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PS. Je sais pas si vous avez remarqué, mais pour ceux qui ont lu Par le fer et le feu, il y a un petit caméo d'Alban (sous un autre nom) xD

La dryade la regarda, une lueur de pitié au fond des yeux.

– Bientôt ? Ma pauvre, il y a plus de quatre-vingt-dix kilomètres avant le territoire d’Homère…

Cornélia déglutit, la gorge soudain sèche.

Quatre-vingt-dix kilomètres de marche. En compagnie de la sinistre meute.

Et Actéon qui ne se montrait toujours pas… Tout semblait figé, coincé dans l'instant de calme qui précède la tempête. La jeune femme reprit sa place et rassura Pouet d’une caresse – il était terrorisé – en essayant d’oublier les mots d’Iroël. Peine perdue. Ils tournaient encore et encore sous son crâne, à la rendre malade.

Jour noir. Jour noir. Jour noir.

Après ce qui leur parut un siècle, alors qu’elles marchaient depuis si longtemps que Blanche pataugeait pitoyablement et que Cornélia se traînait avec douleur, Aegeus brisa le silence de sa voix de stentor :

– Halte ! Pause de quinze minutes !

Quinze minutes ?! C’est une blague ?

La jeune femme ne s’était jamais sentie si épuisée de sa vie. La veille n’avait été qu’un avant-goût. Ses jambes et ses pieds n’étaient plus que des masses de chair douloureuse et même Pouet avait perdu toute sa vivacité. Ses longues oreilles tombaient piteusement de chaque côté de sa tête.

Les sœurs se retirèrent sous le porche d'une façade haussmannienne, typique du Lyon qu'elles connaissaient, et se laissèrent tomber sur le truc sec le plus proche – à savoir, une poubelle renversée sur le flanc. Elles prirent la tête entre les mains à la même seconde, comme deux reflets identiques.

– J’en peux plus, gémit faiblement Blanche. J’ai jamais autant marché de ma vie… On arrivera jamais au bout !

– Et ces maudits chiens qui nous regardent… siffla Cornélia en lançant un regard venimeux vers les molosses les plus proches.

Loin devant elles, le musculeux Beyaz s’était assis lui aussi, le chien toujours sur ses épaules, à croire que cet homme-là était fait de roc et non de chair comme n’importe quel être humain. Aaron se tenait à ses côtés, aux aguets, l’animal toujours en joue.

– Où est Iroël ? marmonna Blanche. Il pourrait peut-être me porter ? (L'espoir apparut dans ses yeux ternes, leur redonnant un peu d'éclat.) Tu crois qu’il me portera, si je lui fais assez pitié ?

Mes aïeux, songea Cornélia, certaines choses ne changeront jamais. Même en étant entourées d’horribles créatures dans un monde comme la Strate.

Elle fit mine de chercher Iroël dans la foule, plus blasée qu’autre chose, mais à ce moment-là, un coup de feu claqua dans le silence.

Tout le monde sursauta, les échos rebondirent partout dans l’avenue ; fébrile, chacun se mit à chercher l’origine du tir.

C’était Aegeus. Il se tenait debout près des hydres, le canon de son arme encore pointé vers le ciel.

Comme un coup de poing dans le ventre, Cornélia réalisa que ce devait être le signal. Le signal de l’attaque.

« Et à ce moment-là… Je mettrai tout mon ost dans la bataille, et on décimera le chasseur aux mille chiens. »

L’attaque des zonures.

Le cœur battant à grands coups dans sa cage thoracique, elle attrapa Blanche par le bras et chercha du regard un endroit où se mettre à l’abri.

– Hé ! Qu’est-ce qui te prends ? protesta la petite blonde. Et pourquoi il a tiré en l’air, lui ? Tu crois que c’est pour provoquer Actéon ?

L’aînée ne l’écoutait pas. Les combats allaient faire rage ; où pouvaient-elles se cacher ? Parmi les nivées du convoi ? Ou celles-ci se jetteraient-elles aussi dans la bataille pour en découdre avec Actéon ?

Trop tard pour prendre une décision. Quelqu’un se glissa derrière les sœurs ; elles sursautèrent à l’unisson quand une main se posa sur leurs épaules.

– Iroël ! tonna Cornélia. Nom d’un chien, arrête de faire ça avant que ça devienne une habitude !

– Iroël ! chuchota Blanche. Qu’est-ce qu’on…

Il leur intima le silence d’un geste, puis leur désigna la bouche de métro qui s’ouvrait à dix mètres, avec son enseigne cassée et colonisée par les mousses. Le gouffre empli d’ombres était à moitié occulté par un rideau de lianes. L’intérieur devait être complètement inondé. Au début, les sœurs ne virent que des frémissements légers dans les fleurs et les feuilles...

Puis les zonures se montrèrent.

Les lianes en laissèrent passer trois, flanc contre flanc, imposants comme des taureaux, qui émergeaient des escaliers. Ils dégoulinaient d’eau. Puis trois autres apparurent, suivis d’un autre trio, et encore, et encore… Blanche écarquilla les yeux. Ils étaient des dizaines. Leurs têtes de lézard triangulaires paraissaient très lourdes sur leurs corps amaigris ; leurs écailles étaient ternes, boueuses, leurs cornes ébréchées. Mais une telle force se dégageait d’eux que les boyards armés reculèrent et que même les chiens d’Actéon semblèrent interloqués. À côté de Cornélia, le zonure d’Aegeus leva la tête et une étincelle s’alluma dans ses yeux. Il força sur sa muselière sans réussir à la briser. Blanche posa doucement la main sur ses écailles – Cornélia faillit faire une attaque, craignant qu’il ne la blesse, mais le dragon parut s’apaiser.

L’un des zonures sauvages échangea un regard avec Aegeus ; dans ses yeux sombres dansait une flamme vengeresse, et Cornélia reconnut celui qui venait du convoi, celui qui était parti chercher les siens. Aegeus se tourna vers une autre bouche de métro, sur le trottoir opposé ; tout le monde, boyards compris, suivit son mouvement. Là-bas, la même scène se reproduisait, mais avec des dragons mammaliens.

Les énormes créatures s’ébrouaient pour chasser l’eau de leur armure d’écailles ; elles battaient l'air de leur queue hérissée de pointes, comme pour se préparer à battre tout autre chose. Les nivées du convoi commencèrent à s’agiter, par crainte ou anticipation. Les têtes des hydres ondulaient en tous sens pour observer la scène. La meute d'Actéon ne bougeait toujours pas, immobile, dans l'attente de ce qui allait venir.

Puis le zonure meneur ouvrit grand la gueule. Il cracha un long jet de venin, droit vers les chiens les plus proches.

Ceux-ci esquivèrent avec une fulgurance impossible. Un grondement sourd naquit dans leurs gorges, avant de se propager à toute la meute. D'un coup, ils passèrent à l'attaque et tout s’accéléra.

Les dragons se jetèrent contre eux, comme une vague dévastatrice toute en écailles grises et brunes. Les zonures chargeaient comme des rhinocéros, leurs cornes en croissant de lune pointées en avant, heurtant les murs et les arbres avec violence sans faire aucune distinction entre ce qui était vivant et ce qui ne l’était pas. Un chien fut projeté dans les airs, un autre eut le poitrail ouvert jusqu’aux côtes – Cornélia détourna les yeux, épouvantée devant ce bain de sang. La panique gagna les nivées du convoi qui se rassemblèrent en grand désordre, formant un rempart compact pour protéger les plus faibles.

Les boyards fixaient leur chef en attendant ses ordres, tenant en joue à la fois les dragons et les chiens, sans savoir à qui se fier. Aegeus sourit et leva une main ; tous se tendirent, suspendus à ses lèvres, prêts à tuer la cible qu’il leur indiquerait. Cornélia se prépara aux coups de feu, aux échos assourdissants, aux cris et aux balles perdues.

Mais Aegeus ne donna jamais le signal à ses soldats.

– Harpies ! hurla Aaron. Harpies côté Est !

Il avait la voix déformée par la terreur. Cela lui ressemblait si peu que Cornélia crut un instant s’être trompée, qu’il s’agissait d’un autre boyard ; mais non, c’était bien lui. Il avait cessé de pointer son arme sur l'otage et regardait l’horizon.

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