Le lion et le miel

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Si j'étais idiot, je retomberais amoureux

Je me suis dit que ce serait un titre intéressant pour mon prochain texte, mais je doute à présent. Je décide de demander à Balthazar. Mon vieil ami ne saurait me faire défaut. Comme j'ai passé des fêtes plus qu'alcoolisées, nous nous retrouvons au parc. De nuit, évidemment, comme d'habitude.

Balthazar m'écoute avec le visage impassible de la sagesse. Il n'est pas exactement ce que j'appellerais un sage. Ce vieux baroudeur a fait toutes les guerres. Je le soupçonne de mentir un peu, parfois. Qui sait ce qui se trame dans sa tête aux cheveux tombants ? Quelles forces ont ployé sous ses bras tatoués, et combien lui ont résisté ? Je bois ses histoires avec la soif de la jeunesse, même si la trentaine approche et que je sens bien que le passé pèse, la même curiosité m'emplit à chacune de nos rencontres. Lorsque je lui raconte les miennes, il sait poser les bonnes questions. Jamais de réponse. La vérité est en moi, paraît-il, ainsi que tout le reste. A vrai dire, il ne le formule pas ainsi mais nous nous comprenons.

Il siffle doucement sous le regard blanc de la Lune. Je répète ma question :

« Ce n'est pas terrible comme titre, si ? »

Balthy, comme j'aime l'appeler, se tourne vers moi. Son visage s'illumine comme s'il venait de s'apercevoir de ma présence. Sa voix grave retentit derrière sa barbe à peine taillée.

« Mon p'tit gars, dit-il en rendant son regard à la Dame Blanche, c'est déjà pas drôle de pas aimer quelqu'un en particulier, mais si en plus tu dois te retenir par... »

Il cherche le bon mot. Il cherche toujours le bon mot. Je l'aide un peu.

« Raison ?
Ouais ! Tu peux pas jouer à être un caillou juste parce que t'as les chocottes de retomber sur une nana avec qui ça colle pas. Enfin, pas longtemps. Ce serait pas... raisonnable. »

Il rit. L'écho de son rugissement suit celui de sa voix sur les pierres blanches qui pavent le parc.

« Et pourquoi pas ? Si ça me plaît d'être un caillou et de ne rien ressentir pour personne ?
Foutaises, mon loulou ! Dans un mois, tu vas te rendre compte que cinq ans, c'est que dalle, que des femmes qui sont chiches de te faire sourire, ça court presque les rues et paf pastèque ! »

J'ai oublié de préciser que Balthazar avait son style bien à lui. Il continue.

« Tant qu'on y est, ce titre à la noix, il est pour qui ?
Comment ça, « pour qui » ?
Si tu tombes amoureux, ou si t'as le béguin, et ça tu connais bien, bref, y'a toujours quelqu'un en face. »

Evidemment, mais je ne voulais pas en parler. Il me pose la question en connaissant déjà la réponse. Il sait aussi pourquoi. Balthazar lit en moi comme dans un livre ouvert qu'il connaîtrait déjà par cœur. Et contrairement à moi, il veut que j'en parle.

« Certains pourraient croire que je regrette ma dernière histoire, malgré l'évidence de son échec irrécupérable.
J'espère que tu vas me dire que c'est tout autre chose parce que là, tu ne serais pas idiot, tu serais le roi des têtes de nœud. »

Je souris. Nous sommes d'accord.

« Autant me remettre à gober des cachets en espérant que ça passe tout seul.
Sale période, j'avoue.
Sale et triste, mais surtout, passée ! Enfin, regarde-moi, Balthy, tu trouves vraiment que je donne envie ?
Vu comme ça... J'vais t'inscrire sur Tinder et mettre un truc du genre : « Chômeur mais attentionné. N'espérez rien de moi, je suis un caillou qui veut revenir à Paris. »

Je ris. L'image ne rend rien de glorieux mais je me rends compte de ma mauvaise foi. Tout quitter pour refaire sa vie et atteindre ses buts, ce n'est peut-être pas donné à tout le monde. Quand j'y repense, ce n'était même pas facile du tout. Mais je l'ai fait. Mon travail d'esclave, mes amis ingrats, ma compagne absente, j'ai tout quitté. Seul l'espoir d'un avenir meilleur subsiste, et avec lui, une discipline de fer et un cœur de pierre. En attendant ledit avenir.

« En attendant, reprend Balthazar, ça répond pas à ma question.
J'y viens. Te rappelles-tu de l'énigme de Samson ?
Tu sais, les trucs bibliques et moi...
Parce que moi, je suis un grand religieux, peut-être ?
Certes, monseigneur. Alors, cette énigme ?
L'Ancien Testament dit qu'il la pose à ses invités après avoir vu un essaim d'abeilles et du miel dans le cadavre d'un lion. La parabole est traduite ainsi : « De celui qui mange est sorti ce qui se mange, et du fort est sorti le doux. Qu'est-ce ?»

Balthazar me regarde, perplexe. La Bible n'est pas mon genre de livre de chevet mais je l'ai lue en entier, par curiosité. Ce faisant, j'ai pris goût aux paraboles, ces énigmes imagées dont les enseignements ont traversé les âges. Mais mon aversion pour les religions me gardait de les citer jusqu'à ce jour. Mon ami plisse ses yeux toujours braqués sur moi.

« Je te connais comme si j'avais pu remplacer ton abruti de géniteur. Y'a encore une histoire de second sens là-d'sous !
Comme toujours.
Attends, mon p'tit lardon. Je cherche. »

Balthy passe sa main dans sa barbe, interroge la Lune, questionne mon passé et mon présent. Deux longues minutes s'écoulent. Peut-être trois.

« Bon, j'ai bien une idée. »

Il se lève et commence à faire les cent pas sur les dalles blanches avant de reprendre.

« Le lion, symbole de la force, meurt pour laisser place au miel, symbole de la douceur. Jusque-là, je capte. La renaissance et tout le bazar, ça colle. Mais...
Mais ?
Mais t'es pas un lion.
Alors que suis-je dans cette histoire, mon cher ami ? »

J'observe Balthy, avec une certaine fierté, se débattre avec mon énigme. Je pourrais presque entendre les engrenages de son raisonnement se mettre en place pour qu'enfin...
« Trouvé ! Enfin j'crois.
Je t'en prie.
Tu f'rais plutôt figure de loup pour moi, mais bon, on ne réécrit pas les textes sacrés. »

La pointe de sarcasme me fait sourire. Il continue.

« Donc, t'es pas un lion, mais t'es encore loin d'être du miel avec tes histoires de caillou. MAIS ! »

Je sursaute ! Pardon, je fais un bond. Balthazar n'est pas du genre à hausser le ton, sa voix porte assez pour qu'on l'entende à l'autre bout du monde. Il pointe un index vers mon visage interrogateur et murmure dans un souffle.

« Ce qui n'est présent pourrait être futur.
J'en garde en tout cas l'espoir, réponds-je avec un sourire de satisfaction.
Sacré nom d'une pipe, tu comptes quand même me dire le nom de la future lionne ou je dois attendre le prochain épisode ?
Tu n'étais pas loin, mais ce n'est pas ça.
Crotte.
De bique.
Affirmatif, mon capitaine. Puis-je dès lors mander une prompte explication de votre part ou faudra-ce un sacrifice de vierges sur l'autel des paraboles perdues ? »

Nous rions tous les deux. Mon cher Balthy... Je lui explique, le vent porte mes paroles et tandis que je revisite l'histoire de Samson à la sauce contemporaine, mon vieil ami se rassied en tailleur dans l'herbe, presque immobile. Il a repris son visage de vieux sage. Ou quoi que ça puisse être.

«  Et l'abeille alors, c'est qui ? »

Il n'en démord pas. Je n'ai pas répondu à cette dernière question. Le jour s'est levé, nous avons quitté le parc. Au loin, là-bas, une abeille fabrique de la douceur et cherche un lion.






PS de Balthazar : on va tous chialer, bordel !

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