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Il n’y avait toujours aucun déchet ; l’air tiède portait le parfum des fleurs. Quand Cornélia trouva un petit crâne dans l’eau, qui ressemblait à celui d’un chat, Mitaine lui lança :

– Repose-le où tu l’as trouvé ! Il doit y avoir une tombe ici. Si tu le déplaces, une nivée le cherchera pendant des heures. C’est très mal élevé de changer des ossements de place.

Confuse, Cornélia remarqua qu’un petit tas de gravats avait été fait à cet endroit. Elle reposa le crâne avec délicatesse. Presque aussitôt, un papillon vint s’y poser, les ailes scintillantes d’éclats diaprés. Quand la jeune femme releva les yeux, des centaines et des centaines de papillons voletaient au-dessus du convoi. Le bébé hydre s’ébroua en voyant ses écailles de marbre noir parsemées d’ailes bleues. On aurait dit des pierres précieuses. Les papillons les accompagnèrent un moment avant de les abandonner ; Pouet se mit à courir derrière eux, la truffe en l’air.

– Pouet ! l’appela Blanche. Ne t’éloigne pas !

Mais il ne l’écouta pas. Il courut même encore plus vite pour qu’elle ne puisse pas le gronder, et finit par distancer le convoi. Mais alors qu’il était sur le point d’attraper un des lépidoptères, il buta dans quelque chose et s’étala dans l’eau.

Quand il leva les yeux, un glapissement de terreur lui échappa.

***

– Pouet ! hurla Blanche. Pouet !

– Ça venait de cette rue, répétait Cornélia. Là-bas, sur la droite !

– Baste, marmonna Mitaine en les regardant fouiller les buissons, v’là qu’elles ont encore perdu une bestiole.

– C'est un running gag, fit Gaspard non loin.

– Qu’est-ce que qu’elles foutent encore, ces deux-là ? marmonna quelqu'un d'autre.

– Respectez la formation ! tonna Aaron à l’autre bout.

Sans l’écouter le moins du monde, Blanche s’engouffra dans une ruelle étroite. Gaspard et Mitaine lui emboîtèrent le pas d’un même mouvement, leurs armes au clair. Cornélia les entendit débattre de l’utilité d’une laisse et d’un harnais pour certains monstres…

Leurs voix s’éteignirent subitement.

Il y eut trois longues secondes de silence. Puis le vacarme d’une fusillade éclata d’un coup et le convoi entier sursauta.

– Mais punaise ! jura Aaron qui accourut en boitant. Qui a tiré ? Jetez tous vos armes ! Personne ne tire chez Homère !

Cornélia se précipita dans la ruelle en même temps que lui, le cœur saturé par la peur. La moitié des boyards les suivirent.

Ce qui les attendait là, dans l’ombre, les fit reculer.

C’était une gigantesque machine, hérissée de pistons et de jets de vapeur. Sa carlingue d’acier reflétait les ombres bleues des palmiers. Une vague de fusils et de pistolets mitrailleurs se braqua sur elle.

– C’est quoi c’te saloperie encore ?

D’un geste, Aaron envoya par terre l’arme de Gaspard.

– On a dit pas de tirs chez Homère ! Faites marcher vos deux neurones, bordel ! Ça nous apprendra à payer des chiens de guerre…

Perchée sur quatre longues pattes brinquebalantes, la créature de métal ressemblait à un camion maladroitement déguisé en chameau. Deux énormes bosses ponctuaient son large dos. Elle se tenait penchée sur Pouet et Blanche, qui se faisaient tout petit. Les balles tirées par Mitaine et Gaspard lui avaient cabossé le poitrail.

– Homère est connu pour ses machines, bande d’incultes, grogna Aaron. Elles sont toutes inoffensives ! Mitaine, lâche ton flingue !

– Mais… euh… bredouilla la dryade, qui se cramponnait à Bibiche. Ce truc est vraiment très grand…

Le robot se redressa en grinçant de partout. Des palpes s’agitèrent sur son museau de métal, comme des moustaches disgracieuses. Il tendit l’une de ses grosses pattes vers Blanche – Cornélia se crispa – et lui tapota la tête. Scouic scouic, firent ses articulations rouillées.

Puis il se tourna vers Aaron et, du bout de ses deux doigts, désigna son fusil d’assaut. Le garçon soupira. Sous les regards médusés de ses hommes, il donna son arme au robot, ainsi que toutes celles qu’il portait sur lui. Ceci inclut un nombre incroyable de couteaux de jet, qui provenaient de ses bottes et de sa ceinture, ainsi que son coup-de-poing (dont il se sépara avec un regret visible). Puis il claqua de la langue.

– Allez, donnez-lui tout ce que vous avez sur vous. On les récupérera en sortant de chez Homère.

Mitaine eut un peu de mal à se séparer de Bibiche ; Gaspard regarda ses collègues obtempérer un par un, en serrant son Glock 18 contre lui. Le robot essaya de le lui prendre, avec de plus en plus d’agacement.

– On peut même pas garder un…

– Non, dit sèchement Aaron.

Le boyard se mordit la langue en regardant la machine ouvrir son ventre métallique et y fourrer leurs armes en vrac.

– J’me sens tout nu…

– Dionysos soit loué, c’est juste une impression, commenta Mitaine.

Le robot pinça les piquants de la carapace de Pouet, et finit par conclure que cette arme-là n’était pas dissociable de son propriétaire. Sous les yeux médusés des boyards, il rouvrit ses côtes de fer pour dévoiler un autre compartiment secret et en sortit un grand seau en plastique. Puis il leva une patte pour tourner un petit robinet qui se trouvait sur l’une des bosses de son dos. Un jet d’eau claire se déversa dans le seau. Il l’offrit ensuite à la personne la plus proche, qui s’avéra être Blanche.

– Je… ? s’assura-t-elle en quémandant l’avis d’Aaron.

– Bois, c’est pour toi, soupira-t-il. Et fais tourner ensuite. Faut faire honneur à l’hospitalité d’Homère, sinon le bot va se vexer.

Pouet et les deux sœurs, qui ne buvaient absolument pas à leur soif depuis leur entrée dans la Strate, ne se firent pas prier. Blanche passa ensuite le seau à Gaspard, qui soupira de résignation en voyant le peu qu'il restait. La machine attendit patiemment que le seau soit vide, puis elle tapota la tête de Pouet, rangea le seau dans son abdomen, enjamba le groupe de boyards et s’en alla tranquillement sur ses grandes pattes grinçantes. Des exclamations lointaines retentirent quand le reste du convoi la remarqua.

– C’est un bot distributeur d’eau, commenta Aaron. Homère en a plein. Ils quadrillent son secteur en permanence.

– Il donne à boire à tout le monde ? releva Blanche. Eh ben, comparé à Actéon, c’est deux salles deux ambiances. Mais d’où vient toute cette eau ?

Mitaine désigna les immeubles aux murs décrépis qui les surplombaient.

– De là, j’imagine ?

Cornélia distingua des dizaines de fûts, de réservoirs et de tuyaux de gouttières, accrochés aux balcons et aux toits. Aaron hocha la tête.

– Homère stocke l’eau de pluie. C’est la seule solution, de toute façon. Mais il pleut quasiment plus dans cette zone…

Son visage s’assombrit.

– J’sais pas combien de temps il va encore tenir.

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