Mauvaise rencontre - partie 1

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Je ne sais pas comment Clémentine a fait, mais je viens de passer une bonne soirée à l’extérieur de notre petit appartement. Durant quelques heures, j’ai réussi à oublier ma tristesse et mes peurs, sans doute aidée par ces deux ou trois verres d’alcool commandés par mon amie. Je n’apprécie pas vraiment la bière, mais j’avoue que l’ambiance de ce pub valait bien d’avaler ce breuvage un peu amer. Je crois même me souvenir d'avoir dansé avec un ami de Clem, bien que je n’ai pas du tout retenu son nom. Il va falloir que je prenne garde à ce que cela ne devienne pas une habitude.

Je glisse mon bras sous celui de Clémentine qui m’adresse un grand sourire. Je redresse le menton, un peu par défi.

– Oh ! Pas la peine de te vanter, lui dis-je. Je n’ai pas passé une si bonne soirée que ça.

Elle éclate de rire puis retrouve un faux sérieux.

– J’en suis désolée, mon amie. La prochaine fois, je t’empêcherai d’écouter les mauvaises blagues de Louis et de te trémousser au milieu des tables.

– Je ne me suis pas trémoussée.

– Oh que si !

– Oh que non !

Nous rions de concert.

– Bon, d’accord, j’ai peut-être effectué quelques pas de danse.

Son sourire me réchauffe le cœur. Nous bifurquons à l’angle de la rue en jetant un regard vers l’immense avenue éclairée par quelques lampadaires à la lumière jaune. Clem me pousse du coude en m’indiquant le parc sur notre droite.

– On coupe ? Il fait trop froid pour faire tout le tour ! Je rêve de mon lit et d’une bonne tisane.

– Tu veux traverser le parc ? De nuit ? Mais qu’avez-vous fait de ma copine Clem-la-Trouillarde ?

– Oh ! Arrête avec cette histoire, j’étais gamine ! Et puis, on est deux et les allées sont éclairées.

J’acquiesce, convaincue que gagner quelques minutes pourra nous éviter de mourir de froid. Il faut dire que nous portons toutes les deux des jupes et des collants épais qui semblent à présent de dérisoires protections face à la morsure de l’hiver. Nous poussons donc le tourniquet qui délimite l’entrée de l’immense parc. Un grincement métallique et lugubre annonce notre passage.

– Charmant ! raille mon amie en reprenant mon bras.

Cet endroit, nous le connaissons bien. Dès que les beaux jours sont de retour, tous les étudiants aiment y dénicher un coin calme pour réviser ou pour flâner. Une partie boisée permet aussi de trouver l’intimité tant recherchée par les jeunes couples.

Toutefois, à cette heure, le parc est désert. La masse sombre des arbres se dresse sur notre gauche alors que, face à nous, une petite place en pierre distribue en étoile les multiples sentiers pédestres. Nous filons sur celui qui sépare le bois d’une immense pelouse recouverte par une gelée blanche. Le sol crisse sous nos pieds tandis que des volutes vaporeuses s’échappent de nos lèvres. Dans une quinzaine de minutes, nous aurons atteint une sortie du parc qui donne à une rue de notre appartement, nous évitant ainsi presque trois quarts d’heure de marche dans la ville.

Un bruit me fait tendre l’oreille, je ralentis le pas malgré moi. Clémentine me jette un coup d’œil. Sa main serre un peu plus fort mon avant-bras.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

Le bruit se répète, léger, discret, provenant sans doute du bois. De petits animaux doivent vivre là, pas de quoi paniquer.

– Rien, dis-je en reprenant une allure normale. J’ai entendu du bruit, mais ça doit être un écureuil.

– À moins que ce ne soit ton vampire, glousse mon amie tout bas.

Au coup d’œil qu’elle me lance, je sais qu’elle a voulu me faire rire, mais elle a fait un bide. Elle le comprend dès qu’elle croise mon regard incertain.

– Pardon, Val. C’était hyper maladroit, je…

– Non, t’inquiète. J’y ai pensé moi aussi.

On échange un coup d’œil complice suivi un pauvre sourire puis nous reprenons notre route. Le sentier tourne vers la gauche et un autre arrive sur notre droite, caché par une petite colline sans doute artificielle. Le bruit se répète, suivi d’un second, à l’opposé. Sur notre droite, on entend des voix d’hommes qui approchent en parlant un peu trop fort.

– Merde, chuchote Clem.

– Avance, ne t’occupe pas d’eux.

On accélère tout en tentant de conserver un air serein en marchant sous l’un des lampadaires du parc. Notre mise en lumière ne passe malheureusement pas inaperçue et les voix forcissent.

– Hé ! Salut les filles !

– Vous allez où comme ça ?

– On peut vous accompagner ?

Ils sont trois et leurs intonations sentent l’alcool aussi sûrement que leur haleine. Dans ces cas-là, même si l’envie de courir me saisit inévitablement, j’ai tendance à penser que détaler tel un lapin pousserait les loups à nous prendre en chasse. Je crois aussi que l’indifférence peut être perçue comme une insulte et entraîner un conflit. Je tente donc de conserver une voix assurée et claire pour leur répondre fermement.

– Merci beaucoup, messieurs, mais nous n’avons pas besoin de chevaliers servants.

On pique vers le sentier de gauche, laissant les hommes derrière nous en priant silencieusement pour qu’ils en restent là. La sortie du parc doit être à un bon kilomètre : nos talons ne sont pas faits pour gagner ce genre de course. Hélas, les trois lourdauds en ont décidé autrement. Nous les entendons se mettre à marcher derrière nous en nous interpelant de nouveau.

– Oh ! Vous avez entendu, les gars ? La grande brune pense qu’on est des chevaliers servants !

– Faudrait pas décevoir ces princesses !

– Attends, poupée, je vais te faire tâter ma grosse épée.

Des rires gras fusent dans notre dos, nous poussant à accélérer encore.

– Ne cours pas, glissé-je à l’oreille de Clémentine.

Un couinement angoissé me répond. Je jette un coup d’œil autour de nous : il n’y a personne pour nous aider, il va falloir qu’on se débrouille toutes seules. Les trois lascars sont sur nos talons. Et merde. Je lâche le bras de Clémentine pour faire volte-face.

– Bon, les gars, je voudrais finir ma balade avec ma copine tranquille, OK ? On ne vous a pas demandé de nous suivre.

En un instant, il nous ont encerclées. Fascinant comme l’instinct de prédation resurgit chez les hommes alcoolisés. Dans mon dos, Clémentine agrippe un pan de mon manteau. Il ne faut pas qu’ils sentent notre peur. Je me remets dans le sens de la marche et tente de forcer le passage, Clémentine sur les talons.

– Pardon !

L’homme ne s’écarte pas me contraignant à lui donner un coup d’épaule pour l’obliger à nous laisser de la place. Sa main dérape sur ma taille avant d’enserrer mon bras et j’entends Clémentine pousser un cri de surprise dans mon dos.

– La petite blonde est pour moi, dit l’un des types en empoignant Clémentine.

Mon amie se débat, mais se retrouve vite plaquée dos à son agresseur. Je voudrais lui dire de planter son talon dans le pied de celui-ci, mais je n’en ai pas le temps : le troisième homme s’interpose entre nous deux.

– OK, moi je vais aider notre pote à s’occuper de la grande. Je sens qu’on ne sera pas trop de deux pour la satisfaire.

La lubricité qui brille dans son regard me met en panique. Celui qui me tient assure sa prise en empoignant mon second bras pour ramener mes mains dans mon dos. J’ai envie de hurler, mais je sens que cela ne changerait rien. Mon cœur s’affole dans ma poitrine, tentant de faire circuler plus vite l’adrénaline qui court dans mes veines. J’essaye de porter un coup de pied à celui qui me tient, hélas mon talon ne rencontre que le vide.

– On se débat ma chatte ? C’est mignon…

– Lâchez-moi !

Le type devant moi vient se coller contre moi. Il empeste l’alcool et ses doigts plongent directement vers mon entrejambe.

– Dans un moment, t’inquiète pas…

*** à suivre en partie 2***

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