Descente aux enfers

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Je fixe Tristan sans oser poser la question qui s’impose. Mais cela ne sert à rien de reculer car, de toute façon, je sens qu’il va me reparler de son monstre de la cave, même si je ne lui demande rien.

– Ne t’inquiète pas, mon bonhomme, je descends, je rallume la lumière, et je remonte.

Son petit front se fronce de contrariété.

– Non, ze veux pas que tu descendes. Moi, z’ai pas le droit. Papa il a dit que c’était interdit !

Sans prévenir, il se jette sur mes jambes qu’il agrippe de toutes ses forces. Je réussis à lui faire lâcher prise puis m’accroupis devant lui en le tenant par les mains. Je sens une boule d’angoisse appuyer au fond de ma gorge mais je passe outre.

– Allons, Tristan, tu sais très bien que les monstres ça n’existe pas.

Qui est-ce que je tente de rassurer, là ? Mes intestins se tordent rien qu’à l’idée d’ouvrir la porte de la cave… Et l’attitude effrayée de Tristan ne m’aide pas à surmonter cette angoisse. Il me regarde et hoche la tête.

– Si, murmure-t-il, ils z’ezistent, ze l’ai vu…

– Qu’est-ce que tu as vu ?

Il vient se coller contre moi, les bras enroulés autour de mon cou.

– Quand papa est revenu avec lui, z’ai vu ses yeux tout rouges.

Je prends une large respiration et le berce un instant contre moi. Sa chaleur me rassure et me donne envie de le protéger. Je suis presque une adulte. Je dois faire ce qu’il faut. Et le professeur ne m’aurait pas dit de descendre à la cave s’il y avait vraiment du danger. Je repousse doucement Tristan pour le regarder dans les yeux.

– Ecoute, tu fais confiance à ton papa ?

Il hoche la tête.

– Bien. Donc s’il me dit de descendre à la cave, c’est qu’il ne peut rien m’arriver, non ?

Tristan semble réfléchir, mais il finit par acquiescer, presque à contrecœur. Le fait de jouer la fille rassurée devant lui me donne un peu de courage et je me dirige vers le couloir, Tristan sur les talons. Je devrais lui dire de rester au chaud près de la cheminée, mais sa présence me rassure. C’est la honte, le genre d’épisode de ma vie que je ne raconterai jamais à mes potes du lycée sans le transformer à mon avantage, mais tant pis : pour le moment, c’est un gamin qui n’a même pas six ans qui me donne le courage de partir à la recherche d’une bougie.

La cuisine est dans la même aile du manoir, au rez-de-chaussée elle aussi, et je trouve rapidement une large chandelle et un briquet. Je ne veux pas gaspiller mes derniers pourcents de batterie en allumant la lampe de mon téléphone portable et la bougie me semble une solution acceptable pour descendre à la cave.

Mon opinion est sur le point de changer lorsque je me retrouve, quelques instants plus tard, en haut d’un escalier qui plonge dans l’obscurité. Un relent d’humidité me saisit les narines et je fais la grimace. La bougie n’éclaire pas grand-chose et je ne sais si je dois m’en réjouir ou m’en inquiéter. Car, finalement, ne pas voir trop loin peut me permettre d’ignorer ce qui m’attend en bas… Je déglutis alors que la petite main de Tristan se glisse dans la mienne.

– T’es sûre que tu veux y aller, Val ?

Ce gamin est aussi perspicace que son père.

– Oui, il faut remettre le courant. Et j’ai dit à ton père que je l’appellerai pour lui dire quand ce sera fait.

– D’accord…

Il lâche ma main et j’ai soudain très froid. Je prends une large inspiration, rejette les épaules en arrière, tente d’ignorer ces ombres qui bougent à trois marches de moi et m’aventure sur la première marche qui craque affreusement sous mon poids. Allez, courage, plus vite ce sera fini, plus vite j’arrêterai de me faire des idées.

Je descends lentement, par peur aussi de tomber dans cet escalier inconnu aux marches hors d’âge. Elles sont ajourées et j’essaye d’éloigner de mes pensées la vision d’une main qui surgirait pour m’attraper la cheville. Mais mon cœur s’emballe inexorablement au fur et à mesure que la nuit se referme derrière moi. L’escalier tourne à droite, m’empêchant désormais d’apercevoir Tristan si je me retourne. De toute façon, il ne faut pas que je me retourne, sinon je vais remonter en courant : je me connais !

Dernière marche. Le sol devant moi semble être un mélange de terre et de petits graviers. Je soulève la bougie vers le mur sur lequel devrait se trouver le tableau électrique. Il est là. Bien joué. Je m’apprête à chercher quel bouton je dois remonter quand tout mon corps tressaille : je suis certaine d’entendre un souffle derrière moi. Et si c’était le monstre de la cave dont me parlait Tristan ? Je lutte pour ne pas me retourner ni remonter l’escalier en hurlant. Allons, il doit s’agir du souffle du vent qui s’est engouffré par une fissure : avec la tempête qui rugit à l’extérieur, ce ne serait pas étonnant ! Mais tout mon être sait que c’est un mensonge : il y a quelqu’un, ou quelque chose derrière moi.

Je sens mes lèvres frémirent et ma gorge se nouer : je suis à deux doigts de laisser la frayeur me gagner et de me mettre à pleurer, roulée en boule aux pieds de l’escalier. Un bruit. Comme un frottement. Quelque chose qui racle le sol. Concentre-toi. Le tableau. Le disjoncteur. La lumière. La bougie tremble entre le panneau électrique et moi mais je finis par remarquer le disjoncteur baissé. D’un mouvement vif, je le remonte et j’entends un « clic » rassurant. Juste à gauche se trouve un interrupteur qui est sans doute celui de la pièce. Le raclement se répète, le souffle se transforme en murmure incompréhensible. Je suis tétanisée. Je pourrais me mettre à courir dans l’escalier, la peur galopant sur mes talons, mais je ne peux pas rester dans l’ignorance, revenir dans cette maison en me demandant toujours…

J’enfonce l’interrupteur. La lumière fuse dans la cave et je me retourne d’un bloc, tendant la flamme de la bougie devant moi, protection dérisoire. Mes yeux se posent enfin sur l’origine des ces bruits qui me terrorisent depuis de longues secondes et je ne peux retenir un long hurlement de terreur.

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