Chapitre 14

6 minutes de lecture

Vendredi 29 novembre 2019 - 11h00

Hôpital de Bois-Colombes


Tourner dans un lieu pour en connaître le moindre détail était devenu l’un de ses passe-temps préférés. Mais lorsqu’un mystère régnait entre quatre murs, il devenait impossible de le ramener à la raison. Il était comme ça, un véritable traqueur d’énigmes. Cette fois-ci, sa curiosité n’était pas satisfaite des réponses de l’infirmière.

Jules avait senti naître chez son interlocutrice une gêne incontrôlable lorsqu’il avait évoqué la fréquence peu commune à laquelle des nouveaux-nés perdaient la vie dans le service de néonatalogie. Les traits sur le visage de la femme avaient instinctivement changer. Son corps tout entier s’était mis en position de défense. Bras et jambes croisés, ton de la voix et même le durcissement de son regard. Elle se protégeait d’une agression, s’auto-défendait comme un mal que Jules devait identifier.

Obtenir de bonnes informations dans un tel lieu relevait du miracle. Beaucoup d’âmes charitables pour, mais peu ayant une piste dont la valeur était certaine. Impossible d’intercepter une autre infirmière de la néonatalogie, de même pour les médecins et leur fameux serment d’Hippocrate. Hypocrite mortel plutôt… le silence face à la mort de plusieurs bébés.

Un milieu soudé, hermétique voire impénétrable. Un défi à la hauteur de Jules.

L’homme franchit une nouvelle double-porte et continua son exploration dans les couloirs interminables de l’hôpital. La gériatrie, un univers tout à l’opposé. Naître, vivre, parfois survivre et s’en aller. Jules observait la vie se dérouler d’un bout à l’autre à travers les services.

Il tourna à droite, regagna le hall de l’étage et aperçut au bout d’un couloir une porte barrée par deux bandes jaunes et noires. Après avoir frôlé le désespoir de trouver un indice, prêt à rebrousser chemin, une pulsion en lui s’éveilla. Il devait vérifier ce qu’il se cachait au-delà de la porte.

Un bref coup d’oeil pour vérifier que la voie était libre, et il s’engouffra dans le couloir. À peine eut-il fait un pas qu’une remontrance le statufia.

- C’est interdit, monsieur.

L’accent était fortement typé. Jules s’imagina l’homme avant même de le voir. Il tourna la tête avec prudence et découvrit l’imposant gabarit d’un homme noir, bras croisé, muscle saillant dans des vêtements moulants. Son pied martelait le lino gris, tel un avertissement. Le visiteur s’arma d’un air gêné et esquissa un sourire confus.

- Désolé, je ne faisais pas vraiment attention.

- C’est ça, oui. Circulez maintenant.

Respiration bloquée, petits pas pour se déplacer le long du mur, Jules fila sans demander son reste.

La frustration coula dans ses veines, mais il n’avait pas dit son dernier mot. Il finirait pas savoir ce que cette porte renfermait. Placer une surveillance à cet endroit était un signe, il en avait la certitude. Les éléments suspects commençait à s’accumuler.

Églantine ne lui aurait donc pas menti…

L’approche frontale n’avait pas eu le succès escomptait, la filouterie non plus. Jules se posa un instant sur l’un des bancs des urgences. Tous ces malades lui donnait presque l’impression d’en faire partie. Il sortit son carnet, un stylo noir et inscrivit les quelques idées qui germaient dans un coin de son esprit.

Le son d’une pièce glissant dans une machine capta son attention. Dans un coin en retrait, un distributeur de boissons chaudes s’activait pour délivrer un gobelet de breuvage peu goûtu. La femme s’empara du plastique qu’elle porta à ses fines lèvres avant de se raviser. Trop chaud. Ou peut-être pas très bon.

Les neurones de Jules s’agitèrent dans tous les sens. Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Le personnel soignant devait avoir un espace de détente, un lieu où le travail était mis en suspens un instant pour relâcher les nerfs toujours plus sous tension. L’endroit parfait pour glaner une information, intercepter quelques mots innocents.

Comme s’il avait travaillé dans les locaux depuis toujours, Jules s’orienta avec une aisance spectaculaire dans le dédale de couloir et trouva la salle de repos après cinq minutes. Devant, deux femmes dont l’une triturait un paquet de cigarettes avec énergie. Son corps lui réclamait une dose de nicotine, et vite.

Les deux femmes gagèrent l’extérieur. Alors que la fumeuse allumait sa clope, les traits de son visage juvénile déjà bien imprimés, la seconde jeta un oeil à son bipeur aux vibrations répétitives. Jules passa près des infirmières et s’arrêta à une dizaine de mètres pour tendre l’oreille.

- Encore ton toubib, Fraouzi, avec ses théories d’un autre monde ?

- Oui, il fulmine en ce moment, répondit la femme brune chassant la fumée avec sa main.

- Toujours sur sa théorie ?

- Accroche-toi bien, il pense que les bébés seraient plus résistant à ce fameux virus « fantôme ».

Elles éclatèrent de rire, des larmes roulant sur leurs joues. Comme un point lumineux s’éveillant dans l’obscurité, Jules écarquilla les yeux. Le mot « bébé » avait agité ses petites antennes. Le top départ pour passer à l’acte pour se renseigner un peu plus.

Il sortit son portable et simula un appel. Le bruit du jeune homme, feintant des excuses à son patron, attira l’attention de l’une des deux blouses blanches. Il se tourna et observa les deux professionnelles le dévisager. Encore un instant et leur curiosité serait à point.

Son doigt pressa la l’écran de son portable qu’il glissa dans sa poche avant de passer des mains dans ses cheveux.

- Monsieur, tout va bien ?

Le poisson avait mordu à l’hameçon sans attendre. L’heure de le cuisiner avait sonné.

- Excusez-moi pour le dérangement. C’est mon patron, il veut toujours plus de sujet sensationnel pour l’édition du soir. Mais là… je suis à sec. La période n’est pas très clémente, à part la tension avec le peuple pour les retraites. Mais c’est du mâché-recraché à la longue.

La plus petite des deux tira sur sa cigarette avant de mettre un coup de coude à sa collègue. son incitation très peu discrète n’eut pas l’effet escompté. Elle réitéra son action avec un peu plus de force.

- Mais pourquoi me tapes-tu dans le coude ?

- Toi, tu n’as pas toutes les lumières au plafond. Le monsieur a besoin d’un sujet un peu déconnant et toi tu as le grand, l’unique Fraouzi. T’as besoin d’un dessin ou ça ira ?

- Ah ! Super ! s’exclama l’homme.

Jules se redressa et dressa un léger sourire au coin de ses lèvres qu’il adressa à l’infirmière. Prise au piège, elle se décida à livrer ses informations avec une pointe de gêne. Ses joues s’empourprèrent légèrement, son teint crème vira au rose pale.

- Et bien… Non, mais c’est juste délirant. Même moi je n’y crois pas. Je vais passer pour une folle.

Jules s’approcha d’elle, comme pour créer une bulle insonore. Un petit truc qu’il avait appris de son beau-père pour créer un cadre plus intime et permettre de libérer la parole, obtenir la confidence. Sa collègue fit aussi un pas pour resserrer le cercle.

- Le docteur Fraouzi pense qu’il est possible de manipuler des virus pour les rendre, disons… moins conventionnel. Il évoque plusieurs théories à ce sujet, toutes plus aberrantes les unes que les autres.

La fumeuse ricana, la tête tournait enfouie dans son épaule.

- Continuez, je voue en prie.

- Fraouzi prétend ces recherches ne datent pas d’aujourd’hui et que de nombreux scientifiques travaillent sur la création de virus tueurs. Mais ce qui me fait le plus peur est que…

Jules notait chaque élément intéressant sur un morceau de papier. Ils reporteraient ses écrits dans son carnet une fois à l’abri des regards indiscrets. Les yeux verts de la femme se perdirent au loin. Il lui fallut un instant pour reprendre sa respiration et achever son récit.

- Dis-lui aussi le truc flippant qu’il t’a raconté un matin.

- Oui, c’est vrai. J’oubliais ce détail. La chose qui me fait encore plus peur dans cette histoire, c’est que le docteur assure que les nourrisson auraient des capacités physiologiques insoupçonnées pour résister à ces virus volontairement mutés.

- Il est complètement cinglé ce mec, ajouta la seconde femme. Un jour, il fera la une des faits divers et on apprendra qu’il pratiquait des manipulations sur les bébés, c’est moi qui te le dit.

Les mots compressèrent un à un le coeur de Jules. Il devait absolument rencontrer cet homme dont le contenu du discours l’intriguait de plus en plus. Alors que les deux soignantes s’éloignaient pour regagner le bâtiment, Jules les alpaga.

- S’il vous plaît, une dernière question. Dans quel service puis-je trouver de docteur Frao…

- Fraouzi ?

- Oui. À vrai dire, j’espérais pouvoir recueillir ses propos.

- Vraiment ? Si vous y tenez.

Jules hocha vivement la tête. La réponse qu’il obtint leva tout doute dans son esprit. L’hypothèse d’une quelconque coïncidence s’évapora en un quart de seconde.

- Il est responsable du service de néonatalogie.

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