Chapitre 10 : L'aubergiste

8 minutes de lecture

Rue de l'exposition universelle, Orée du quartier du musée

Vendredi 14 Octobre 1843, Matin

-S-


Comme la saison donnait l'habitude, le début de journée avait débuté sous une pluie diluvienne. Simbad qui avait pris de l'avance s'était posté à l'abri sur les marches d'un petit porche. Il s'occupait en contemplant le défilé de parapluie qui allait et venait sous ses yeux. Nombre de dames accompagnés de leurs chérubins se pavanaient en direction de l'école, montrant fièrement leur nouveau chapeau à la mode à leurs amies.

Un jeune orc arriva devant Simbad tout euphorique, les mains sur les anses de son cartable. Il sautait de flaque en flaque jusqu'à arriver devant le professeur où il éclaboussa le bas de ses bottes.

- Loki, vas-tu arrêter tes bêtises enfin ! cria sa mère qui avait assisté à l'action. Veuillez l'excuser cher monsieur !

- Il n'y a aucun mal madame ! répondit Simbad en s'apercevant que le bas de son pantalon présentait des traces boueuses.

En arrivant près du jeune orc, la femme lui tira l'oreille en lui faisant la leçon. Après quoi elle se redressa, attrapa son fils par le bras puis souhaita une agréable journée au professeur.

Simbad regarda l'enfant partir nostalgique de ses années d'insouciance. C'était avant que son état d'éthérien ne soit révélé, avant qu'il ne rejoigne la capitale quand lui et Kyoshi vivaient dans le même quartier de la Xeh Hian.

Ce fameux jour défilait à nouveau sous ses yeux, il jouait comme à son habitude avec son amie sur les pavés de sa rue. Il aurait dû se douter de quelque chose quand leurs parents les avaient vêtus de leurs habits de cérémonie. Mais surtout quand des femmes en kimono accompagnées d'un cortège de moines drapés de rouge entrèrent dans leur maison pour les emmener au monastère. Il revoyait le visage de sa mère entre deux shojis qui tentait vainement de contenir ses larmes, celui de son père fier, mais surtout des citoyens qui stoppaient leurs activités à leur passage pour s'incliner poliment. Tel des agneaux envoyés à l'abattoir, ils étaient une dizaine en rang à avoir parcouru, ce jour-là, les marches du monastère pour être présenté au prophète, un arbre immense qui surplombait la ville de ses ramures sans feuilles.

Mélancolique, il repensa à toutes les années qui ont suivi, à tous ce qu'il a perdu ce jour-là. C'était la dernière fois que Simbad revut ses parents, la dernière fois qu'il put jouer innocemment comme n'importe quel enfant.

- Désolé du retard, déclara une voix rauque avant de se racler la gorge, il a été difficile de trouver une tenue adéquate pour la miss.

Tiré brutalement de ses pensées, le professeur releva la tête pour découvrir Grundal et Mira blottis sous un parapluie. La belle avait troqué son pantalon et son chemisier contre une robe tout à fait ordinaire. Sans fioriture, elle passait totalement inaperçue.

- J'aurais préféré une tenue plus pratique à porter, geignit-elle.

- Pour que tu attires l'attention sur nous ? non merci, rétorqua le nain.

- Je trouve que cette robe vous va à ravir ! Complimenta le professeur.

- Oh...merci ! répondit Mira avec un sourire crispé. Comment voulez-vous courir avec ça ! Non, ne réponds pas !! finit-elle par dire en voyant que Simbad ouvrait la bouche.

- Ne t'inquiète pas Mira, tu n'auras pas à courir aujourd'hui, certifia le nain. Je dois rencontrer un ami qui pourrait nous aider. Suivez-moi c'est tout proche.

Comme l'avait indiqué le nain, l'établissement n'était pas très loin car ils eurent qu'une seule rue à traverser pour apercevoir l'enseigne.

- L'auberge de "l'âne bâté" ? Dois-je faire un parallèle avec toi Grundal ? ricana Mira en désignant l'animal sur la pancarte.

Le nain fit la moue sans répondre à cette remarque plus que douteuse. En contradiction avec son nom, l'établissement avait fière allure. Le crépie de la façade ne présentait aucun défaut et tous les volets avaient été repeints récemment. Même une terrasse entourée de petites haies avait été aménagée pour recevoir des clients en extérieur.

Bien qu'il soit encore tôt, quelques clients occupaient déjà l'espace occupés par les journaux du matin ou s'adonnant à quelques jeux de comptoir. D'autres, accompagnés, discutaient autour d'une tasse de thé comme deux dames qui comméraient près de la porte d'entrée.

Une fois le palier passé, une voix résonna dans la salle.

- Grundal Ironhead ?! Nom de l'éternel !

La voix enthousiaste provenait des cuisines, d'où le gérant de l'établissement sortie. Il essuya ses mains sur son tablier puis s'approcha du détective pour lui faire une accolade. L'homme avait l'air heureux de voir le nain.

- Salut Henry ! Déclara Grundal gêné, dans les bras de son ami. Ne t'embête pas, je ne resterai pas longtemps !

- Oh pas d'ça avec moi ! Accorde-toi un moment, on est pas des bêtes de somme ! fit-il en lui tapant sur l'épaule. Bien le bonjour Mademoiselle et Monsieur !

L’homme s’adressait à Simbad et Mira qui restait sagement derrière le détective.

- D'accord, sers nous trois cafés s'il te plait, céda le nain en posant trois pièces sur le comptoir.

A la vue des pièces, le barman les repoussa en direction du nain.

- Non mais tu plaisantes, c'est la maison qui offre ! Pour une fois que tu viens me voir ça m'fait plaisir !

- J'insiste Henry ! Surtout par les temps qui courent, je sais que tu en auras besoin. Et si tu ne les veux pas, donnes-les à ta fille ! Comment se porte-t-elle ? Demanda le détective après un petit instant d'hésitation.

Le regard du barman s'assombrit tandis qu'il récupérait les pièces.

- Oh tu sais, elle est toujours secouée... Mais elle reprend petit à petit du poil de la bête, surtout depuis l'exécution. Si tu ne m'avais pas aidé sur ce coup-là, je ne sais pas ce qu'elle serait devenue.

- C'est une battante ! Elle s'en sortira, tu peux me croire !

- Que l'éternel t'entende ! Bon et toi alors ? Comment se porte l'agence ?

- Je n'ai pas à me plaindre écoute, le travail ne manque pas. C'est d'ailleurs pour cela que nous sommes ici, j'aurais besoin d'un renseignement.

- Que veux-tu savoir? Demanda le gérant en affichant un sourire amical.

- Ce serait plus prudent si on pouvait en parler en privé ?

Henry leva un sourcil, regarda la salle et scruta tour à tour l'équipe de Grundal. Mira et Simbad s'étaient assis au comptoir écoutant poliment les mis discuter tel deux enfants qui laisseraient parler des adultes.

- Suis-moi, je dois chercher un tonnelet de bière à la cave, fit-il en souriant.

- Attendez moi là, je n'en aurai pas pour longtemps, déclara Grundal en déposant ses affaires à coté de Mira.

- Pas de soucis, répondit l'elfe.

Les deux amis quittèrent la pièce par le fond. Au même moment, une dame qui devait être la femme du tenancier, leur posa trois petites tasses devant eux.

- C'est pour vous les trois cafés ?

Simbad hocha de la tête, puis attrapa l’anse de sa tasse.

- Eh bien, ça me changera du café de l'Académie, plaisanta Simbad.

Mira ne répondit rien le gratifiant seulement d'un regard froid et dédaigneux avant de tourner la tête.

- Bien... Je sens que ça va être long, lâcha le professeur le nez dans sa tasse.

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-G-


L'escalier qui descendait à la réserve grinçait sous chaque pas à tel point que l'on pouvait craindre qu'il ne s'effondre à tout moment. C'est là que Grundal vit la sombre vérité de l'établissement, la cave était à moitié vide. Nombre de tonneaux vides étaient entreposés dans un coin de la pièce en attendant d'être ramassé par les brasseurs. Des petits interstices, creusés à même la roche au plafond, donnaient sur la rue et une petite partie de la pièce.

- Comment se passe le réapprovisionnement en ce moment ? demanda Grundal.

- On tient sur nos réserves, mais il est évident que les producteurs et les brasseries passent de plus en plus rarement. Si ça continue trop longtemps, je vais devoir plier boutique, et ce n'est pas mon fonds de commerce qui pourra m'aider face aux établissements des quartiers riches, répondit le tenancier en attrapant un petit tonnelet de bière. Bien, en quoi-je puis t'aider ?

Il alluma une lanterne puis la posa sur le tonneau. Approchant deux tabourets en bois, ils s'assirent face à face.

- Je ne vais pas tourner autour du pot, déclara le nain en se penchant vers l'avant, je cherche à entrer en contact avec Big B.

Henry se redressa d'un coup, silencieux, les mains sur les genoux. L'enthousiasme qui l'habitait jusqu'alors s'était volatilisé derrière une appréhension palpable.

- Écoute, je sais que ton auberge est à l'orée de son territoire, reprit le nain, est ce qu'il t'a déjà contacté par le passé ?

L'homme se passa la main sur le visage, comme si son ami avait posé la mauvaise question.

- Dans quoi t'es-tu embarqué Grundal, dit-il inquiet.

- Henry !

- Ecoute, un homme est venu la semaine dernière pour me faire une « proposition », déclara-t-il à mi-mot. En échange d'un impôt et de ma coopération avec ses agents, il m'aiderait à renflouer ma réserve.

- Tu as accepté ?

- Pas encore, mais j'y réfléchi sérieusement... C'est la merde Grundal, si mon auberge ne marche plus je n'aurai plus rien pour vivre. On finira tous à la rue et tu sais à quel point, elle peut être cruelle.

- Quand dois-tu lui donner ta réponse ?

Un autre silence s'installa, l'homme hésitant à parler.

- Je suis désolé, sincèrement, mais s'il apprend que je t'en ai parlé il y aura des représailles... avoua-t-il les lèvres pincées. Et J'ai peur pour ma fille !

Le détective se redressa doucement en soufflant.

- Ce n’est pas grave, je trouverai un autre moyen de le trouver. Je ne me permettrais pas de mettre ta famille en danger.

Grundal connaissait son ami, il n'avait pas le choix de garder le silence. L'homme avait beaucoup souffert. En plus d'avoir été braqué et volé par deux individus, sa fille avait été enlevée. Ce n'est qu'après investigation, que Grundal avait retrouvé leurs traces au beau milieu d'un bordel clandestin du Terrier.

- J'ai peut-être une piste pour toi, reprit l'aubergiste. Tu vois le vieux poissonnier qui se trouve dans la rue du commissaire-priseur ?

- Oui.

- J'ai entendu, d'un ami maraîcher, qu'il avait eu des problèmes avec Big B et qu'il cherchait à quitter la ville, affirma-t-il tout bas comme si les murs de la cave avaient des oreilles. Peut-être qu'il sera plus enclin à te fournir des informations !

- Très bien je vais lui rendre visite. Merci Henry !

- Je suis désolé de ne pas pouvoir t'aider davantage ! répondit-il en arborant un air attristé.

- Tu me donnes une piste à suivre et c'est déjà une aide considérable ! déclara Grundal en lui plaçant la main sur l'épaule.

- Merci...

- Remontons ! Mes amis doivent m'attendre !

Juste le temps d'éteindre la lanterne puis d'attraper le tonnelet qu'ils regagnèrent la salle de réception. Mira avait le regard tourné vers la salle, les coudes sur le comptoir. Une position qui n'était pas en adéquation avec sa tenue. A l'inverse de Simbad qui le nez tourné dans l'autre sens lisait un livre de poche.

- Merci encore Henry ! Promis je repasse bientôt pour boire un coup et prendre de plus amples nouvelles.

- Avec plaisir mon vieux ! Passe quand cela te chante ! Déclara l'aubergiste en empoignant chaleureusement le détective.

Attrapant ses affaires, Grundal tapa l'épaule de l'elfe pour le sortir de sa lecture.

- En avant les enfants, nous avons du travail ! Conclut le détective en avalant d'une traite le contenu de sa tasse.

Simbad prit une dernière lapée, rangea son ouvrage dans la poche de son manteau puis se dirigea vers la sortie suivit de Mira.

- Où allons-nous, demanda la jeune fille.

- Nous allons acheter du poisson pour ce midi.

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