Bob puait la merde

7 minutes de lecture

Bob puait la merde.
Enfin.
Ce n’était pas exactement Bob qui puait la merde, quoiqu’on puisse questionner les relents graisseux qui suintaient de ses pores, depuis trop longtemps rendus paresseux par le climat clément de son pays. Non non, cette odeur précise qui évoquait cette bauge qui aurait due être récurée minutieusement à la brosse à dents – SPLASH – ou le sillon interfessier (terre oubliée par le jour, paradis de poussières, miettes, et autres poils de cul) du camionneur qui venait de l’asperger, véritable giclée, de l’eau boueuse d’un caniveau noyé. C’est cette odeur-là qui avait choisie nos narines pour hiberner au chaud.
Mais Bob n’en avait pas grand-chose à foutre ; il pataugeait dans une fange qu’il avait fait sienne depuis longtemps ; à un tel point que sa seule inquiétude était de pouvoir continuer à progresser.

Bob plongea ses mains dans les poches exigües du pantalon, s’efforçant à ignorer les schlicks, et autres sploshs qui s’en échappaient pour résonner dans la rue nocturne. À la lumière des lampadaires, il caressa nerveusement du bout des doigts sa seule richesse :
Un crayon, si beau, si joli, qu’il ne pouvait être sorti de la gueule nauséeuse des fabriques sans âme, où tout se ressemble. Non, c’était bien l’usinage d’un orfèvre sans pareil ; il en était convaincu. C’était son Précieux.
Son cœur chantait sa grandeur : c’était un Trait raide, dardant vers Séléné des désirs, desseins et destins d’une sereine attention.
Il reconnaissait sur Ses contours l’usure d’une poigne amoureuse, une tenue ferme qui des termes vains avait jutée, crachée sur le papier. C’était là sa vision pétrie d’une certaine pédanterie, qui nourrissait son Idole.

L’odeur se fit désagréable. Plus pondéreuse, plus poisseuse.
Il leva les yeux, il avait quitté le bord de la route sans nom pour se retrouver, sans réfléchir (ce qui ne changeait pas grand-chose à ses habitudes), dans la vicinité de grands bâtiments. D’ocre et de mousse ; il n’en restait plus que des gravats oubliés.
Leurs immenses gueules de fer grimaçaient de langues rouillées, éraillées, d’où étaient sortis, sans doute, peut être, et qu’en sais-je au final ?, une myriade de conserves ; enfants en fer, engeances des enfers.

Un sourire se dessina, c’était bien là la première fois que le bougre se perdait ; il avait osé, malgré lui, sortir de son cocon folichon mais, soyons honnêtes, sacrément cruchon.
Ses pieds pataugèrent de mare en mare, avec innocence, sans jamais perdre patience.
Les saucisses qui lui servaient de doigts prenaient un plaisir pataud à pouiller chaque pierre, chaque cavité, dans l’espoir d’y déceler des sensations nouvelles.
Les rideaux que la pluie dessinait faisaient sonner plus fort leur clameur sur les vieilles toitures de tôles et tuiles ; entonnent l’Automne ; le bougre se rua dans une vieille goule de fer, se mettre à l’abri entre les murs de briques.

Un fumet vint le titiller. Du carton, de vieilles planches, et peut-être quelques magazines galvaudés nourrissaient la flamme malade d’un foissier hors d’usage.
Bob vint s’y réchauffer, profitant de ce deus ex machina du pauvre pour marquer une pause bien méritée.
Ses doigts roulèrent de nouveau sur son Précieux. Il réfléchit, contemplant les reflets feux sur le lustre de l’objet, à tout ce qu’il allait bien pouvoir graver avec. Des souvenirs par là, des images par ci ; tout ce que ses sens avaient goûtés, tout avait une chance d’être sauvé de l’oubli. Peut-être écrire sur le goût de la terre ? Ou l’odeur de l’eau ? Ou bien encore le bruit de la châtaigne ? Si ce n’est…

« Eh toi ! »

Bob leva les yeux. La confusion lui donnait cet air idiot, celui du pochard à qui on demandait l’explication du théorème de Stone-Tukey. Mais malgré cette stérilité, il faisait de son mieux pour scruter à travers les langues de l’âtre, inspecter la pénombre de la pièce.

« Qu-qui est là ? »

Il n’était pas rassuré. C’est ce que sa vessie à bout de force lui murmurait.
Alors il bafouilla quelques pensées magiques, sait-on jamais, c’était certainement le vent qui se mettait à lui parler, rien de trés surprenant n’est-ce pas ?
N’est-ce pas ?…

Bob puait la merde.

Un type boiteux s’extirpa de l’obscurité, faisant glisser ses semelles sur le béton brut, et ses ongles sur la rouille.
Son sourire sardonique, sinistre !, s’imposa à Bob. Il n’avait qu’une dent !

« Ton fiac est posé à côté d’mon feu, tes pieds dans ma soupière. »

Bob baissa les yeux, en effet, quelques feuilles de papiers journaux tâchés de sauce étaient collées à ses bottes.
Son visage se décomposa en une mine confuse.

« Pardon … ?
- Pardon ? Non non, mon bonhomme, cette vaisselle qu’t’as ruiné, i’ va falloir plus qu’une excuse !
- Mais, je n’ai pas grand-chose…
- Tes godillots, ‘sont sympas. Et c’gilet semb’ pas trop troué. »

Son sourire était évocateur, et Bob n’était pas cogneur. Il défit ses effets, et les lui jeta.
Bredouille, il rongeait son frein ; il voulait partir, courir, fuir loin d’ici.
Instinctivement, il posa sa main sur son Crayon, le gardant bien en poche ; mais s’il lui manquait des dents, le clodo finaud avait l’œil aiguisé.
Il lui agrippa le bras, et mit en évidence l’Objet.

« Opala ! C’est-ti pas génial ?! Zieutez-moi ça ! Ça brille, c’est lourd, c’est… »

D’abord tout sourire, son euphorie s’évapora, séchée par le Soleil qu’il tenait en main.
Il scruta, retourna le Crayon dans tous les sens, laissant grandir l’inquiétude de Bob.

Puait la…

« … Merde. C’est d’la merde. Un pauv’ bout d’bois tout éculé ! T’as pas l’droit de m’voler ! Tu va m’le payer ! »

Les yeux de Bob restaient braqués sur le Trésor.
Ils ne Le lâchèrent pas lorsque le clodo leva le bras avec théâtralité.
Pas plus lorsqu’Il tournoya avec drame dans les airs.
Et Y restèrent rivés alors qu’Il plongea dans la gueule affamée, où les flammes en firent son linceul.

Le cœur de Bob venait de s’effondrer, de la même manière qu’un point bien senti sombrait sur son visage.
Et de la même manière que ses rêves volaient en éclats, des fragments de dents s’enfuir de sa bouche rejoindre un monde qu’elles espéraient meilleur.
Si cette torgnole faisait un mal de chien, elle avait le mérite de réveiller le détroussé, qui se releva en douleur.

Quoi faire ?
►Avoir peur ? ☑
►►Se faire dessus ? ☑

Bob puait la merde.

►►►Réfléchir et chercher une sortie ?

Derrière la brute, il y avait de la lumière. La sortie.
Bob n’attendit pas une seconde de plus, il se rua sur le clodo, le renversa, et fusa vers l’extérieur.

Ses jambes se gonflèrent, saturées d’un sang faignant, et coururent, coururent, coururent, coururent, et coururent à avoir la certitude d’être perdu.

La pluie n’avait pas cessée.
À poil, souillé et trempé, Bob avait les pieds dans l’eau, la boue jusqu’aux couilles.
Mais Bob s’en contrefoutait de patauger dans la fange, ça n’avait plus aucune importance ; il n’avait plus sa Richesse, son Trésor.
Son Crayon.

Il vogua, égaré, pendant des heures ; la Lune se couchait loin derrière des pinèdes dressées et humides. Pinèdes qui léchaient un trou bien sombre, certainement habité par quelques âmes sans grande prétention.

« Putange Pont-écrepin », annonça un panneau. Un nom que l’on imagine convenir trés vite à une population dont l’amour familial est trés fort.

S’y enfonçant, Bob décela là-bas au loin une lumière fuir d’une chaumière. Comme un vieux papillon de nuit, il s’y dirigea, passant sur un pont vétuste qui enjambait la Baize, rivière qui portait des rires fous, du genre stridents, qui semblent s’étouffer, comment dit ont déjà ? Rire comme une baleine ? Un phoque ? Un Bonobo ?
Bob ne posa pas un regard sur le faubourg qui jonchait le bord du chemin, plongeait dans le noir de l’abandon. L’oreille attentive entendrait les sanglots silencieux, les fantômes esseulés.
Ses pas s’arrêtèrent juste en face du porche.
De curiosité, il s’approcha un peu, et la porte s’ouvrit. Il pouvait tâter l’atmosphère confortable qui se jetait sur lui, le ballottait, pauvre fagot brûlé. Il pouvait sentir les senteurs vieilles et nouvelles de l’audace, de la découverte, de la pudeur ; délicat cocktail qui l’enivrait avant même la réalisation.
Flegmatique, une forme s’affaissa sur une poutre. Elle étudia le traîne-misère de la tête au pied ; le visage contusionné à la difformité ; plus dégouttant qu’un chien errant et transi jusqu’aux os ; il n’y avait pas grand-chose à sauver.

« T’as l’air un peu perdu toi.
- Euh… Je ne sais plus trop où je vais. Je… Je me suis juste arrêté à cause de la lumière… Mais je repars ! »

Un bras se tendit vers l’entrée, le suspendant dans son élan, l’invitant à rentrer.

« Allez, on ne fait que commencer, il y a des petits fours juste à côté de la cheminée. Oh… Et tu auras besoin de ça. Les pratiques sont spécifiques ici. »

Au creux de la main, un crayon de bois, vierge de toute expérience, l’appelait. Il le saisit tout sourire.

Bob puait la merde.

Mais il avait peut-être trouvé un endroit où s’arrêter.
Une maison.
Sa maison.

« Bienvenu ! Fais comme chez toi ! »

Et tout en refermant la porte derrière eux, elle se permit un dernier mot.

« Juste une chose, quel est l’animal qui te définit le mieux ? »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Scribopolis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0