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Je rattrape le retard accumulé ce WE ! xD

Dans la famille "scènes de transition que je déteste et qui ont été saoulantes à écrire", je vous présente...

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Cornélia n’avait pas compris que le départ était proche.

Elle en prit conscience un long moment plus tard, quand Aaron houspilla les boyards pour qu'ils reprennent leur véritable forme. La voix d'Aegeus claqua à travers le hall :

– Je vous veux tous dehors dans cinq minutes, prêts à partir !

Prise de court, la jeune femme resta immobile, comme foudroyée sur son balcon. Elle n’avait pas prévu ça. Pourquoi partir si vite ? Pourquoi n'était-elle jamais au courant de rien ?

Parce que pour ça, il faudrait que je me mêle aux boyards...

Une grande panique l’envahit. Greg n’était pas prêt. Iroël n’avait certainement pas eu le temps de lui refaire un autre masque. Et le matou n’était pas comme Oupyre : il ne se laisserait pas apprivoiser pour se faire mettre dans un sac. Lui, les sacs, il les mangeait.

Il fallut l’intervention de Mitaine pour que la jeune femme reprenne pied. La dryade lui tomba dessus en soufflant comme un sanglier qui charge.

– Ah bah t’es là, toi !

Elle l’attrapa par le bras, jeta un coup d’œil méfiant alentours et l’entraîna dans un couloir loin des oreilles des boyards, dans le but de lui crier dessus comme du poisson pourri. Cornélia resta stoïque sous l’averse de remontrances.

– Je suis désolée, se contenta-t-elle de répéter platement. Nous sommes désolées. Mais tu n’étais plus là quand on est sorties de la salle des archives avec Homère…

– C’est ma faute, maintenant ? J’avais besoin d’aller pisser ! Vessie de merde ! (La dryade grogna.) Si le chef avait pas été si occupé, j’aurais p’têt’ plus ma langue pour t’engueuler. Ta sœur, elle est où ?

– Dans la chambre.

– Putain, fait chier, faut vraiment que je remonte tout là-haut ?

– Non, dit Cornélia à sa propre surprise.

Car elle avait vu, à l’instant, un éclair doré zébrer l’air du couloir. Blanche était déjà là. Avait-elle été prévenue par Iroël ?

– Hé bé, lâcha Mitaine dans un sifflement étonné – elle avait remarqué aussi.

Le scintillement électrique disparut, puis revint près d’elles. Il sauta de droite à gauche comme s’il se téléportait d’un mètre à l’autre, puis s’en alla pour de bon, aussi rapide qu’un battement de paupière.

– T’éloigne pas, Blanche ! cria Mitaine au hasard. Reste près de moi ! On arrête les coups foireux, hein, sinon c’est ma tête qui va finir sur le billot !

Rien ni personne ne lui répondit. Le raijū était déjà parti. Alors, en jurant, la dryade fit descendre l’escalier à Cornélia pour rejoindre le convoi. La jeune femme traînait des pieds sans savoir que faire. Elles ne pouvaient pas partir sans Greg ; mais il ne se trouvait certainement plus là-haut, dans la chambre. Blanche ne l’aurait jamais laissé derrière elle. Elle devait l’avoir confié à Iroël – où se trouvait-il, lui, d’ailleurs ? Avait-il toujours Oupyre avec lui ?

Quelle galère… Si Aegeus tombe sur l’un des deux par hasard, il va nous vider de nos tripes et en faire une guirlande !

De toute façon, échapper à la poigne de Mitaine était une gageure.

Hors du Venetian, les camions faisaient chauffer leurs moteurs ; l’odeur grasse de l’essence empuantissait l’air. Garés devant l’hôtel et ses multiples fontaines, ils ronronnaient comme des fauves gigantesques, leurs réservoirs pleins, prêts à dévorer les kilomètres. Une équipe de cinq boyards juraient à qui mieux mieux, occupés à changer une roue plus haute qu'eux. Les fourgons croulaient sous les conserves et les bidons d’eau : Homère avait été généreux. Il « payait » les places de toutes les créatures qui désiraient quitter son secteur.

– Pour entrer dans le convoi, chaque nivée doit fournir le quart de son poids en or, ou la moitié de son poids en eau ou nourriture ! rugissait Aaron. Homère paie pour vous tous, mais on doit vous compter, alors restez tranquilles ! Obéissez et tout ira bien !

Une petite foule de créatures se trouvaient déjà devant l’hôtel. Il en arrivait sans cesse de nouvelles, par vagues successives : des familles entières qui avaient les côtes visibles et les yeux brillants d’espoir. Le bouche à oreille avait dû faire son chemin dans le secteur d’Homère. Les boyards entreprirent des patrouilles agressives pour garder à l’écart tous ceux qui n’avaient pas encore été comptés. Ils les regroupaient comme du bétail, les poussant sans ménagement pour les trier par tranches de poids. Les petits pleuraient et gémissaient, séparés de leurs parents ; ces derniers agitaient la trompe pour les rassurer, ou leur faisaient des signes du bout des ailes. Debout sur l'énorme capot du Berliet, Aegeus observait tout cela de ses yeux froids comme l’acier.

Plus ou moins contrainte et forcée, Cornélia reprit sa place habituelle à l’arrière-garde. Mitaine ne la quittait pas d’une semelle.

– Tu vois Blanche ? répétait la dryade sans arrêt, pas très rassurée par son absence.

Cornélia serra les poings. Sa sœur était introuvable. Qu’est-ce qui lui prenait de se changer en raijū ? Voulait-elle se faire bien voir d’Aegeus ? Boudait-elle simplement Cornélia ? Ou bien… avait-elle un autre plan stupide sur le feu ? Cornélia détestait ne rien savoir. D’un geste brusque, elle retira la clé d’or de son cou. Le raijū aurait pu la lui voler sans même qu’elle s’en rende compte. Elle la cacha discrètement dans son soutien-gorge.

Où est Oupyre ? Et où est Iroël, nom de Dieu ?

L’anxiété formait un gros nœud bien serré dans son ventre. Ils étaient tous comme des bombes à retardement, et c’était à elle de les empêcher d‘exploser. Mais comment faire dans ces conditions ?

Quand un cliquetis résonna sur les dalles, elle se retourna pour voir débarquer le grand robot qui avait confisqué les armes des boyards, à leur entrée chez Homère. Il déboula en courant sur ses hautes pattes de chameau, l’air très anxieux à l’idée d’être en retard, et se planta devant Aaron pour déverser par terre l’intégralité des objets confisqués. Tous les soldats du convoi se figèrent en entendant ce fracas, doux à leurs oreilles. Aaron eut à peine le temps de remercier le bot avant qu’une meute de boyards impatients ne se rue vers lui pour récupérer leurs Bibiche respectives. Le bot les regarda faire. Il tapota gentiment la tête d’Aaron avec sa grosse patte de métal ; le garçon le dévisagea, scandalisé par ce manque de respect.

En filigrane sur la scène, Cornélia aperçut soudain l’éclair du raijū qui fendait l’air. Le soulagement l’envahit, avant de disparaître quand quelque chose de lourd lui tomba sur les pieds. Le sac à dos multicolore de Blanche, qui contenait toutes ses affaires. Cornélia grogna. Sa sœur avait un de ces culots !

– Tu me prends pour une mule ? lança-t-elle dans le vide. Tu mériterais que je le laisse là !

Elle l’ouvrit par acquis de conscience, mais il n’y avait aucune trace de Greg à l’intérieur.

– Blanche ! se mit-elle à crier. Faut que je te parle !

Qu’est-ce qu’elle a fait de Greg, bon sang ?

Le raijū l’avait peut-être largué dans la benne du camion, ni vu ni connu ?

Sa sœur se manifesta de nouveau dans la foule. C’était comme une étrange brillance, un phénomène optique extrêmement rapide qu’on captait parfois du coin de l’œil. Sur le capot du camion, Aegeus aussi l’avait vu. À croire qu’il voyait tout. Quand le scintillement réapparut brièvement entre deux boyards – une bourrasque les décoiffa alors qu’il n’y avait aucun vent – Cornélia vit un léger sourire satisfait lui étirer le coin des lèvres. Quelque chose piqua le cœur de la jeune femme. La jalousie ? Ou la colère de voir Blanche entrer dans le jeu d’Aegeus ?

– Pourquoi on s’en va déjà ? demanda-t-elle à Mitaine. Personne n’arrive encore à maîtriser son masque.

Sauf Blanche, songea-t-elle avec un rictus.

– Sauf Blanche, dit Mitaine en arborant exactement le même rictus. J’en suis pas à ce stade, moi, il va me falloir pas mal d’entraînement. On repart, mais on a encore de la route avant de sortir de chez Homère. Le chef veut qu’on mette ce temps à profit pour continuer de s’entraîner.

La dryade tripotait quelque chose dans la poche de son pantalon treillis. Cornélia fronça les sourcils.

– Il représente quoi, le tien ?

– Oh, un truc.

Mitaine détourna les yeux, gênée ou dédaigneuse – Cornélia ne parvint pas à trancher.

– Un gros truc. Un sacré gros bidule… Il m’a pas loupée, l’armurier.

En parlant du loup, Iroël apparut à son tour dans le champ de vision de Cornélia – enfin ! Elle enchaîna les signes à son intention, mais le jeune homme ne comprit goutte à ses gesticulations. Elle finit par mettre ses mains en porte-voix et crier :

– Et le masque ? Tu sais où il est ?

Le petit chou comprit immédiatement. Son visage s’éclaira. Il désigna les boyards, armes au clair, qui accomplissaient toujours leur froide besogne de bergers. Cornélia plissa les paupières. Parmi les multiples créatures en train d’être triées et comptées, une nivée en particulier faisait du grabuge. Les soldats juraient et suaient en tentant de la regrouper avec les autres.

Quand la jeune femme la distingua mieux, sa mâchoire se décrocha.

D’accord. Iroël avait eu le temps de faire le deuxième masque pour Greg.

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