Chapitre trois : Découverte ou souvenir ? Écrit par Katia Dericke

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Chapitre trois : Découverte ou souvenir ? Écrit par Katia Dericke


Elle se retourna un instant et vit les montagnes tellement hautes qu'un sentiment d'appréhension l'étreint soudain. Je me sens tellement petite, pensa-t-elle. Une fourmi de plus dans cet univers. Les sommets que dame neige avait généreusement pourvus semblaient vouloir se replier et fondre sur elle. L'oppression s'accentua encore un peu et son coeur battait à tout rompre dans sa frêle poitrine.

Où suis-je demanda-t-elle à l'homme qui la filmait et l'écoutait à travers casque et micro ?

En Suisse, c'était ta prochaine étape sur ta liste de souhaits.

La Suisse ? Y suis-je déja venue ?

Je l'ignore, tu m'as engagé pour t'accompagner et te filmer à travers tous ces merveilleux pays. Vivre une dernière fois avant que les rivages de ta mémoire ne cèdent complètement.

Je me souviens vaguement, tout est tellement flou. J'ai peur

Je sais.

Et il lui tendit la main. Elle l'accepta et ils restèrent ainsi un très très long moment, se connaissant à peine mais réuni dans une connivence qui n'était pas factice. Désormais et pour une courte période, leurs destins étaient liés, lui le cameraman qui avait accepté de relever le défi et elle, la pauvre femme fragile, vacillante, dont la mémoire disparaissait par moments et revenait ensuite à d'autres, elle qui savait qu'un jour, elle se réveillerait comme une page blance, aussi blanche que dame neige. Elle qui redoutait cet instant où plus rien ne serait familier, où plus rien ne pourrait lui rappeller quoi que ce soit. Laisser une trace, pensa-t-elle, une empreinte éphémère dans la blancheur du temps.

Elle le dit à haute voix..

C'est joli ce que tu dis là. Souhaites-tu le répéter, je n'étais pas en train d'enregistrer

Répéter quoi ? Demanda-t-elle avec un rictus mi triste mi en colère ? Tu sais bien que ma mémoire immédiate défaille. Je ne me souviens déjà plus.

La mémoire immédiate sera atteinte en premier avait dit le docteur, d'un ton docte et professionnel....

Elle connaissait la suite de son discours, ça, elle n'avait pas pu l'oublier. Un matin, elle se réveillerait comme une page blanche et plus rien de ce qui la retenait à ce monde n'existerait. Elle serait enfermée en elle-même jusqu'à ce que son corps lâche et que les battements de son coeur s'arrêtent à tout jamais. Ca pouvait durer des années, emmurée en elle-même. Déjà les mots s'effaçaient petit à petit, les mots qu'elle avait toujours aimés. Ceux qu'elle avait murmurés au creux d'oreilles sensibles, amicales, aimantes, ceux qui l'avaient laissée bouleversée sur le bord d'un chemin ou dans une chambre d'hôtel, ceux qu'elle avait écrit en lettres de feu dans ses jeunes années.

Allons, tu sais bien que tu as encore le temps avant tout ça

Et quand sais-tu, lança-t-elle, ,amère et désemparée. Je suis encore jeune, j'ai déjà bien vécu mais j'aurais voulu plus, plus, plus et encore plus...

Les larmes perlaient au coin de ses cils délicatement maquillés. Comme des gouttes de rosée au petit matin sur la plus belle des roses.

Alors il lui prit à nouveau délicatement la main tant elle lui paraissait frabile et ils restèrent ainsi tous les deux. Si les mots devenaient trop faibles, alors il restait le doux contact d'un autre, la caresse d'une main amicale. Ils ne se connaissaient pas depuis longtemps mais il avait accepté ce job un peu bizarre, suivre cette femme, abîmée par la vie dans un tour du monde un peu déjanté. La filmer et la regarder, l'écouter et l'enregister pour que chaque minute du reste de sa vie soit désormais accessible au monde entier. Il avait créé un blog et les résultats dépassaient ses espérances. 3 millions de vue en deux jours et ça ne cessait de grimper. Elle était émouvante, triste et joyeuse, abattue ou jouette, les mots commençaient à lui faire défaut mais il s'était attaché à sa silhouette gracile, à son incommensurable appétit de vivre. Savait-elle où elle était, où l'avait entraîné ses pas?. La liste avait été mise au point par sa famille, ses parents, son mari et ses enfants encore petits. Elle les avait laissés pour vivre cette folle aventure. Parcourir ce monde avant qu'il ne soit trop tard, demander aux autres le chemin des mots qu'elle ne réussissait plus à cerner, transmettre, et dire que vivre passait avant tout, vivre jusqu'au bout, même si le destin était plutôt moche avec elle.

Elle respirait doucement à présent, comme apaisée, comme suspendue entre les montagnes courbées qui l'ensserraient et cette main bienveillante qui tenait la sienne. Etait-elle déjà passée par ici, pourquoi avoir ajouté ce pays dans sa liste. Elle ne se souvenait plus et ça ne ferait qu'empirer. Elle lança une prière muette vers le ciel.

Laissez-moi encore un peu de temps s'il vous plaît, laissez-moi encore quelques mots pour exprimer toute la beauté du monde.

La cameraman repris son rôle et l'observait désormais à travers l'oeil inquisiteur de la caméra. Il saisait l'instant magique où toute sa fragilité était à la fois sublime et tragique.

Et le nombre de like augmenta encore

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