Chapitre 6

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À peine Nono fut sorti que Za’ Ngongang colla son oreille contre la poitrine du roi. Rien, pas même le moindre battement. Instinctivement, il tira un pot sous le lit et y sortit quelques feuilles d’herbes. Il passa près des narines du roi la boulette de feuille qu’il avait au préalable frottée entre les mains. Le corps resta inerte comme si les écorces avaient été appliquées sur une statuette. Juste le temps d’une hésitation Za’ Ngongang décida de tenter autre chose, espérant que le Orí ― l’âme ― de Obaté Kundayo n’ait pas encore quitté son Ara. Il aspergea le cadavre d’une potion qu’il venait également de puiser du canari et prononça quelques conjurations. La seconde d’après, ses yeux se révulsèrent et devinrent totalement blancs : pour la troisième fois de la soirée, il était de nouveau passé d’un état inférieur à un état supérieur. Cette fois-ci, il avait utilisé une magie différente, mais rien de ce qu’il espérait ne se manifesta. Il n’y avait plus aucun doute, le Orí le Émi et le Ara du roi s’étaient séparés ; dès à présent ces trois entités bien distinctes ne feraient plus jamais chemin ensemble.

Za’ Ngongang souleva le cadavre de Obaté Kundayo, retourna les draps sens dessus dessous, s’agenouilla, tâta le bas du lit, inspecta minutieusement les alentours comme s’il cherchait une aiguille dans une meute de foins. Furieux de n’avoir rien trouvé, il se releva, le visage déchiré par une colère incroyable. Ce qu’il avait redouté plus que tout s’était peut-être produit : Obaté Kundayo avait emporté avec lui ses dernières volontés dans l’au-delà.

  • Quelle malédiction ! s’écria-t-il d’une voix puissante en frappant violemment la main sur la commode placée au chevet du lit.

Le bruit du tabouret avait résonné tellement fort que les deux gardes placés derrière la porte avaient sursauté et s’étaient regardés du coin de l’œil, gris de peur.

  • Takàk est vraiment fou de rage, murmura l’un.

L’autre garde encore plus terrifié avait juste acquiescé en hochant timidement la tête. C’était très inquiétant lorsqu’un homme aussi impulsif que Za’ Ngongang arrivait à de telles extrémités.

Subitement, la porte s’ouvrit et Za’ Ngongang sortit. Rien qu’à voir son visage, on décelait l’immense colère gravée dans les rides profondes de son front. Il se dirigea jusqu’au grand salon et lança des regards furtifs dans toute la pièce : elle était complètement vide, pas d’âme qui vive... Il se précipita vers la sortie de la résidence, ouvrit brutalement la porte. À l’extérieur, il n’y avait toujours pas la moindre ombre de Nono mis à part les deux gardes en faction devant l’entrée de la résidence privée du roi.

Za’ Ngongang poussa un grand cri de rage pour évacuer sa colère. Les deux gardes durent reculer discrètement pour ne pas subir son accès de fureur. Il se retourna vers eux et tonna :

  • Où est passé ce foutu Tshofo ?

Les deux hommes étaient tellement effrayés que la peur les rendit muets quelques secondes. Puis, l’un d’eux trouva la force de placer un mot avec un balbutiement de bègue.

  • Za’, dès que le tshofo est sorti, il est est-Pa- Pa- partit précipitamment par-là, répondit-il en pointant la piste qui menait vers la plantation du domaine.
  • Vous ne pouviez pas le retenir, vous servez donc à quoi, planté là ? répliqua furieusement Za’ Ngongang.

Les deux gardes baissèrent honteusement la tête, les épaules voûtées. Ils auraient bien voulu dirent à Za’ Ngongang qu’après être sorti de l’appartement privé du roi, Nono avait laissé entendre qu’il devait rapidement porter un message de la part du roi. Il avait particulièrement précisé que c’était une question de vie ou de mort. Alors, sur quelle base auraient-ils bien pu l’intercepter. Seulement, Za’ Ngongang n’était pas quelqu’un avec qui on pouvait discuter. La meilleure chose à faire était de garder profil bas et d’encaisser sagement ses reproches.

  • Bande de bons à rien ! hurla Za’ Ngongang. Il vient d’assassiner Obaté Kundayo.
  • Hein ! quoi ? le sale traitre ! répliqua dans un étonnement total l’un des gardes.

En quelques secondes, Za’ Ngongang leur donna de fermes instructions puis termina sa phrase par ses mots :

  • …dépêchez, le temps presse !

Sans tarder, les deux s’engouffrèrent aussitôt sur la piste qui menait vers l’entrée principale du domaine. Za’ Ngongang d’un air pensif regardait leur silhouette s’évanouir dans la noirceur de la nuit. Il rentra ensuite dans l’appartement et traversa le grand salon jusqu’à mi-chemin de la chambre du roi. L’esprit totalement ailleurs, il se mit à réfléchir sur le cours des évènements. Depuis qu’il avait succédé à son père, c’était la première fois qu’il soit dans une situation aussi embarrassante. Tel qu’il l’avait imaginé ce matin, cette journée allait être déterminante pour l’avenir de Babangui. Et il était bien déterminé à marquer l’histoire de son empreinte ; pourquoi pas à voir sa statuette érigée au panthéon des plus grands Hommes de Babangui. Seulement, les choses étaient en train de lui glisser entre les doigts.

Za’ Ngongang n’était pas un homme à s’avouer facilement vaincu. C’était sa détermination à ne jamais perdre qui avait fait de lui l’un des plus grands ghekak de la contrée des Grassland. Ce soir, une fois de plus, il comptait bien mettre cette qualité au profit de son royaume bien-aimé. Il avança jusqu’à la hauteur de la chambre, mais au moment où il allait traverser le seuil de la porte, il fit volte-face.

  • Toi, va garder l’entrée principale le temps que l’un de tes collègues revient, ordonna-t-il en pointant du doigt l’un des deux gardes qui tenaient l’entrée de la chambre royale.

Pendant qu’il s’exécutait, Za’ Ngongang, le regard perdu, le regardait s’en aller, comme s’il décrypterait dans son dos les formules magiques qui atténueraient l’anxiété qui le submergeait. Il dut rester ainsi une bonne trentaine de secondes, avant de se décider à traverser le seuil de la porte, le visage toujours enlaidit par une angoisse torturante.

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