Amer friandise

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Le chat traine des pieds et miaule dans le vide : car te voilà partie, ma petite grelotte. Dans la voiture de ta mère, venant une nouvelle fois l’enlever sans un mot. D’un coup, je pense à tous ces pauvres amants obligés de se quitter chaque matin, à tous ces adulte désarmé voyant leurs complicités et leurs enfances fondre aux feux de la nécessité bourgeoise :

“Pardon pour nos promesses, nous aurions pu profiter de ce grand soleil et jouer dans l’herbe. Et même si le ciel se serait noirci, tu nous connais : nous aurions construit un abris sous les couettes pour nous raconter de belles histoires en craquant des allumettes.
Mais pardon, pas aujourd’hui, ni demain, car je dois aller travailler, tu comprends ?

Non, jamais je n’ai compris. Encore moins maintenant qu’il y a cette drôle de petite clochette à qui je me suis lié. La voir partir chaque matin : voilà un malheur, voilà un meurtre que jamais je ne pourrais supporter : mais c’est à quoi sont condamnées tous mes autres frères et soeurs d’amours, dans l’universelle tragédie des temps modernes.

Ces au-revoirs constant ne brisent pas : ils palissent notre âme, la rendant livide comme une vieille pierre. S'habituer à ces adieux, c’est abandonné pour toujours les couleurs et le goût pour toutes choses.

Comment s’en résigner ?

Aujourd’hui, il n’y a pas de soleil, toujours ces nuages menaçant qui ne tombe jamais. Mais mon coeur est encore ému de ta présence. Le jardin porte l’odeur du frai composte, les semis montrent leurs nez et malgré ton départ, chère abeille rosé, tout le cycle de la vie demeure - ce cycle si réconfortant, si reposant de l'existence mouvement, plongé dans une éternelle naissance.

Il y a un monde loin d’ici, fait de noir et de gris, dont on n’arrive pas encore a nommée. Il y a cette “modernité”, ce “progrès”, cette agitation absurde et permanente. Nous y avons vécu, rappelle toi, jamais totalement, mais suffisamment pour détester son odeur. Nous ne sommes pas fait pour lui - mais qui l’est en réalité ?

Nous avons découvert ce que nous sommes : les enfants du calme. Ceux portant des yeux rêveurs au sommet des montagnes, pour ces étoiles dont on s’est rapproché, pour ces constellations, nos reines, à jamais apaisé. Ceux qui ont troqué de grands salaires pour un petit potager et une grande bibliothèque à la campagne. Ceux-là aussi qui honore par la danse le vent et tout ce qui vit.

Nous le savons maintenant, puisqu’hier nous l’avons aussi vécu : cet instant où la haine du monde se transforme en violence, en rigueur folle ; où le refus du passé se transforme en rejet de la vie ; où rien ni personne ne semble pouvoir nous réconforter. Tu le sais, plongé dans cette morale aveugle et lâche, dans quel malheur on tombe : même armée l’un de l’autre, nous n’avions rien vue. Il y a peu de temps encore, c’était nous les pieux, les pires de tous : ceux-là qui veulent s’eteindre.

Mais nous avons gardé cette mémoire et l’horreur des artifices - et rien de notre passé ne me gâcherait cette friandise matinale : te voilà partis, oui, et mon esprit reste joueur : tu n’es pas allée travailler, petite bouille d’escargot, tu t’es envolée à la recherche de solitude : la mal aimée, l’amie de si peu ! Elle, on souhaite la séduire, toi et moi, et pour cela, nous sommes contrains d'être loin l’un de l’autre.

Tu es partis à l’aventure, pour voir si là-bas, tu sauras rester forte, honnête et joyeuse, pour voir si tu es digne de l’amour véritable, celui qu’il faut chérir : l’amour à la fois amour de soi et amour de l’autre.

Nous sommes les enfants du calme, nous ne l’avons pourtant si peu connus. Même si nous sommes liés, bien sûr, nous le savons : à chacune de nos rencontres, il faut encore renoncer au véritable calme. Il faut se donner et sacrifier pour l’autre, et cela même en amour : voilà le drame qui nous est insupportable - bien plus que l’absence.

Nous sommes les enfants du calme : nous fuyons les écrans et les bandes, comme la ville et le travail. En vérité, tout cela trompe l’ennui, il le méprise : et pour nous les impies, il n’y a pas pire blasphème que cela ! L’ennui est notre meilleur ennemi, il nous inquiète et nous effraie de nous inquiéter sans raison : il bouscule sans cesse et nous met à l'épreuve comme rien d’autre au monde avec ses mots :

“Voici mon énigme : Qu’est-ce donc un homme apeuré de ne rien faire ?

Allons, dIs-moi !

Es-tu libre ? Tu le veux non ? Très bien, alors cesse donc de bouger !

Es-tu sincère et authentique ? Donc explique-moi pourquoi ces démons s’approchant alors que tu es seul avec toi-même !

Petit futé, aucune prétention ne me résiste à moi, l’ennui !

As-tu un secret à me cacher ? Alors, voici mon énigme :

Qu’est-ce donc un homme apeuré de ne rien faire ? “

Voilà notre meilleure ennemie, capable de briser ce qu’il y a de plus superficielle ! Comment osé la mépriser ainsi ? Comment peut-on s’en passer ?

Mais il y a là bien trop de mots.

Je suis là, avec un sourire, mais tu me manques. Cette sucrerie est un peu amère pour une si douce matinée, car j’ume malgré moi ton parfum. Je me souviens de ma force à tes coté sans le vouloir. Me reviennent, à mon grès, les beautés de notre histoire.

Je suis encore le prisonnier de ton absence.

Je dois me transformer, devenir un sans toi. Et toute transformation est violente : voici que je dois accepter d’autre vérité, toujours plus assassine ! Mais déjà j’ai le coeur allégé et cela passera. La matiné est bientôt terminée, le doux soleil d’automne perce enfin les nuages.

Je te sais partie en mission, ma chère feuille de tomate ! Pour aller conquérir la légèreté dans ton royaume de solitude en construction ! Partis en quête de douceur et de silence, pour démasquer l’enfant du vulgaire. A la recherche de ce monde toujours inconnu, de ces sens encore hésitant, eux qui un jour seront capables de t’offrir l’apaisement.

Te voilà comme moi assis par terre. Autour de toi un jardin en fleur et ses parfums d’été. Les autres prient leurs écrans et nous, affamés de vérité, nous invitons l’ennui à entrer dans notre âme ! C’est pour bientôt, je le sais, l'instant où nous serons capable de la plus grande des noblesses : s’aimer dans sa solitude. Il n’y a rien de plus beau que cela !

Alors, ma fière épeire, nous aurons nul besoin d’abris, et plus rien à nous offrir ! Nous serons redevenu enfant - avec ce gai saoir en plus pour ne jamais devenir adulte, devenir comme eux ! Et si cette ecrit porte mon deuil, je n’en suis que plus léger !

Allons, allons ! Le soleil à son midi, j’ai un abris à bâtir !

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