076 Visiteuse imprévue

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   Christa laissa son regard errer dans la chambre. La petite dormait, tout était calme. Soudain on frappa à la porte. Elle répondit à mi-voix pour ne pas réveiller le bébé.

   — Oui, entrez.

Erin apparut, l’air un peu empruntée. Christa lui sourit.

   — Erin ! Pour une surprise c’est une surprise, et qui me fait très plaisir.

   — J’ai su pour votre accouchement. Je suis désolée que Steve n’ai pas pu être là…

Christa brandit le majeur en signe d'avertissement.

   — Il me semble que l’on se tutoyait avant. Mon statut de mère ne me rajoute pas une couronne sur la tête, pas plus que celui de compagne du patron.

Erin sourit et effectua gauchement une petite révérence.

   — Votre Majesté, je vous présente mes humbles hommages.

Christa laissa échapper un petit rire.

   — Viens t’asseoir près du lit. C’est vrai que c’est toi qui a commencé à me tutoyer, pendant le siège de la mine sur Solera.

   — J’ai toujours eu tendance à tutoyer les femmes. Je ne m’en rends pas toujours compte. Mais là-bas c’était différent, tu méritais d’être des nôtres…

   — En tout cas c’est la troisième fois que tu viens me voir dans une chambre de soin.

   — Oui et pourtant j’ai horreur de ces lieux ! Encore qu'ici, c'est plutôt mignon. Elle dort la petite ?

   — A cet âge là ça ne fait que téter et dormir.

Erin fouilla dans une des poches de son treillis, et en sortit une petite boite.

   — Je ne savais pas quoi faire comme cadeau pour le bébé, alors je t’ai apporté quelque chose d’utile pour toi.

   — Oh, tu n’étais pas obligée.

Christa, curieuse, se dépêcha d’ouvrir l’emballage. Il contenait un minuscule bracelet et une pierre grise en forme de cœur, avec un petit anneau pour la porter en pendentif. Elle l’examina sous toutes les coutures, perplexes, ce qui amusa Erin. Celle-ci brandit un papier plié en quatre.

   — J’ai triché : j’ai enlevé le mode d’emploi, pour que tu te poses des questions. Tu passes le bracelet au poignet ou à la cheville du bébé, et la pierre va s’illuminer. Un petit cœur rose, au centre, clignote proportionnellement au rythme de son cœur, alors qu’un cercle bleu autour de lui grandit et diminue au rythme de sa respiration. Et en cas de bruit important, comme des pleurs par exemple, le tour de la pierre se colore en rouge. Ainsi, même dans une autre pièce, tu sais comment va ton bébé. Je crois qu’il y a aussi une alarme pour sa température corporelle. La portée est d’environ cinquante mètres, tu peux donc aller jusqu’au fond du jardin sans perdre le contact.

   — C’est adorable. Je ne pensais pas que tu trouverais un cadeau si original. Ça me touche beaucoup.

   — Je suis contente que ça te plaise. Tu sais, je n'avais aucune idée de cadeau, alors il a fallu que j'aille dans un magasin spécialisé et surtout que je demande conseil à une vendeuse. Tu te rends compte, moi dans un tel endroit ! J'aurais préféré un combat à mains nues avec le plus costaud des adversaires.

Christa se retint de rire trop fort de peur de déranger sa fille endormie.

   — J'imagine le tableau. Dis moi, tu n'y est quand même pas allé en treillis et rangers?

   — Si ! Je ne disposais pas de beaucoup de temps, je devais retourner rapidement au boulot. Alors pas question de me changer.

   — J'avoue que j'aurais bien aimé voir ça !

Erin fit semblant d'être vexée.

   — Moque-toi de moi ! Enfin bref... En tout cas, tu as l’air en bonne forme. Je croyais te trouver fatiguée.

   — Je ne fais rien de la journée. Mais dès que je retournerai à la maison, ce sera plus dûr.

   — Mais Steve sera là. J’ai une bonne nouvelle : il débarque demain matin de bonne heure. Il va d’abord passer au bureau, pour me donner les instructions, car je vais devoir partir immédiatement le remplacer. Je pense qu’avant midi il sera là.

   — Merveilleux.

Les deux femmes restèrent silencieuses une minute, puis Erin reprit :

   — Quand même, il paraît qu’accoucher ce n’est pas une partie de plaisir.

   — Tu veux voir la vidéo ? Hugues Milton, qui m’assistait, a amené sa caméra. Comme il était aussi là pour m’aider, il l’a placé sur un pied, et tout l’accouchement est un long plan fixe. Mais on se rend bien compte.

Christa se pencha vers sa table de chevet et saisit son lecteur. Elle chercha la séquence, puis tourna l’écran vers Erin.

   — C’est un montage rapide qu’il a fait ici même, pendant que je me reposais. Un petit film d’un quart d’heure.

Erin regarda, fascinée, le résumé de cette dure journée. Au fur et à mesure de l’avancement des choses, Christa la sentit se raidir.

   — Tu n’es pas obligée de regarder, c’est quand même un peu spécial.

Elle fit mine d’arrêter le lecteur, mais Erin repoussa doucement mais fermement sa main. Elle regarda jusqu’au bout, hypnotisée, puis elle tendit à Christa le lecteur sans rien dire. Ses yeux brillaient. Quand elle pu enfin parler ce fut pour dire d’une voix enrouée :

   — je n’aurais jamais cru que ce soit si dur.

   — C'est vrai, mais après c’est une telle joie lorsque l’on sert son bébé pour la première fois contre soi. Je crois que j’ai déjà envie d’en avoir un autre… dans quelques temps bien sur ! J’espère que tu connaîtras ce bonheur un jour toi aussi.

   — Je ne peux pas avoir d’enfant.

La voix était sèche, le regard était devenu dur. Christa sentit son cœur se serrer.

   — Je suis désolée…

   — Il ne le faut pas. J’ai organisé ma vie autrement.

Le bébé choisi ce moment là pour se réveiller et manifester sa faim.

   — C’est l’heure de la tétée fit Christa en se redressant dans son lit.

Elle regarda le berceau puis Erin et une idée lui vint.

   — Tu peux la prendre dans son berceau et me la donner s’il te plaît ?

Elle avait dit ça d’un ton naturel comme une banalité. Erin fronça les sourcils, hésita, se pencha sur le berceau.

   — Mon Dieu qu’elle est petite. J’ai peur de lui faire mal avec mes grandes paluches.

Christa rit.

   — Non, elle ne risque rien. Je suis sûre que tu ne laisserais jamais tomber une arme à terre. Alors pourquoi le ferrais-tu d’un bébé.

   — Je t’assure… je ne suis pas faite pour ça.

   — Et Steve ? Tu crois qu’il est fait pour ça ? Et pourtant, il faudra bien qu’il s’y mette. Je vais t’expliquer.

Christa lui décrivit comment se saisir du bébé et le tenir dans ses bras en lui soutenant la tête. Elle fut très amusée du luxe de précautions prises par Erin. On aurait dit qu’elle transportait une bombe prête à exploser au moindre choc. Enfin, la petite fille fut dans les bras de sa mère. Christa dégrafa son vêtement et un sein apparut. Erin fit mine de partir .

   — Non reste. Tu ne me déranges pas du tout. Il y a quelques années une de mes amies a eu un bébé et j’adorais regarder la mère et l’enfant pendant la tétée.

Erin sembla se décontracter et se rassit dans le fauteuil près du lit. La petite tétait goulûment. Christa releva la tête et croisa son regard. Elle avait la même expression que Steve dans ses accès de tendresse. Christa pensa qu'elle devait souffrir de ne pas pouvoir enfanter. Une nouvelle idée lui vint.

   — Avec Steve, on cherche une marraine dans son entourage. Je ne lui en ai pas encore parlé, mais ça te dirait ?

Erin la regarda stupéfaite.

   — Moi ? Marraine de ta fille ?

   — Qu’est-ce que ça a d’extraordinaire ? Pas de religion là dedans. Nous cherchons une amie qui puisse avoir un rapport privilégié avec notre fille pendant son enfance et qui, s’il nous arrivait malheur à tous les deux, pourrait devenir sa tutrice.

Erin ne répondit pas, paraissant réfléchir à cette proposition si inattendue. Christa essaya de la mettre à l'aise.

   — Écoute, je ne te bouscule pas. Prends ton temps avant de te décider, et surtout dis-toi bien que si tu n’en a pas envie, il ne faut pas le faire. Je ne t’en voudrai jamais d’une décision prise en toute franchise, et je t’assure que nous resterons amies.

   — C’est tellement… Je ne sais pas. Si tu avais eu un garçon, j’aurais refusé. Une fille… Je ne suis pas persuadée d’être la personne la plus appropriée.

   — Pourquoi ? Parce que tu es célibataire, ou bien à cause de ton métier ? Pour moi c’est un avantage au contraire : si le parrain et la marraine vivent différemment des parents, ils peuvent apporter un autre éclairage sur la vie à leur filleule. Allons, assez parlé de ça pour aujourd’hui. Donne-moi ta réponse en rentrant de Tenbridges. D’accord ?

La petite, repue, s’était rendormie contre le sein de sa mère. Celle-ci lui caressa les cheveux du bout des doigts.

   — Moi aussi, il paraît que j’avais beaucoup de cheveux à ma naissance. C’est rare. Le bébé de mon amie n’avait qu’un tout petit duvet sur la tête. J’adore lorsqu’elle s’endort contre moi, comme maintenant.

Erin les contempla, la mère et la fille en contact fusionnel.

   — Steve a bien de la chance de vous avoir toutes les deux.

Christa releva la tête, Erin était déjà à la porte. Elle fit un petit signe de la main et s’éclipsa. La maman posa délicatement le bébé dans le lit à coté d’elle, et s’allongea, appuyée sur un coude, pour le contempler. La petite fille ouvrit brièvement les yeux. Sa maman lui caressa le visage du bout du doigt.

   — C’est Erin qui est venu nous voir. J’espère qu’elle voudra bien être ta marraine. Tu sais, ton papa va venir demain matin…

Le bébé s’était rendormi, bercé par la voix maternelle.

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