02 Le maître du chaos (3/3)

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  Cléon prit une grande inspiration et fit un premier pas vers Shiraad, qui ne paraissait pas l’avoir vue. Elle prit une attitude nonchalante, qu’elle avait beaucoup observé chez les garçons de son âge, et s’éclaircit la gorge.

   −Cap’taine, tu voulais m’voir ? fit-elle de sa plus belle voix grave, qu’elle espérait convaincante.

   Shiraad se tourna vers elle et leva un sourcil. Il la dévisagea quelques instants. Il l’avait reconnue ! Elle ne pourrait plus tromper personne, et le pirate des mers du Sud irait sans doute tout raconter à son père, et adieu douce liberté ! Elle se maudit intérieurement et ignora la sueur qui ruisselait sur son front.

   Shiraad renvoya son subordonné d’un geste de la main et croisa les bras. Cléon n’aimait pas son expression, mais alors pas du tout ! Elle baissa la tête et se prépara à subir le pire sermon de sa vie.

   −Non, je ne t’ai pas appelé.

   −Mais des hommes sont venus m’dire…

   −Des hommes, hein ?

   Il regarda vers le fond de la pièce où étaient entreposés les coffres.

   −Tu sais à quoi ressemble les armoiries des Noblargent ?

   Cléon hocha vigoureusement la tête. Tout espoir n’était pas encore perdu, son déguisement n’était peut-être pas encore mis à jour !

   −Bien. Aljinan a été très clair, la famille impériale ne doit en aucun cas être lésée par nos actions. C’est primordial pour Port Lumis. Va donc les surveiller, qu’ils ne touchent qu’aux affaires des Arcans.

   Cléon acquiesça et tourna aussitôt les talons. Primordial pour Port Lumis ? Qu’est-ce que les impériaux venaient faire dans cette histoire ? Au contraire, n’étaient-ils pas en passe de devenir des ennemis, avec le mariage du prince héritier et de la princesse arcanne ? Ce devaient encore être des calculs de politiciens, auxquels elle ne comprenait décidément rien.

   La salle aux trésors du baron Faranan Yréan fut rapidement dépouillée de toute sa richesse, et il ne restait qu’une poignée d’hommes qui procédait à d’ultimes vérifications histoire de voir si tout avait été emporté. Au fond de la pièce, l’homme qui l’avait envoyée retrouver Shiraad portait le coffret qui protégeait l’épée noire et blanche. Cette boîte portait les armoirie du roi Jesd, elle n’y prêta aucune attention.

   Arrivée aux coffres, elle les compta et vérifia chacun des blasons. A part celui qui venait d’être emporté, il ne manquait rien. De toute manière, cette épée… L’épée ! Cléon fit volte-face. Cette épée bien particulière appartenait à la famille impériale !

   Et l’homme avait déjà disparu… Comme tous les autres, d’ailleurs. Elle se retrouvait toute seule, au milieu des figurines de mauvais goût.

   −C’est pas vrai… lâcha-t-elle, sans prendre le soin de modifier sa voix.

   Et elle s’élança à leur poursuite, furieuse de sa propre stupidité.

***

   Comme le lui avait conseillé le Serpentaire, Celtica ne se mit pas à courir. Malgré le sang qui battait à ses tempes. Malgré cette force invisible, ce frisson désagréable qui le poussait dans le dos, comme si l’implacable Mérénos le poursuivait en personne.

   Des rires lui parvinrent, étouffés par la distance. Il n’osait pas imaginer le triste sort que subissait le gouverneur. Mais il ne le plaindrait pas. Pas après ce qu’il avait fait. Comme l’avait dit son père, les convier dans ce château avait été une erreur. Non, nommer cet homme gouverneur était une erreur. Et ce mariage était aussi une erreur.

   Il croisa d’autres Lumissiens dans le couloir, mais ils ne semblaient pas s’intéresser à lui. Ils le surveillaient du coin de l’œil, mais ne firent aucun pas dans sa direction. Ils communiquaient exclusivement en langue commune, sans se soucier que tout le monde pouvait les comprendre. Mais le jeune homme ne poussa pas la curiosité à les espionner. Il lui fallait trouver l’épée et retourner aussi vite que possible auprès de son père.

   Il trouva les escaliers. Il sut alors qu’il était sur le bon chemin. Il les avait gravi jusqu’à la moitié lorsqu’il entendit des voix derrière lui. Ils ne conversaient pas aussi aisément en langue commune que les autres, et leur accent trahissait leur origine arcanne. Cependant, Celtica préféra continuer à suivre les conseils du Serpentaire. Il s’efforça à respirer calmement et obligea ses jambes engourdies par la tension à s’activer. Il reprit son chemin, espérant que les propriétaires de ces voix ne viennent pas par ici…

   En haut des escaliers, au fond du couloir, Celtica vit un groupe de trois hommes ressortir de la salle du fond. Sans doute venus piller, ils s’arrêtèrent net en l’apercevant. Celtica hésita. Courait-il toujours aucun danger ? Il n’en était plus vraiment sûr. Aljinan l’avait effroyablement impressionné, et il ne partageait pas l’assurance de son père quant à ses intentions véritables.

   Ce furent les hommes qui montaient à sa suite qui le décidèrent.

   −C’est le prince brasien ! s’écria l’un d’eux en arcan.

   −Vous savez donc ce qui nous reste à faire…

   Celtica entendit une lame glisser dans son fourreau. Il serra les poings et décida de finir de monter l’escalier, vers une position plus avantageuse s’il devait les affronter. Sans être un bon magicien, et sans arme sous la main, il devait redoubler d’ingéniosité et de prudence.

   −Surtout, continua le premier homme, n’abîmez pas son visage, il aura besoin de le reconnaître si nous voulons toucher la prime !

   Il ? Aljinan se serait-il joué d’eux ? Le prince atteignit la dernière marche et fit volte-face. Ils étaient quatre, et ils paraissaient un peu différends de ceux qui s’étaient introduits dans la salle de réception. Ils portaient des vêtements de cuir matelassé et clouté, qui s’apparentaient à des armures légères, et plusieurs lames à la ceinture. Et aucun foulard autour du cou. Des mercenaire, déduisit rapidement le jeune homme. Aljinan et des mercenaires… Quelque chose clochait…

   Au lieu de pousser plus loin ses réflexions, il réunit toute son énergie au creux de son estomac. Il n’avait rien mangé, ce qui était une très mauvaise nouvelle pour ce qu’il s’apprêtait à faire. Il n’aurait qu’un seul et unique essai. Les attaquer à l’aide de la magie se solderait forcément par un cuisant échec, il ne ferait absolument aucun dégât et s’épuiserait pour de bon, ce qui le rendrait particulièrement vulnérable.

   Mais il était en haut des escaliers, pour le moment, et les quatre autres les grimpaient doucement, sur leur garde. S’il pouvait trouver un moyen de les faire tomber, il gagnerait un temps fou… L’élément terre ou air aurait été les plus adaptés, mais il n’était ni de l’un, ni de l’autre, et en tant qu’humain, il ne pouvait recourir qu’à ses propres éléments, qu’étaient le feu et la foudre. Il était inutile. Poussant un grondement de rage, il laissa son énergie reprendre son cheminement normal dans son corps et poursuivit son chemin, en courant cette fois.

   Le groupe de trois hommes se rapprochait, Celtica en eut le cœur au bord des lèvres. Sept. Sept contre un. Sept mercenaires armés et équipés en conséquence contre un prince prisonnier de ses vêtements d’apparat, sans le moindre couteau pour se défendre. C’était une blague, impossible que cette situation soit vraie !

   Il s’arrêta subitement, ils allaient le prendre en tenaille, de toute manière. Faute d’une bonne idée, la fin était arrivée. Aucun garde dans les environ, Aljinan et ses hommes avaient fait du trop bon travail. Que se soit un piège du chef de Port Lumis ou un cruel concours de circonstance, le résultat était le même. Tout seul et sans moyen de se défendre, Celtica était fini.

   Il remarqua la boîte que portait l’un des trois hommes qui sortaient de la salle du fond. L’écusson de la famille d’Arcane y était gravé, et… Ses dimensions ! Ce devait être Ironie !

   La rage envahit ses veines. L’épée était à lui, et rien qu’à lui ! Le porteur fit à peine attention à lui, et le dépassa au pas de course. Sans y réfléchir une seule seconde, Celtica s’élança à sa poursuite, ignorant les six autres. Il n’y avait plus que l’épée dans son esprit, aussi obsessionnelle que l’eau pour un assoiffé.

   Une douleur soudaine, un éclair bref.

   Celtica vacilla, étourdit et tomba, à quelques pas de l’escalier seulement. On lui lia les bras et les jambes, puis on le souleva brusquement, alors que le monde dansait une folle farandole tout autour de lui. Il laissa échapper un court gémissement. Sa tête l’élançait, et il mit un peu de temps à comprendre qu’on l’avait frappé.

   −Laissons-le le tuer, suggéra l’un d’eux. Il sera content de le faire lui-même.

   −Et s’il est content, la récompense pourrait être à la hauteur…

   −Et le vieux ?

   −Un autre groupe s’en occupe, il doit être crevé à cette heure !

   −Le père et le fils dans la même soirée ! Ça s’arrose !

   −Pas encore. Dépêchons-nous.

   Le groupe se mit en marche, sans ménager le prince. Celui-ci s’efforça de garder l’esprit clair. Le vieux ? Le père et le fils ? Parlaient-ils de son père ? Ces hommes étaient idiots. Son père était au moins avec Sabik, rien ne pourrait lui arriver. Leurs compagnons devaient être au mieux morts !

   Ils le firent sortirent par la même porte où il était retourné à l’intérieur, et la vue des corps étalés là où s’était trouvé le carrosse lui donnait raison. Leur exécution avait été nette et rapide, et le peu de sang qui avait été versé suffit à agresser ses narines. L’odeur âcre lui retournait l’estomac et accentuait la nausée qui s’était installé depuis qu’il avait été frappé à la tête. Il vomit donc de la bile, et dû en supporté la terrible sensation de brûlure.

   L’homme qui le portait jura, ses compagnons se moquèrent copieusement de lui. Celtica n’eut aucune compassion pour sa malheureuse victime, et commença à s’agiter. S’il fallait mourir, ce ne serait pas sans combattre ! Mais l’homme tint bon, ou du moins, le prince s’y prenait trop mal pour réussir. Tout du moins, jusqu’à ce que la chance semble enfin lui sourire, le nœud qui liait ses poings avait été fait à la va-vite, la corde était trop lâche. Il parvint donc à s’en débarrasser.

   En un instant, le jeune homme retrouva l’usage de ses bras, qu’il tendit pour attraper le poignard qui pendait à la ceinture de son ravisseur, qui le jeta au sol lorsqu’il s’avisa de sa relative liberté. Celtica s’écrasa sur le dos, le souffle coupé. Mais sa main tenait toujours fermement la lame qu’il venait de subtiliser. En voyant ses assaillant converger sur lui, il ne prit pas le temps de la réflexion, concentra ce qui lui restait d’énergie au creux de son ventre et la relâcha d’un coup, sous la forme d’une formidable explosion d’éclairs. Pas de quoi les blesser, mais la manifestation magique était suffisamment spectaculaire pour les désorganiser rapidement, et lui laisser le temps de défaire les entraves de ses jambes.

   Jamais de sa vie il ne s’était sentit aussi faible. La magie n’était jamais une bonne idée pour un humain, et si son maître d’armes avait été là, il lui aurait fait un sermon des plus inspirés ! Repenser à lui et à sa force tranquille l’aida à se concentrer sur la lutte qui se profilait. Ironie lui avait été arraché, et six hommes en parfaite condition physique lui faisaient face.

   Celtica se releva et recula jusqu’à heurter le mur du château. Mauvaise nouvelle. Il serait plus simple à ses ennemis de parvenir à leurs fins. Plus loin, des buissons réduisaient encore ses chances de fuite…

   Alors que les mercenaires avançaient comme une meute de loups affamés, un homme aux longs cheveux d’argent vint se poster un peu à l’écart. Il portait un foulard autour du cou…

   L’un des hommes plongea vers le prince, qui parvint à bloquer sa première attaque, se rappelant les conseils de son cher professeur. Il le repoussa, au prix d’un effort colossale pour quelqu’un d’aussi épuisé, mais ne put rien faire d’autre qu’un pas sur le côté, et limiter les dégâts subit. Il poussa un hurlement lorsque la lame mordit sévèrement sa chaire, sur son flanc gauche.

   Une détonation retentit, et une gerbe de feu embrasa deux des six assaillants. Alors qu’ils poussaient des hurlements bestiaux en se roulant dans l’herbe, les quatre autres et l’inconnu aux cheveux argenté se tournèrent vers la provenance de cette attaque soudaine. Celtica profita de cette diversion pour plonger dans les buissons, et s’adossa contre le mur, serrant les dents pour ne pas pleurer ou crier, sous l’effet de la douleur. Il plaqua sa main sur son flanc meurtri. Mouillées de son propre sang.

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