Chapitre &#@ : La Faille

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- Recule ! Te bouffe pas le raffalant pour rien !

Mes jambes de plomb arrivent à peine à soutenir mon corps assailli par la pure vitesse qui m’est opposée.

Je me tiens aussi droit que je peux. Minuscule marionnette ballotée par les vents. Absorbée par l’immensité bleue de l’océan, à moins que ce soit celle du ciel ?

Un vieux pilote m’a un jour dit que la seule frontière qu’il avait rencontrée lors de ses vols c’était le froid. Et pourtant. Mes joues me brulent. Je sens ma pauvre carcasse me lâcher à mesure que cette douce chaleur m’envahit.

- Attrape-le !

Une main gantée m’attrape par les cheveux et m’immobilise. L’odeur musquée du bois de hêtre dont est composé le pont de notre frégate m’envahit les narines.

Ais-je heurté le sol ?

Abel me soulève par le col, il me secoue violemment et me hurle au visage.

- …nous lâche pas maintenant. On est presque arrivés

C’est à peine si sa voix me parvient.

Où suis-je déjà ?

- « Où es-tu ? Tu rêves Raphael, et nous poursuivons. » me répond Alix

C’était elle qui avait eu l’idée de venir comme ça. La jeune femme tenait la barre du navire d’une main ferme, laissant ses bouclettes couleur de noisette se débattre au grès du vent.

La poursuite. Oh merde qu’est-ce que je fous !

Plus de temps à perdre, je me relève et finit d’affairer la voile sous la direction d’Abel. Ça lui allait bien ce rôle de vieux capitaine avec sa collection de jurons, son manteau râpé par le temps et ses longs cheveux poivres et sel.

- Lâche rien gamin ! »

Une violente secousse m’envoi voler contre le bastinguage et me coupe le souffle.

- « Combien de temps il nous reste ? »

Abel se tourne vers le petit groupe qui s’amasse sur le pont. Je me relève en tachant de ne pas basculer par-dessus bord. Le vent chargé de poussière nous sale comme des pièces de viande, rongeant cuir et chair sans distinction.

La frégate change de bord brusquement. Une boule de feu éclate au-dessus de nous.

Abel finit de serrer les sangles de son manteau en beuglant ses indications.

- On se met en formation maintenant ! Ça va vous remuer les tripes et vous arracher la gueule mais je veux pas en voir un se la jouer solo compris ?

Tout le monde se regarde. Je vois de la peur, du désespoir, de l’incompréhension. Malik sort du rang.

- Qu’est-ce qu’on fout là le vioc ? T’avais promis que ça serait du gâteau !

D’autres voix suivent rapidement.

- Ton plan c’était de bloquer la faille dans une foutue base militaire ?

- On va tous crever !

Les mains fourrées dans ses poches, Abel reste de marbre.

- « Ouais » grince t’il entre ses dents serrées « On va tous crever si on reste là. On tâte du canon et y en a surement un paquet d’entre vous qui vont finir poivrés. Mais j’ai jamais dit que ça serai simple. Jamais ! Juste que la poursuite s’achevait ce soir ! C’est dans cette pute de base aérienne que ça se finit. Au milieu des soldats, des chiens et des canons qui vous crachent la merde de l’enfer à la gueule, y a la faille ! Et on va la trouver cette fois, parce que cette base je la connais comme ma poche. »

Mes jambes se dérobent sous moi. Ils sont tous figés, regardant avec des yeux agrandis par la surprise la volée d’écharde qu’était l’avant du navire foncer vers eux.

Les cours de la vieille Naan me reviennent une fois de plus à l’esprit.

- « C’est le premier devoir du glypheur mon chou. Tu glyphes, tu tresses, tu stabilises pigé ? Que vous enquêtiez dans le plus doux rêve, ou que vous essayiez de vous échapper du pire cauchemar ça sera à toi de veiller sur eux pendant les secousses. Tu comprends ? Quand ça commence à s’effondrer empaquète les dans du coton mon chou, et préviens le…»

Je respire un grand coup. Tout va bien se passer.

Les vieux de la cité annonçaient à tout bout de chant qu’avec l’expérience un glypheur apprenait à rester insensible durant les secousses et que le vrai truc c’était de ne pas céder à l’euphorie. Ramassis de foutaises.

Je me relève malgré les nausées et attrape uns à uns les projectiles qui volaient vers mes compagnons statufiés.

Je ne sais pas si j’aurais pu supporter les missions si les secousses n’étaient pas si rares. Ce n’était pas tant à cause de l’effet vomitif qu’elles avaient lorsque je me retrouvais empêtré dans l’espèce de mélasse d’un rêve qui ralentit, ou du mal que j’avais à relancer la vapeur une fois que tout était remis dans l’ordre. Le moindre bout de bois oublié, la moindre écharde cachée par l’ombre avait la vitesse suffisante pour traverser de part en part un de nous. C’était dans cette conscience que se cachait la véritable charge du glyphier.

La dernière écharde remise à se place à l’avant du navire, je pose mes deux mains sur le pont et ferme les yeux. On refond doucement. Les blocs de sons sortent de ma gorge avec une compacité presque solide, chacun se brisant sur le navire avec un son mat.

- « ATTENTION ! »

Les poursuiveurs plongent à couvert comme un seul homme.

- « Situation désamorcée les gars »

- « OK GO GO GO ! » chacun saute par-dessus bord.

Alix est la seule à hésiter. Elle se retourne, m’effleure le bout des doigts avec ce regard qui n’a jamais manqué de me mettre mal à l’aise.

- « Merci petit patapon »

L’instant d’après elle avait disparu. Je finis d’ajuster ma combinaison en regardant cette poignée d’ombre chutant au milieu des étoiles crépitantes et éphémères que nous crachent la base militaire américaine par toutes ses gueules rougeoyantes.

Je saute. La voile de mon wingsuit se tend et je descends pendant ce qui semble être une éternité. Je m’enfonce dans les abysses, évitant tant bien que mal les lueurs traitresses qui jaillissent des ténèbres sans discontinuer. Ne pas craquer. Survivre.

Est-ce que j’étais prêt à mourir une nouvelle fois ? A oublier pour toujours mes camarades et à partir dans une nouvelle quête aveugle ? Non. Cette fois c’était la bonne.

Je me pose près des autres. Mes chevilles sont en cotons, mes jambes sont des nouilles trop cuites…la première secousse a été plus fatigante que prévu...

Restés dans les airs, Malik fait sauter les postes de tirs de la base un à un tandis qu’Ahmed veille à ce que personne ne soit touché par les tirs. Ils dévient, esquivent et détruisent avec une simplicité qui fait passer l’exercice pour un jeu d’enfant.

D’un cri aphone Abel ouvre la première brèche, il kick le sol rageusement alors que les filles attrapent les paquetages. Le tissu de réalité s’ouvre telle une plaie béante menant vers…Tout est noir ? Un frisson descend le long de ma colonne à toute vitesse alors que nous basculons vers la brèche. Un cauchemar. On était tombés dans un putain de cauchemar.

Mon front heurte une paroi métallique sans que je ressente aucune douleur. Je me trouvais dans un genre de bunker rempli de hauts silos. Je me relève. Il fait froid. L’obscurité est oppressante, seulement percée par une lointaine lueur blanche. Soit, je n’ai nulle part où aller de toute façon. Il fallait retrouver les autres.

Je marche pendant avec une inquiétude croissante vers ce mince espoir. C’était un cauchemar. Ne pense à rien mon chou qu’elle disait la vielle Naan. Et ne te retourne pas. Je continue jusqu’à ce qu’un grincement métallique déchire le silence des lieux. Une lampe torche m’aveugle et je plonge derrière le premier abri disponible.

« Raphael ? » C’était Alix et Abel. Ils courent vers moi. Alix me prend dans ses bras et love son visage dans ma veste. Abel...Abel pleure à chaude larme.

- « Qu’est-ce que vous… »

- « Pas le temps de niaiser grand. Les autres sont plus là putain. Tous sur le carreaux, arrachés par ces saloperies »

Nous courons vers le puit de lumière alors que des rires clairs se font entendre dans l’obscurité. Abel beugle du plus fort qu’il le peut.

- « C’est la faille les reniflards ! La matière revient à la matière. Le 88e groupe jusqu’au bout ! Cette fois…on rentre à la maison »

Nous entrons dans la faille main dans la main. Pour la première fois dans l’histoire des poursuiveurs. Quelqu’un avait atteint le bout du monde des rêves. DreamLand.

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