05 Au service de Son Excellence (2/3)

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 Discrètement, Celtica jeta un regard par-dessus son épaule, en faisant semblant de regarder Rivalis. Cléon marchait devant, les mains crispées sur la bandoulière de son sac. Cela faisait deux jours qu’ils étaient suivis, depuis la première auberge visité. Au début, ils n’avaient pas vraiment fait attention à eux, pensant qu’ils empruntaient tout bêtement la même route, mais la distance qu’ils observaient était toujours la même. Pis, ils s’arrêtait quand les jeunes gens s’arrêtaient, s’écartaient du chemin quand ils s’en écartaient. Celtica avait une petite idée de ce qu’il leur voulait, même s’il ne comprenait pas comment ils savaient qu’ils avaient de l’argent sur eux…

 Le groupe ne se composait que de quatre hommes, relativement mal armé. Et Celtica était en pleine forme. Et Cléon possédait un pistolet alchimique. Se débarrasser d’eux ne serait pas très difficile.

 Soudain, la jeune fille sautilla joyeusement en sa direction, d’un air insouciant. Mais Celtica n’était pas dupe, il savait très bien qu’elle avait compris la situation.

 –Et si on se sépare, tu crois qu’ils suivront qui ? demanda-t-elle avec un sourire destiné à trompé leurs poursuivants.

 –Tout dépend de leur véritable objectif, répondit-il en l’imitant. S’ils veulent de l’argent, ils peuvent se concentrer sur moi. Si je ne dis pas de bêtises, en Arcane les femmes ne porte pas d’argent.

 –J’sais pas. J’suis Lumissienne, moi.

 Celtica soupira. Il n’avait pas envie de se disputer avec elle sur l’hypothétique indépendance de Port Lumis, et surtout, ils avaient d’autres problèmes, bien plus concrets.

 –Ils auraient quoi d’autre comme objectif ? A part l’argent, j’veux dire ?

 –L’envie de faire du mal gratuitement, peut-être.

 –Mais on peut pas rester comme ça, continua-t-elle. Imagine qu’on tombe sur les mercenaires alors qu’eux nous suivent, nous auront aucune chance !

 –Tu marques un point. Que proposes-tu ?

 Elle se tut et se mit à étudier la carte.

 –Il y a une auberge-relais assez loin d’ici, et on y sera jamais avant la tombée de la nuit. Il faut agir maintenant.

 –Je suis bien d’accord, répondit le prince, mais je préfèrerai une…

 –On fonce dans le tas !

 –…approche plus discrète, finit Celtica alors que son amie chargeait son pistolet d’une capsule d’argile peinte en rouge. À quoi tu penses ?

 –À les effrayer, pardi ! J’crois savoir que ce petit engin est pas très répandu.

 –C’est exact, mais…

 Elle lui sourit et pivota sur ses talons pour faire face aux hommes qui eurent un léger mouvement de recul. Celtica ne s’était pas fait des idées, ils étaient vraiment suivit ! Il commença à rassembler son énergie dans son ventre, tout en imaginant la meilleure stratégie à suivre. Ils étaient encore loin, et il était impossible de déterminer avec certitude quelles sortes d’armes ils utilisaient. S’il s’agissait de lame, ils seraient obligé de se rapprocher pour tirer l’épée au clair, Cléon et Celtica auraient alors l’avantage, mais si au contraire ils pointaient sur eux des armes de jets, le jeune homme ne donnait pas cher de leur peau.

 Ils s’arrêtèrent, prudents.

 Puis, contre toute attente, le quatuor fit demi-tour, et s’éloignaient d’un pas délibérément lent. Les deux jeunes gens échangèrent un regard inquiet, et d’un même mouvement, ils attrapèrent la bride du cheval et quittèrent la route pour la forêt. Ils s’y enfoncèrent aussi rapidement et silencieusement que possible, tout en surveillant leurs arrières. Ils espéraient les semer entre les arbres, la forêt était relativement dense et débordait de vies, ce qui couvrirait le bruit de leurs pas dans les fourrées, et désorienterait leurs poursuivants.

 Au bout d’une heure de course effrénée, sans un mot, ils ralentirent le pas et finirent par s’arrêter quelques instants, afin de boire et d’abreuver le cheval.

 –Il faut retrouver la route, remarqua Celtica. Sinon, nous seront perdus pour de bon, et nous n’avons même pas de boussole !

 Cléon farfouilla dans son sac et en sortit un petit objet en forme de disque.

 –Mais si on en a une ! Par contre, je ne sais pas l’utiliser.

 Celtica fut agréablement surpris par sa présence d’esprit. Pour une fille qui n’était jamais sortie de son port natal, elle se débrouillait plutôt bien ! Il lui fit signe d’approcher, et lui expliqua le fonctionnement du petit objet, et comment bien s’orienter grâce à la carte. Il savait le faire depuis ses dix ans, et sa première promenade seul en compagnie du marquis Vlad-Alexeï, qui entrait tous juste au service de l’empereur en tant que garde du corps princier. Il venait de perdre sa mère, et son père, ivre de chagrin, ne lui accordait pas autant de temps qu’aujourd’hui, il se sentait seul, délaissé, et surtout brisé. Mais la bonne humeur du marquis avait tôt fait de détruire la mélancolie dans laquelle il menaçait de s’emmurer, en l’emmenant découvrir la forêt, la montagne, les joies des baignades en pleine nature. Même s’ils étaient rattachés à un drame, Celtica chérissait ces souvenirs, faits d’innocences et de petites joies.

 Cléon décida de prendre la tête de leur trio, afin de mettre immédiatement en pratique ce qu’il lui avait montré. Le but était de se rapprocher de la route, et d’y retourner s’il s’avérait que tout danger était écarté. Joueur, le prince décida de ne pas intervenir, sauf si elle le lui demandait ou si elle les emmenait droit sur un nouveau péril.

 Bien que l’été soit pleinement installé, dans les sous-bois la luminosité tombait relativement vite, et il apparaissait à présent évident qu’il ne pourrait pas dormir dans une auberge cette nuit-là. Ils continuèrent leur marche autant que le leur permettait encore les rayons évanescents du jour. Et lorsque le soir domina, ils cherchèrent le meilleur endroit où installer un campement rudimentaire.

 Ils dénichèrent ainsi une minuscule clairière, avec un ruisseau qui serpentait agilement sur le terrain accidenté par endroit. Les arbres élevaient très hauts leurs bras feuillus, sous un ciel chargé qui menaçait de décharger toute sa cargaison d’eau incessamment sous peu.

 Dormir à la belle étoile serait une expérience nouvelle, et pour l’un et pour l’autre, et Celtica se sentit vaguement excité à cette idée. C’était quelque chose qu’il avait toujours voulu essayer, mais la cour ne le laissait jamais seul, ne serait-ce qu’une minute, et son père refusait catégoriquement qu’il passe la nuit ailleurs qu’au palais, entouré de gardes rôdé à l’exercice de surveillance plus que de protection.

 Cléon étala sous ses directives les deux couvertures dans lesquelles ils s’enrouleraient, et l’aida à suspendre une autre aux branches des arbres, pour les protéger de la pluie si elle finissait par tomber. Quant à Rivalis, il s’était choisit un petit endroit confortable près du ruisseau où il s’abreuvait avec une satisfaction certaine.

 –Je ferai un feu magique, décida Celtica. S’il pleut, nous auront toujours de la lumière et de la chaleur.

 –Parce que tu trouve qu’il ne fait pas assez chaud comme ça ? répliqua-t-elle en levant un sourcil.

 –Il fait chaud maintenant, mais tout à l’heure, tu seras bien contente qu’il soit là !

 –J’en doute fort, lâcha-t-elle à voix basse. Très sincèrement, j’en doute fort…

 Le prince ne releva pas. Il savait qu’il avait raison, mais il ne pouvait pas l’en convaincre sans qu’elle n’en fasse elle-même l’expérience. Près de leur tente de fortune, il élabora un cercle qu’il creusa à peine, mais qu’il débarrassa immédiatement de tout ce qui était feuille, bois et même insecte. Il rassembla ensuite quelques cailloux dont il tapissa le fond de son trou. Avec la magie, il ne fallait prendre aucun risque. Tout ce qui vivait y était sensible, et à ce titre, il serait assez aisé d’embraser la forêt le temps d’un soupir si on en oubliait la prudence. C’était une question de circulation de l’énergie, qui ne concernait que le vivant.

 Lorsqu’il fut certain d’avoir prit toutes les précautions possibles et imaginables, il rassembla son énergie en lui, forma une boule brûlante dans son ventre et relâcha aussitôt sur le tapis de cailloux. Une jolie flamme indigo se mit à danser au centre, et sembla se désintéresser du reste de l’univers. C’était une réussite !

 Le feu magique possédait quelques atouts qui le rendaient dans certaine situation plus pratique que le feu habituel. Il ne brûlait pas le papier, ni le bois transformé en meuble ou en planches, ni la pierre, ni le fer. Ni rien qui ne fût pas vivant. Non, c’était un peu faux. Le feu magique créé par un Humain, même devenu mage, ne pouvait rien brûler d’autre que le vivant. En revanche, les Sorciers et les Anciens, c’était une tout autre histoire…

 Ce feu-là ne formait pas de fumée non plus, ni d’odeur, et il n’inquiétait donc pas les animaux. Le cheval, d’ailleurs, l’observait d’un air perplexe, mais ne tenta pas de s’en approcher, comme tiraillé par des sentiments contraires.

 –Qu’est-ce qu’on mange ? lança Cléon alors qu’elle fouillait dans le sac de provisions.

 –Nous n’avons pas acheté de casserole, je suppose ?

 –Non… Et me regarde pas comme ça ! J’y ai pas pensé non plus !

 –Tant pis ! Nous en achèterons une, la prochaine fois que nous traverserons une cité.

 –J’ai des pommes. Et un peu de viande séchée.

 –Très bien ! Il y a de quoi se faire un festin de roi !

 La jeune fille rit et vint s’installer à côté de lui, puis partagea la nourriture.

 –T’es vraiment pas comme je t’imaginais, fit-elle.

 –C'est-à-dire ?

 –Je pensais pas que tu serais aussi… sympathique ? Je croyais que les nobles étaient tous des gens hautains, à qui on ne pouvait pas parler, et qui refusaient de vivre autrement qu’avec leur petit confort. Jamais j’aurais pensé que l’un d’eux, un prince héritier en plus, accepterait de manger quelques pommes et un peu de viande avec une fille de pirate.

 Celtica se sentit rougir au compliment. Il était vrai que son comportement était pour le moins atypique, mais probablement pas autant que Vlad.

 –Merci, répondit-il simplement. Les courtisans me trouvent étrange, la plupart du temps.

 –Des gens agréables, commenta-t-elle, cynique.

 –Et tu ne sais pas à quel point.

 Il se tut pour se plonger dans ses pensées. La cour était vraiment une entité à part entière, capable de dévorer le moindre instant de liberté. L’empereur l’en avait protégé autant que possible, mais depuis qu’il approchait l’âge adulte, ils tournaient autour de lui comme autant de mouches autour d’un fruit bien juteux. Seul avec sa nouvelle amie, il se sentait bien. Pas d’étiquette à observer, des discussions enrichissantes qui ne tournaient pas autours de commérages incessants dans l’espoir d’obtenir toujours plus de faveurs… De plus, Cléon ne semblait pas tricher, et disait exactement ce qu’elle paraissait penser.

 Rivalis s’ébroua, et fit sursauter les deux jeunes gens. La frayeur passée et le chiche repas englouti, Cléon se leva et chassa les aiguilles de pin de son pantalon, et décrocha sa dague de sa ceinture. Puis elle lui fit face.

 –Est-ce que tu pourrais me montrer comment l’utiliser ? S’il te plaît ?

 Celtica acquiesça avec un sourire, et se mit debout.

 –L’as-tu déjà manié ? demanda-t-il alors qu’il examinait minutieusement l’arme.

 –Non, avoua-t-elle. On m’a jamais permis d’en approcher une… J’ai empruntée celle-ci à mon frère.

 –Il serait plus rapide que tu me dises ce que ton père t’a laissé ou te laisse faire, fit-il en lui rendant la dague. Ton frère s’y connaît en lame, elle est de bonne qualité, bien meilleure que mon sabre. Elle ira très bien à quelqu’un qui apprend.

 Elle regarda de plus près la dague, comme pour vérifier ses propos. Elle ne le croyait pas, mais il faudra bien qu’elle lui fasse confiance !

 À l’aide de son sabre, il lui montra la meilleure façon de tenir la poignée, lui donna un petit cours sur « l’anatomie » de la dague, et lorsqu’il la supposa prête pour commencer à apprendre un ou deux mouvements de base, elle refusa de poursuivre, se disant trop fatiguée pour continuer.

 –Mais on vient à peine de commencer ! Et c’est toi qui…

 –Oui… je sais.

 Sur ce elle se dirigea vers les couvertures étendues, avançait avec prudence, presque à tâtons… et ce malgré le feu magique qui brûlait toujours aussi sagement. En levant les yeux sur la voûte étoilée, de l’autre côté de la dentelles des branches entrelacé, il s’aperçut que la nuit était tombée pour de bon. Il décida d’aller s’allonger à son tour.

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