63. Le brûlé de la colère

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Maxime

L’effet de surprise est garanti. Tels deux adolescents surpris par leurs parents ou deux amants qui se cachaient et sont découverts, notre premier réflexe est de nous séparer et nous éloigner l’un de l’autre. Casanova est en train de grogner face à ma femme qui nous observe, les bras croisés sur la poitrine et les yeux accusateurs. Je dois vraiment lutter contre ce sentiment de culpabilité qu’elle essaie d’insinuer en moi et me remémorer que c’est elle qui est partie, elle qui nous a abandonnés, elle qui m’a tout laissé gérer pour aller retrouver son amant, pour aller s’amuser et voyager avec lui.

— A quoi tu t’attendais ? Tu pensais que j’allais t'accueillir comme si de rien n’était ? Comme si je n’avais pas vécu les trois années les pires de ma vie ? Comment oses-tu prendre ce ton accusateur après ce que tu as fait ?

Je m’approche d’elle, le doigt tendu dans sa direction, pour enfin pouvoir l’accuser et lui mettre en tête tout ce que j’ai vécu depuis qu’elle est partie.

— Tu ne te rends pas compte de ce que tu as fait ! Que tu m’aies trahi, passe encore. J’aurais pu pardonner ou passer à autre chose, mais non, la façon dont tu as agi est impardonnable. Le silence, quelle torture horrible. Pour moi, mais surtout pour les enfants dont tu ne te préoccupes pas le moins du monde. Pendant près de trois ans, j’ai espéré que tu allais reconnaître ton erreur, que tu allais revenir. Une partie de moi était toujours amoureuse de toi, Florence. Pourquoi tu crois que j’ai tant attendu pour faire les papiers du divorce ? Et puis, Miléna est arrivée dans ma vie, et c’est comme si le soleil était revenu après une longue absence. Tu arrives trop tard, maintenant. Alors, je t’interdis de me parler sur ce ton. C’est compris ?

— Eh donc, tu refuses d’essayer de recoller les morceaux pour une petite aventure ? Tu vas vraiment faire ça aux enfants, Maxime ? Préférer une amourette à nos dix ans ensemble, ne même pas me donner de seconde chance, ne pas essayer ?

— Arrête de parler des enfants. Je ne suis pas sûr que tu les reconnaîtrais si tu les croisais dans la rue. Trois ans, à leurs âges, c’est une éternité. Il n’y a pas de seconde chance envisageable, plus maintenant en tous cas. Tu m’as piétiné le cœur, tu l’as mis en miettes, et il commence seulement à se recoller, ce n’est pas pour que tu recommences et que tu te barres avec ton prochain amant dans quelques mois. D’ailleurs, il est où Patrick ? Il t’a mise dehors récemment ? C’est pour ça que te voilà ici à quémander mon affection ? Tu me dégoutes, Florence.

Je me suis encore rapproché d’elle et nous nous faisons face, à peine un mètre nous sépare et une nouvelle fois, nous nous lançons dans un combat de regard. Ce petit jeu où nous attendons que l’autre détourne le premier les yeux commence à devenir une habitude. Mais là, pas moyen que je cède.

— Je ne quémande rien. Nous sommes mariés, tu me reviens de droit. Tu n’as aucune idée de ce qu’il s’est passé ces trois dernières années, et ça fait longtemps que Patrick et moi, c’est fini. Je n’ai juste jamais eu le courage de revenir après être partie de la sorte, me dit-elle doucement en détournant le regard. Et quand j’ai reçu cet appel de ton avocat, j’ai compris que je devais oser, tout tenter pour te retrouver, Maxou.

— Je t’ai dit que tu n’as plus le droit d’utiliser ce surnom, Florence, m’énervé-je. Et tu comptes dire quoi aux enfants demain quand ils rentreront ? Tu vas les détruire avec tes conneries, tu sais ? Bonjour Tom, Bonjour Lili, me revoilà ! Désolée, je vous ai oubliés pendant trois ans, mais là, votre père veut divorcer alors je reviens. Pas pour vous, non, je m’en fous de vous, mais parce que j’ai envie de retrouver mon Maxou chéri.

Je la singe et je l’imite dans ses propos tout en soulignant bien l’état d’agacement dans lequel me met son attitude. Je sens la main de Miléna se poser sur mon épaule et me faire reculer un peu. Heureusement qu’elle est là car, tout de suite, je sens une partie de la tension accumulée s’évacuer. Ma femme semble quant à elle un peu sous le choc de ce que je lui dis, comme si elle n’avait jamais réalisé ce que ça pourrait signifier pour les enfants de se faire abandonner comme ça par leur propre mère.

— Max, il faut que vous arriviez à communiquer sans vous crier dessus, pour les enfants. Si tu ne veux plus de Florence dans ta vie, c’est une chose, mais les enfants, eux… n’attendent que ça et tu le sais. Il faut que vous en parliez.

Elle a raison, comme toujours et je lui souris avec une tendresse que je ressens encore plus fortement à cet instant. Je passe mon bras au-dessus de son épaule et l’attire contre moi, autant pour bénéficier de son calme que pour montrer à Florence qu’elle n’a plus sa place auprès de moi.

— Miléna a raison, les enfants attendent ton retour avec impatience. Et ça dure depuis trois ans. Je ne suis pas sûr que Tom sache même vivre dans un monde où il ne doit pas penser à sa mère absente. Tu te rends compte des dégâts que tu as faits en ne pensant qu’à toi ? Il est passé où ton instinct maternel pendant toutes ces années ?

Je ne crie plus, je me suis un peu calmé, mais je suis toujours dans l’accusation, dans la volonté de faire mal en lui expliquant la réalité des choses.

— Je sais que j’ai merdé, tu n’imagines même pas à quel point je m’en veux, murmure-t-elle, les larmes aux yeux. Mais… Je ne savais pas comment revenir. J’avais tellement peur qu’ils ne veuillent plus jamais me voir, tu sais ?

— Mais pourquoi ce silence, bordel ? Pourquoi tu n’as pas gardé le contact au moins avec eux ? Tu ne te rends pas compte de la difficulté dans laquelle tu m’as mis de tout devoir gérer tout seul, de répondre aux questions tout seul ? Que tu coupes le contact avec moi, je peux l’entendre, mais avec eux ? Là, pour moi, c’est juste un vrai mystère. On n’abandonne pas ses propres enfants, merde !

— J’espère qu’ils seront plus en capacité de me pardonner que toi, alors… Je veux juste avoir droit à une autre chance, je veux être là pour eux, pour toi, me rattraper.

— Tu rêves là. Pour moi, en tous cas. Et pour eux, je ne suis pas sûr qu’ils acceptent si facilement de te pardonner toutes ces longues années de silence…

Tout à coup, je sens une forte odeur de brûlé et je vois un peu de fumée s’échapper du four de la cuisine.

— Mais, c’est quoi ce bordel ? Tu n’as pas sorti le plat ? demandé-je en me précipitant dans la cuisine pour prendre les maniques, ouvrir le four et en sortir le plat de lasagnes cramées que je pose sur la table.

Miléna s’est précipitée à ma suite et a tout de suite ouvert les fenêtres pour évacuer les fumées. Seule Florence est restée à la même place, comme tétanisée. J’ai l’impression que c’est un peu là le symbole de toute notre relation où moi, je joue le pompier, j’essaie de limiter les dégâts alors qu’elle reste absente et dans son monde à elle.

— Je crois que pour les prochains repas, on va s’arranger pour ne pas que tu t’en occupes, dis-je en ne ratant pas une nouvelle occasion de m’opposer à elle et de nier ses compétences.

— Je ne partirai pas, Maxime. J’espère que tu en as conscience. Je resterai là et j’essaierai de recoller les morceaux, quoi que tu puisses en penser.

— Eh bien, heureusement que le château est grand parce que moi, je veux te voir le moins possible. D’ailleurs, vu l’état de ton plat, je te conseille de te faire livrer des pizzas parce que sinon, tu risques de mourir de faim.

Je plonge la tête dans le frigo et récupère des restes d’hier puis me dirige vers la terrasse.

— Miléna, tu viens ? On va manger là où l’air est plus respirable, parce que là, je risque l’indigestion si je reste plus longtemps.

— Je te suis, bien sûr, soupire-t-elle en glissant sa main dans la mienne.

Nous sortons et nous installons sur la table de la terrasse. Miléna s’assoit à côté de moi et passe son bras autour de mes épaules alors que j’essaie de faire retomber la tension.

— Je te jure que j’essaie de ne pas m’énerver, mais en face d’elle, je n’y arrive pas… Je suis désolé.

— Ne t’excuse pas… Je crois que tu as attendu assez longtemps et que tu as besoin d’exprimer ce qui est resté enfoui en toi. Il va falloir que tu te contrôles un peu devant les enfants, par contre, parce que sinon, je doute de les entendre encore me dire que tu ne t’énerves jamais, sourit-elle en déposant un baiser sur ma joue.

— C’est parce qu’ils ont oublié comment on se disputait avant qu’elle ne parte qu’ils disent ça… soupiré-je avant de la regarder, un peu inquiet. Et toi, ça va ? Toute cette histoire ne te fait pas trop peur ? Je ne suis pas en train de baisser dans ton estime à force de m’énerver comme ça ? Et… Tu ne vas pas me quitter et m’abandonner ?

— Je t’ai dit que je restais, sauf si tu me mets à la porte. Mais… Il faut vraiment que tu prennes le temps de réfléchir, Max. Florence a raison sur un point au moins, je crois. Si tu es autant en colère contre elle, c’est sans doute parce que tu es encore attaché à elle. Et puis, les enfants ont besoin de leur Maman, alors ne prends pas de décision trop hâtive, d’accord ?

Je l’observe un instant, essayant de comprendre tout ce qu’elle implique par ses mots. Je n’arrive qu’à une seule et même conclusion qui ne me plaît pas du tout.

— Miléna, je suis en colère contre elle car elle a traumatisé ses propres enfants. J’ai tout fait pour que leur éducation se passe bien, qu’ils grandissent sans trop se remettre en question. Je ne sais pas si j’ai réussi, mais là, j’ai l’impression que son retour va tout compromettre, va raviver de vieilles blessures, et c’est ça qui me met hors de moi. Par contre, personnellement, je ne ressens plus rien pour elle. C’est toi qui as pris toute la place dans mon cœur et tu es ici chez toi. Je n’ai pas envie de te mettre dehors. Et ça, ce n’est pas une décision hâtive, c’est juste ce que je ressens du plus profond de mon cœur.

— Tes enfants ont grandi, ils se sont forgé un caractère. Et ils ont l’occasion de renouer avec leur mère, ou de lui dire ce qu’ils pensent. Je crois qu’ils ont besoin de ça aussi, même si ça ne sera pas facile. Et puis, peut-être que Florence est sincère ? Tu l’as aimée, tu l’as vue être leur mère, tu crois qu’elle ne l’est pas ?

— Je croyais qu’elle était sincère quand elle me disait qu’elle m’aimait alors qu’elle était déjà en train de me tromper avec son Patrick. Comment veux-tu que je juge objectivement son comportement et ses propos aujourd’hui ? En tous cas, je vais envoyer un message à ma mère pour la prévenir. Et qu’elle les informe demain avant d’arriver que leur mère est de retour.

— Je ne sais pas… Tu as raison, je ne peux pas vraiment te contredire, on ne peut pas dire que je sois tombée sur plus sincère, rit-elle tristement en glissant ses bras autour de mon cou. Quoi qu’il arrive, tu es là, à leurs côtés, et ils savent qu’ils peuvent compter sur toi.

C’est vrai ce qu’elle dit et j’ai aussi l’impression que quoi qu’il arrive, elle sera aussi là à mes côtés et pour ça, je crois que je ne pourrai jamais assez la remercier. Nous finissons notre petit repas improvisé à deux sur la terrasse à évoquer cette question des enfants et de la façon dont ils vont recevoir leur mère. Quand nous avons terminé, je suis soulagé de voir que ma femme n’est plus dans les parages. Nous faisons la vaisselle à deux avant de nous rendre dans la Tour pour continuer à travailler sur la traduction du livre trouvé dans le souterrain. Pour l’instant, il y a beaucoup de descriptions mais peu de noms. L’intérêt de rechercher à qui a pu appartenir cette armure, c’est que l’on en oublie le reste, tous ces petits soucis qui rendent le quotidien lourd et pesant. Là, quand je suis avec Miléna dans mon refuge, que nous sommes tous les deux en plein travail d’équipe, je ne peux que me calmer vraiment. A chaque fois que je me redresse et que je la vois se consacrer à cette tâche, mon cœur bondit dans ma poitrine et je finis souvent par l’embrasser, ce qui a l’air de lui faire énormément plaisir. Au pire, si je n’arrive pas à me débarrasser de ma femme, peut-être que nous pourrions emménager dans cette tour ?

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