Chapitre 5 : L'infirmerie

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La cloche annonçant midi sonne, résonnant dans tout le corps d’Erine qui s’est presque assoupie à mesure que la voix monocorde de son professeur de théorie élémentaire déroulait ses explications. La jeune femme releve les yeux vers le tableau devant lequel des schémas en hologrammes flottent. S’extirpant de son fauteuil, Erine s’étire longuement ce qui témoigne encore plus de l'ennui qu’elle a ressenti cette dernière heure. Sehan est encore plus long qu’elle à reprendre ses esprits et quand ils débouchent dans le couloir, c’est la pagaille. Les étudiants en masses bleues, vertes, jaunes, rouges ou encore noires ou blanches, courent en direction de l’internat et plus spécifiquement du réfectoire. Les uniformes que leur impose le règlement de l’école peuvent être personnalisés aux goûts de chacun, que ce soit en coupe ou en teinte, mais reflètent toujours l’une des couleurs des éléments. Erine a, bien entendu, ses pièces favorites parmi son dressing d’apprentie Contrôleuse et selon les saisons, elle arbore souvent la même tenue. 

Au milieu du chahut des étudiants, l’attention d’Erine est attirée par un cri que plus de la moitié des gens dans le couloir ne discernent pas.  Une fillette tient tant bien que mal l’un de ses camarades évanouit. Petite et frêle, le poids du garçon doit peser lourd sur ses bras et elle appelle à l’aide. Sehan s’amène jusqu’à elle et l'aide à étendre le garçon sur le sol. Les apprentis s'arrêtent, s'attroupent devant le petit groupe, ralentissant un peu plus la marche. 

— Qu’est ce qui lui arrive ? demande Sehan en mettant le garçon de côté. 

La gamine hausse les épaules. 

— Je ne sais pas, il est tombé, d’un coup, dit-elle. 

Erine s'agenouille à côté d’eux et constate l’extrême pâleur du garçonnet. Son teint a viré au gris, presque blanc et seul le contour de ses yeux conserve un semblant de couleur tant ses veines violacées ressortent. L’épiderme de la jeune femme se hérisse et un frisson la parcourt lorsqu’elle frole sa peau glaciale. Elle grimace, une désagréable sensation lui comprime l’estomac au point qu’elle est secouée d’un spasme. Les doigts se Sehan se faufilent dans le col de la chemise de l'élève, sûrement pour prendre son poul et puis devant son nez. Elle n’ose pas demander à son ami s’il perçoit son souffle. 

— Allez chercher une infirmière, un professeur, quelqu’un ! ordonne Erine, la voix éraillée. 

Ses pupilles noisettes ne quittent pas les doigts de Sehan qui palpent chaque partie du corps où les battements du cœur peuvent être perçues. Ses différents mouvements amènent les yeux d’Erine à apercevoir un objet rond dans la main du garçonnet. Elle tend le bras pour attraper une sphère élémentaire et tremblotte en ressentant une nouvelle fois la froideur de la peau de l'élève. Elle porte ce qui semble être une bille de vent sous ses yeux, la secoue et la met près de son oreille, se rappelant les propos d’Anaiel la veille au soir. Mais tout comme précédemment, elle n'entend pas le souffle de l’élément. 

— C’est à lui ? demande Erine à la fillette. 

La tête du garçon est posée sur ses genoux et elle lui caresse affectueusement les cheveux de ses doigts rougis, sûrement par la maîtrise du feu qui l’empêche de trop ressentir la froideur.  

— Oui, répond-elle à voix basse. 

— Quel élément maîtrise-t-il ? 

— Seulement l’air, lui apprend la jeune élève. 

L’image d’Anaiel alors qu’elle semblait comme obnubilée par la sphère de vent martèle l’esprit d’Erine. Que se serait-il passé si Loan n’était pas intervenu ? Son amie aurait-elle fini ainsi, la peau livide et aussi froide que la mort ? 

Sehan porte la main sur la sphère, faisant signe à Erine de l’abaisser. L’objet est trop visible et si c’est bel et bien lui qui est responsable de cet évanouissement, puisque’Erine persiste à se dire qu’il est simplement dans les vapes, il vaut mieux ne pas le brandir au nez de tous et prendre le risque qu’un autre étudiant ne s’écroule. 

— Il a toujours la sphère sur lui ? s’enquiert Erine pour faire la conversation à l’adolescente qui respire de plus en plus vite à mesure que son inquiétude augmente.

Elle acquiesce d’un hochement de tête. 

— Il a joué avec tout le matin, continue-t-elle. Alors que d’habitude, elle est juste dans sa poche, sauf pendant les cours de manipulation élémentaire. C’est un primaire, il en a besoin pour avoir accès à ses pouvoirs. 

Les Contrôleurs primaires sont ceux avec la plus basse habilité, ils ne peuvent pas créer l’élément et le manipulent de manière assez approximative, n’arrivant pas à le dompter proprement. L’air est partout, aussi les sphères de vent ne sont pas absolument nécessaires à leurs opérateurs, sauf certains. 

— Notre professeur lui a demandé à plusieurs reprises de la ranger, mais à chaque fois il la ressortait pour la faire rouler sur la table. 

— Qui comme professeur ? 

— Lui ! 

Et la fille indique un adulte en train de fendre le troupeau d’apprentis qui les regardent. Erine ne peut retenir un grognement en même temps que tous ses muscles se tendent. Ses doigts se crispent sur la sphère de vent. Le professeur en question n’est autre que Malcombe, son père, dont le retour à Laorelon la met déjà suffisamment mal sans qu’il n’ait besoin de se retrouver mêlé à une histoire de malaise d’étudiant.  

— Dispersez-vous ! ordonne la voix autoritaire du Capitaine. 

Sans demander leur reste, tous les apprentis s’écartent et filent vers la sortie du bâtiment des classes. Le couloir se fait très vite plus clair et Erine peut enfin respirer, du moins, le temps que son père parcourt les cinq mètres qui les séparent. 

Au même moment où Malcombe s'abaisse au niveau de l'élève, Erine se redresse et recule d’un grand pas. Elle s’adosse au mur le plus proche et triture nerveusement la sphère de vent, la faisant rouler entre ses doigts. Le Capitaine reproduit les mêmes mouvements que Sehan quelques minutes auparavant, cherchant le pouls du garçonnet. Erine ne manque pas le regard alarmé qu’il lança à Sehan. Puis, elle voit son père contempler le sol, il fouille les poches de son élève et là, elle comprend ce qu’il cherche. Sans un mot, elle tend la sphère de l’air sous ses yeux. Il s’en saisit, évitant soigneusement de croiser ses iris. Soufflant, Erine retourne s’adosser au mur. Elle préfère contempler la jeune fille qui caresse inlassablement les cheveux de son ami et réalise qu’il s’agit peut-être de plus. Ils ont l’air d’avoir douze ou treize ans, cet âge où on connaît souvent ses premiers émois amoureux. A-t-elle compris que son camarade n'ouvrirait probablement plus jamais les yeux ? 

Délicatement, Malcombe glisse une main sous les omoplates du garçon et une autre sous ses jambes. Il le soulève et sa tête quitte les genoux confortable de l'adolescente qui se redresse en même temps pour la soutenir et empêcher que celle-ci ne balle dans le vide. 

Ainsi, ils s'acheminent jusqu’à l’infirmerie. Sehan ouvre la marche, demandant aux élèves encore présents dans les couloirs de s’écarter et Erine les suit car même si elle n’est pas utile, elle ne se voit pas partir à la cafétéria comme si elle n’avait rien vu. Arrivée à destination, Erine demeure dans le hall mais observe le petit groupe par l'entrebâillement de la porte du dortoir. Six lits assurément confortables se font face par rangée de trois. Juste l’un d’eux est occupé par une étudiante bien éveillée, en uniforme et se passant de la pommade sur les bras. Encore une qui s’est blessée en tentant d’apprivoiser le feu. D’un signe de tête autoritaire, Malcombe lui indique de sortir. Même plutôt ravie qu’on lui dise de déguerpir, elle se presse en dehors de l'infirmerie sans demander un mot justifiant son passage. 

— Sortez, Sehan ! intime le Capitaine. 

Entraînant la fillette qui proteste, Sehan revient dans le hall de l’infirmerie. D’un geste un peu brusque, il la fait asseoir sur une banquette. Là, ils patientent plusieurs minutes. Erine est rapidement écoeurée par l’odeur de désinfectant et de produits de nettoyages qui embaument continuellement l’espace. Depuis aussi longtemps qu’elle se souvient et malgré le peu de temps qu’elle y a passé dans sa vie, l’infirmerie a toujours eu cette odeur. Ses murs blancs n’en font pas un lieu chaleureux et les élèves l’évitent tant que possible. Du coin de l'œil, Erine voit par la porte entrouverte que l’infirmière déboutonne la chemise du garçon pour placer plusieurs capteurs sur sa poitrine. Ces derniers doivent renvoyer un signal à un petit écran tactile incrusté dans la table de chevet mais qu’Erine ne la discerne pas. Mais a-t-elle besoin de voir la courbe plate d’un moniteur pour comprendre. Sehan n’a rien dit en sortant de la chambre, sûrement pour ne pas alarmer la fillette, mais si le garçon était hors de danger, il aurait était rassurant, hors là, il demeure complètement fermé. 

Les minutes s’égrainèrent, la fillette fixe l’horloge au-dessus de la porte d’entrée sans ciller. Ses jambes tremblent de temps en temps, elle pousse un long soupir. Erine, elle, balade ses yeux entre Sehan, l’adolescente, ce qu’elle voit de l’intérieur de la chambre et l’horloge. Le temps s'écoule lentement, très lentement. En réalité, cela ne fait pas plus de six minutes qu’ils sont là. 

La porte du bâtiment s’ouvre sur le directeur de l’école. L’homme à l’allure plutôt austère esquisse un sourire en découvrant les trois étudiants dans la hall. Il est arrivé à la tête de Laorelon quelques années avant Erine et Evran qui l’ont, de ce fait, toujours connu. Le directeur Sorven passe devant eux pour s’infiltrer dans la chambre. Cette fois, il referme complètement la porte derrière lui, empêchant Erine d’espionner. 

À son tour, elle se laisse tomber sur la banquette à côté de l’écolière. De là, elle peut sentir la fébrilité qui l’anime puisque les tremblements de son corps secouent même le banc. Elle n’est vêtue que d’une fine chemise, aussi Erine se démet de sa veste et la passe autour de ses épaules. 

— Merci, murmure-t-elle faiblement.  

Ses petits doigts agrippent chaque pan de la veste et elle la resserre autour d’elle. 

— Il est mort, n’est-ce pas ? articule-t-elle d’une voix à peine audible. 

Erine fuit le regard de l'adolescente. Elle se sent lâche, mais comment peut-elle répondre alors qu’elle n’a pas l’information exacte ? 

Les minutes continuent de s’écouler en silence. C’est finalement vingt-cinq minutes après être entrés dans la chambre que le Capitaine Malcombe en ressort. Il ne doit pas se souvenir que les trois étudiants attendent dans le hall et quand il pénètre, l’homme soupire profondément en se frottant les yeux.  Il interrompt son geste d’un coup, en réalisant qu’il n’est pas seul. 

— Allez manger, intime-t-il à Erine et Sehan. Enfin, faites ce que vous voulez, mais ne restez pas ici. 

Erine voit le regard morne de son père croiser celui de Sehan, il ne lui en faut pas davantage pour confirmer ses soupçons. Un poids s’abat sur sa poitrine et la comprime. Devant l’adolescente affolée, elle contient son émotion, mais c’est difficile. Le Capitaine invite l’élève à passer dans une pièce à côté et congédie définitivement les deux plus grands. 

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