Chapitre 4

5 minutes de lecture

Karin courrait à en perdre haleine. Malgré l’aide de l’étrangère, sa sortie n’avait pas été aussi discrète qu’elle l’aurait souhaité. Cinq sauvageons armés de fourches la poursuivaient désormais en hurlant de rage. Son bras droit lui pesait, la déséquilibrant à chaque enjambée. Elle n’avait jamais été très bonne en sprint, aussi espérait-elle qu’il en soit de même pour ses ennemis. En les voyant réduire la distance, la panique lui vrilla les entrailles. Elle était cuite mais une idée lui traversa l’esprit. Elle se concentra et se retournant d’un bond, balança son poing de cristal dans le vide, espérant reproduire le jet de lames magiques. Rien. Elle retenta sa chance dans un autre coup de poing aérien mais le gant refusa de coopérer. Les fermiers gagnaient du terrain et Karin reporta son attention sur sa course. Une échappatoire, il lui fallait trouver une échappatoire et vite ! Elle aperçut la rivière au loin, salvatrice. Puisant dans ses dernières forces, elle accéléra en priant pour que son plan fonctionne. Arrivée devant les flots violents du cours d’eau, elle bondit, main droite tendue en direction de son point d’atterrissage. Elle ferma les yeux de peur que sa tentative tombe à l’eau. Quand elle posa les pieds sur une surface dure, elle sourit. En quelques sauts, elle se retrouva sur l’autre rive, laissant ses poursuivants effarés devant la passerelle de cristal qui venait d’apparaître. Trois d’entre eux s’élancèrent sans hésitation, leurs compagnons trop effrayés pour continuer la chasse restant sur la grève. Karin n’avait plus de forces et elle pensait que son pont minéral disparaîtrait une fois la rivière traversée. Ses muscles se tétanisaient et son souffle se fit douloureux. Elle tourna la tête pour estimer son avance et trébucha en se tordant la cheville. Elle tomba sur le gravier, tête la première. Dans un dernier espoir, elle souleva son bras, paume ouverte. Cette fois-ci, la magie opéra et deux disques tranchants s’échappèrent du gant magique. L’un d’eux se figea dans le thorax d’un des sauvages tandis que l’autre décapita son compagnon dans une gerbe écarlate. Le troisième homme se retrouva recouvert de sang et s’évanouit sous le choc. Karin ramassa son sac en toute hâte et boita tant bien que mal jusqu’à la forêt non loin, hors d’atteinte du danger. Sa cheville la faisait atrocement souffrir et elle s’affala contre un tronc, épuisée.

L’effet de l’adrénaline se dissipant, Karin prit conscience de ce qu’il venait de se passer. Elle avait tué deux hommes. Deux hommes qui lui voulaient du mal certes, mais qui avaient sûrement une famille, un métier, des amis. Deux hommes comme son père ou son maître et elle n’avait pas d’excuse car c’était son peuple qui avait attaqué en premier. C’étaient eux les monstres. Comment allait-elle vivre avec cette culpabilité ? Elle vomit, révulsée par le souvenir du crâne roulant sur le bord de la route, laissant derrière lui une traînée rouge répugnante. Elle qui voulait être une fière guerrière se rendait compte qu’elle n’en avait peut-être pas les tripes. Comment en moins de vingt-quatre heures sa vie avait-elle pu virer au cauchemar ? Tout ça à cause de ce salaud et cette maudite pierre. Elle regarda son gant de cristal, la rage brûlant dans ses yeux. Elle ne comprenait pas, parfois elle pouvait bouger les phalanges et d’autre fois, comme maintenant, sa main était bloquée. Elle jura. Soudain un halo bleu apparut et dans une douleur aiguë, de nouveau cristaux remplacèrent ses cellules. Les minéraux grimpèrent jusqu’à son épaule et continuèrent leur avancée le long de son cou. Elle fut prise de tremblements, comme une crise d’épilepsie. La magie prenait possession de chaque fibre musculaire, rongeant ses os, comprimant ses organes. La souffrance devenant insoutenable, elle perdit connaissance.

***

La grotte est sombre. Le dragon souffre, hurle, couine. La femme est face à lui, bras levés. L’air est saturé de magie à en faire tomber les stalactites. La bête frotte sa gueule contre le sol, comme pour échapper à l’emprise d’un ennemi invisible. Le monstre est en piteux état. De nombreuses écailles jonchent le sol dans une marre de sang violet. Un de ses flancs laissent apparaitre le blanc laiteux de sa cage thoracique sous les muscles explosés. La femme abat ses paumes vers le sol et la créature gémit. La cuisse du monstre s’ouvre dans un déchirement de chair, éclaboussant le sol de milliers de goutte sombres. Dans un rire cristallin effrayant, la femme plonge l’une de ses mains dans la plaie fumante. Le flot violet recouvre son corps svelte, collant sa tunique contre ses courbes envoutantes. Une fois la bête complètement immobile mais toujours en vie, la femme s’approche des yeux vitreux du monstre. Elle sort de son sac une pierre arrondie et l’approche de l’œil éteint. Collant son front contre celui du dragon, elle se mets à psalmodier. Dans un halo de lumière blanche, une larme de la taille d’un poing perle dans le creux de l’œil de la pauvre créature. La femme la récupère précieusement dans le récipient. Le liquide se fige à l’intérieur de la pierre en un tapis de cristaux d’un bleu violet hypnotique. Elle quitte la grotte laissant la bête souffrir, immobilisée par des pieux de pierre transperçant son corps pour le maintenir au sol.

***

Karin se réveilla en sursaut avec une migraine abominable. Elle venait de faire un rêve sans être vraiment sûr qu’il soit vraiment sorti de son imaginaire. Il semblait trop réel, comme un souvenir. Comme si elle avait été spectatrice de la torture de ce dragon. Les récents événements avait réduit ses capacités cognitives comme peau de chagrin mais elle se remémora tout de même le parchemin. Elle sortit délicatement le vieux papier de son sac et le posa sur ses genoux. La nuit tombait peu à peu mais son gant magique luisait dans la pénombre, lui permettant de déchiffrer le manuscrit. Il s’agissait d’un texte illustré, partiellement effacé et déchiré çà et là. Karin reconnut aussitôt la créature de son rêve. Elle tenta de traduire l’unique paragraphe lisible, sans succès. En revanche, elle remarqua l’illustration en bas de page qui ressemblait à une carte. Il y avait un dessin de montagne avec trois pics, une rivière et une forêt, le reste étant manquant. Karin remarqua la croix rouge sur le flanc d’un des monts et supposa qu’elle était dans le bois adjacent, juste après la rivière qu’elle avait franchie. Si son instinct était juste, il s’agissait d’un sacré coup de chance. Profitant de l’obscurité naissante, la jeune fille se leva tant bien que mal, prenant appuis sur son marteau de guerre qui n’avait été jusque-là qu’un fardeau. Elle sortit du couvert des arbres, regarda aux alentours et remercia sa bonne étoile. A l’horizon, une montagne découpait le ciel sombre de trois pics acérés. Alors, elle se mit en route.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Claire Zuc ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0