74 -

7 minutes de lecture

Hop hop hop j'essaie de reprendre un rythme de publication régulier xD

Ce fut un index qui réveilla Cornélia. Un index planté dans sa joue.

Elle fit un bond surpris, roula sur le flanc et, en ouvrant les paupières, tomba nez à nez avec le petit chou.

– Désolée, fit-il. Tu entendais pas.

Sur sa joue mate, un motif curieusement géométrique était resté incrusté. Celui des écailles de l’hydre contre laquelle il avait dormi. Cornélia toucha sa propre joue et comprit qu’elle arborait le même genre de décorations. Contre elle, le zonure d’Aegeus ronflait paisiblement.

Blanche. Où est Blanche ?

Les nivées s’étaient dispersées et la cadette n’était nulle part en vue. Dans un réflexe paniqué, Cornélia vérifia que la petite clé d’or se trouvait toujours à son cou. Elle l’était. Iroël lui tendit une main en souriant ; elle l’accepta pour se relever. Le jeune homme portait son éternel sac à dos, à peine débraillé par sa nuit – ou plutôt sa sieste – inconfortable.

– Je donne les nouveaux masques à Aegeus. Je… viens de... donner.

Cornélia hocha la tête, sans comprendre où il voulait en venir.

– Tiens, ajouta-t-il.

Il lui tendit quelque chose de lisse et blanc comme la neige. Elle s’en saisit avec méfiance. C’était un petit masque froid : un visage ovale et épuré comme une décoration de théâtre, à la bouche noire. Intriguée, elle fronça les sourcils. Quelle créature était-ce là ?

– Pour le chat, précisa Iroël devant son silence. Pour qu’Aegeus le trouve pas.

Il lui fit un geste amical, puis tourna les talons. Pour lui, le sujet était clos. La main de Cornélia se détendit comme un ressort ; elle l’attrapa par le col de sa chemise et le tira vers elle, ce qui eut pour effet de le déshabiller à moitié. Elle fit mine de ne pas voir les deux grandes cicatrices qui apparurent dans son dos.

– Dis donc, toi, grogna-t-elle alors qu’il se débattait. Greg a failli foutre le feu au salon, la dernière fois ! Tu comptes vraiment disparaître comme si de rien n’était, là ? Tu vas venir avec moi pour surveiller l’essayage, et je te jure que s’il arrive quoi que ce soit à Greg, tu vas le regretter !

Sans répondre, Iroël décrocha sa main de son col et rectifia prestement sa mise. Puis il lui jeta un regard circonspect. Non, pas circonspect. Méfiant. Pour la deuxième fois, elle avait vu ce qu’il essayait de cacher. Il se pencha vers elle.

– Fais plus jamais ça, lui glissa-t-il. Je t’aime bien. Mais fais plus ça. Je te jure.

Il surveilla les environs.

– Là, ça va. On est tout seuls. Mais jamais ça devant les autres.

Le froid dans sa voix la désarçonna. Elle fit front.

– J’ai rien vu.

De toute façon, ce n’étaient pas ses oignons. Elle se moquait bien de connaître tous les secrets d’Iroël. Il lui lança un regard appuyé.

– Et sur le toit, l’autre jour ?

– Rien vu non plus.

Il la contempla un moment, appréciant le mensonge, puis hocha la tête. Sa froideur fondit comme neige au soleil, remplacée par l’un des sourires un peu de guingois dont il avait le secret.

– Tant mieux alors. Tu es pas comme ta sœur. (Elle inclina la tête, cherchant le sens de cette petite phrase, mais il coupa court.) Bon, maintenant, on va voir le chat.

***

Une odeur d’urine épouvantable flottait dans la pièce. Après tant d’heures passées en tête à tête avec Greg, la belle chambre de luxe avait perdu de sa superbe. Coussins lacérés, pieds de commode griffés… Il y avait même une flaque de vomi qui traînait dans un coin. Cornélia sentit le jugement d’Iroël à plein nez, même s’il ne formula rien à voix haute.

Eh oui, songea-t-elle. Ce monstre abominable est vraiment notre animal de compagnie.

Avec précaution, elle s’approcha du gros tas de poils qui ronflait sur le canapé.

– Gregou !

Elle n’osa pas le toucher, de peur qu’il lui arrache la main – il n’aimait pas être dérangé pendant sa sieste.

– Chut, murmura Iroël. C’est maintenant, pour le masque. (Il s’approcha à pas de loup.) Il faut lui mettre, vite !

La jeune femme hésita. Le petit objet était froid dans sa paume ; elle observa les reflets de lumière qui glissaient sur sa surface plastifiée. Depuis qu’elle avait porté le sien, les masques d’Iroël lui inspiraient tous une méfiance viscérale. C’était plus fort qu’elle.

– C’est quoi comme créature ?

Derrière elle, le garçon soupira.

– Tu as peur ?

– Évidemment ! chuchota-t-elle. Qui de sain d’esprit n’aurait pas peur ?

– Euh… Blanche ?

– J’ai dit « sain d’esprit » !

Iroël passa une main dans ses cheveux, blasé.

– Tu as confiance en moi ?

Absolument pas, se retint-elle de dire. Mais il fallait cesser de tergiverser. Greg était en danger de mort, de toute façon. C’était ça ou rien. Elle retint son souffle et plaqua le petit masque sur la tête joufflue du matou.

Greg eut un sursaut paniqué, toutes griffes dehors, mais c’était trop tard. Il tomba presque aussitôt dans les pommes. Impuissante, Cornélia regarda son corps inerte trembler et craquer de tous ses os. Elle ferma les yeux pour ne pas voir ça. Serra les dents en se remémorant le néant glacial, la sensation de chute infinie…

Pardonne-moi, Greg.

Aegeus était la cause de tout cela. Ce salopard la forçait à faire des choses pareilles ! Blanche n’avait pas tort sur tous les points. Plongée dans les souvenirs de sa propre transformation, Cornélia mit un certain temps à rouvrir les paupières. Lorsque ce fut fait, elle crut que c’était elle qui allait tomber dans les pommes.

Car le masque d’Iroël ne représentait pas une créature.

Maow ?

Elle bondit en arrière.

C’était un homme, là, vautré sur le tapis.

Un homme complètement à poil, qui venait d’émettre un miaulement raté d’une voix de baryton. Un homme ! Le feu lui monta aux joues.

– Iroël ! glapit-elle. Mais qu’est-ce que tu as fait ?

L’homme miaula de nouveau. Ce son tordu hérissa tous les poils de Cornélia. Pas très grand, les épaules musclées et la panse bien grasse, l’étranger avait la mâchoire anguleuse – et de traviole. L’un de ses yeux vert glauque était à moitié clos, barré de plusieurs cicatrices. Il loucha vers ses mains et remua ses dix doigts. Une profonde confusion se peignit sur son visage.

Iroël !

Cornélia ne cessait de reculer, terrifiée par ce qui était en train de se passer – même si ce nouveau Greg ne montrait aucun signe d’agressivité. Dieu du ciel, c’était son chat ! Son chat qui mangeait des culottes et les vomissait ensuite sur le pas de porte. Ce n’était pas un homme ! Sans savoir comment, elle se retrouva agrippée au bras d’Iroël.

– Mais pourquoi t’as peur ? soupira-t-il. Il attaque pas, là.

– T’aurais pas pu choisir une nivée, non ? brailla-t-elle. Un humain ? C’est la pire idée du siècle !

– Mais tu veux que personne le trouve !

– Tu aurais pu choisir n’importe quoi d’autre ! Mais pas ça !

L’homme tout nu tenta de se mettre à quatre pattes, sans succès. Il roula par terre sans trouver son équilibre. Il était beaucoup plus jeune que ce que Cornélia aurait cru. Pour elle, Greg était un vieux matou ; mais cet étranger n’avait qu’une quarantaine d’années. Des cicatrices lui hachuraient tout le corps. S’il n’avait pas eu l’air d’être passé sous une roue de tracteur, il aurait peut-être même semblé beau…

Dieu du ciel, pourvu qu’il ne lui prenne pas l’envie de se lécher les fesses !

– Enlève-lui, haleta-t-elle. Enlève-lui ce satané masque !

Ce n'était pas lui, ce n'était pas sa vraie nature. Elle ne voulait pas le voir humain ; sous cette forme, il la répugnait autant qu'une énorme araignée en train de ramper dans son salon. Les yeux troubles de l’homme croisèrent les siens. Il tenta de feuler et s’étrangla avec sa salive.

– Mais c’est une bonne idée, résista Iroël. Aegeus va pas comprendre.

– Tu parles ! Ça crève les yeux que c’est Greg ! Il sait même pas parler et il est beaucoup trop nouille pour faire illusion.

– Il y a des humains qui savent pas parler. Les humains d’Argos sont comme ça. Comme des animaux. Parfois, ils s’enfuient et on les voit en liberté. (Il désigna Greg.) En plus, il est bien gras. Ça va marcher.

Un frisson remonta le dos de Cornélia lorsqu’elle songea à Argos, l’anthropophage aux plumes de paon, qui élevait des humains pour les manger. Était-il possible de faire passer Greg pour un fuyard et de le faire tomber « par hasard » sur le convoi ? Elle secoua la tête. C’était stupide. Stupide, ridicule et dangereux ! Si Aegeus se rendait compte de la supercherie… ils étaient tous morts.

Enlève-lui ce truc ! Moi, je le touche pas !

Greg renifla sa propre main et, énervé par son apparence humaine, commença à se mordiller l’index.

– Un animal en humain, c’est pas pire qu’un humain en nivée, grommela Iroël. Pourquoi tu as peur de lui ?

Cornélia était bien incapable de répondre, mais cette métamorphose l’écœurait. À cet instant, la porte s’ouvrit brusquement derrière eux ; elle sursauta, toujours cramponnée à Iroël. Dans l’ouverture s’encadra une petite silhouette.

Blanche.

Quand son regard vif se posa sur eux deux, Iroël et Cornélia se statufièrent. La colère apparut dans les yeux de la cadette ; puis elle remarqua l’énergumène étalé sur le tapis. Ou plutôt, c’est lui qui se fit remarquer.

– Agreuh ?

Le choc passa sur le visage de Blanche. Puis elle fronça les sourcils ; sa stupeur se changea en lucidité. Cet homme ne lui était pas inconnu. Il portait sa carte d’identité inscrite sur sa figure, dans toutes ses cicatrices.

Elle se contenta de dire :

– C’est vraiment la pire idée du siècle.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Cornedor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0