Karin n’avait vu la mort d’aussi près. Jamais n’aurait-elle pensé qu’elle serait si terrifiante et pourtant si belle. Elle retrouvait difficilement son souffle, accroupie derrière la patte postérieure de l’énorme dragon.

« Eh bien, mon enfant. Où te caches-tu donc ? »

Cette voix angélique était la pire des menaces. L’air était si saturé de magie que les poils de ses bras se hérissaient. Elle posa la main sur le flanc de l’animal puis s’intéressa au pieu de pierre qui lui traversait le tibia de la bête. L’imposant bloc rocheux était profondément planté dans le sol. Des écailles étaient collées sur le sang séché qui recouvrait la pierre comme un glaçage morbide. Karin caressa la roche de sa main maudite. Le minéral vibra et sous ses yeux, le pieu se recouvrit de minuscules cristaux. Ils grimpèrent le long de la pierre comme des milliers de petites fourmis. Quand le pieu fut entièrement couvert, son extrémité sembla s’éroder. Fascinée, Karin regarda les petits cristaux lentement entamer leur descente, élimant la roche par la même occasion. Elle nota que la ligne turquoise parcourant l’épiderme du monstre s’illuminait au fur et à mesure que les cristaux grignotaient la roche, comme si la créature puisait l’énergie du phénomène. Elle ne savait pas où était la sorcière mais elle savait désormais quoi faire. Elle se glissa discrètement vers la patte avant de l’animal et réitéra sa magie. Son pouvoir lui obéissait docilement, comme si sauver le dragon avait toujours été son objectif. Consciente que le temps lui était compté, elle délaissa le pieu en transformation et recula le plus silencieusement possible en direction de la gueule de la bête. Se croyant hors de danger pour quelque temps, Karin fut d’autant plus surprise quand la sorcière apparut juste en face d’elle, comme un diable sortant de sa boîte.

Karin se plaqua contre les crocs du monstre, cherchant du réconfort dans la puissance de la créature. Les traits de la sorcière étaient défigurés par la haine et Karin sentit son courage s’affaiblir. Elles restèrent immobiles, se faisant face sans attaquer, se jaugeant l’une l’autre. La suite fut si rapide que Karin n’était plus sûre de la chronologie. La sorcière attaqua la première, levant le bras pour tenter de briser la jeune fille, qui simultanément ouvrit sa paume en direction du cou de son ennemie. Une dizaine de disques tranchants s’échappèrent de sa main mais furent balayés en vol. Réduisant la distance entre elles, la sorcière n’était désormais qu’à quelques décimètres de Karin. Acculée, l’adolescente tenta le tout pour le tout. Elle lança d’autres lames acérées et profita de cette diversion pour atteindre le pieu transperçant la gueule du monstre d’un saut maladroit. Elle s’empressa d’entamer la transformation en cristal et fit de nouveau face à l’ennemie, en proie à une rage terrifiante. La magie faisait voler les boucles noires de la sorcière et toutes les pierres de la grotte se mirent à léviter. Karin cherchait où s’enfuir mais elle était de nouveau adossée à la mâchoire du dragon, prise au piège. Les rochers mortels menaçaient de fondre sur elle et lorsqu’ils le firent, Karin lâcha son marteau, écarta les bras en croix, paumes ouvertes et cria. Au même instant, une larme roula sur la joue du dragon et atterrit sur le bras encore intact de la jeune fille qui fut alors instantanément recouvert de cristal. Une incroyable vague de magie explosa, provenant de la fusion des deux cristaux enserrant le corps de Karin, soufflant les rochers comme de la vulgaire poussière. Le corps de l’adolescente était désormais entièrement recouvert d’une armure minérale et son visage n’avait plus rien d’humain. L’ouragan magique frappa la sorcière de plein fouet et une pierre brisa un des joyaux de sa parure. Elle hurla de douleur. Karin, en furie, lança des projectiles sans relâche, visant désormais les précieux cristaux ornant les bijoux. Plus elle en brisait et plus la femme souffrait, perdait de ses pouvoirs, mais surtout, elle vieillissait à vue d’œil. Lorsque Karin détruisit le dernier cristal du collier, il ne restait sur la sorcière que le diadème enserrant son crâne. La jeune femme si belle l’instant d’avant n’était plus qu’une vieille dame rampant sur le sol, tentant de récupérer les débris de ses joyaux perdus.

Décidant qu’elle était à présent inoffensive, Karin s’occupa des pieux restants. Les veines turquoise pulsaient rapidement et le saphir sur le front de l’animal avait retrouvé de son éclat. Laissant la magie opérer, elle reporta son attention sur ce qu’il restait de la terrifiante sorcière. Elle s’approcha d’elle, la dominant de toute sa hauteur. La vieille femme lui rendit son regard, pathétique. Karin ne se sentait pas capable de tuer de nouveau mais cette femme était dangereuse. Aussi, agrippa-t-elle le diadème et le retira d’un coup sec. Le bijou se brisa, la sorcière ouvrit la bouche dans un cri sans son et se transforma en cendre, ne laissant de sa puissance qu’un misérable tas de poussière.

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