CHAPITRE 1 - Rétrospective

4 minutes de lecture

21 novembre 2014 - 7 h 30 environ

En ce matin morne et frileux où le ciel nerveux perpétrait depuis la veille au soir ses épisodes pluvieux, Marguerite Dussart, l'infirmière de jour, avait entamé sa tournée de soins. Comme à son habitude, elle avait commencé par la patiente à l'état de santé le plus préoccupant. Il s'agissait de Caroline Martin, une jeune femme particulière et déterminée qui, depuis plus d'un mois refusait de parler et de s'alimenter. Une jeune femme qui dépérissait à vue d'œil, s'affaiblissait chaque jour davantage et lui causait du souci.

Comme d'habitude, l'infirmière avait poussé la porte de la chambre avec son chariot roulant. Le sourire aux lèvres, elle avait claironné :

— Bonjour madame Martin ! C'est Marguerite !

Comme d'habitude, Caroline ne lui avait pas répondu. Et comme d'habitude, l'infirmière n'en avait fait aucun cas. Elle s'était attelée à prendre sa tension en discourant sur le temps qu'il faisait. En l'occurrence ce matin là, elle avait pesté contre la pluie avant de rajouter " Madame Martin, vous êtes le rayon de soleil qui égaye ma journée ". Ces paroles positives s'incluaient dans le traitement de la malade. Sur ordre de sa hiérarchie, Marguerite devait l'encourager quotidiennement, mais elle le faisait aussi par affection et empathie. Une empathie en lien avec sa fille Alicia qui avait le même âge que sa patiente, mais avait aussi souffert d'une dépression sévère. C'était il y a deux ans. Deux ans déjà... Triste période où Marguerite avait souvent tremblé et cru perdre son enfant, hantée par le suicide. Et bien qu'aujourd'hui, Alicia ait repris goût à la vie, Marguerite continuait d'être inquiète pour sa fille restée fragile. Oui ! Mère et fille n'étaient pas sorties indemnes de cette épreuve. Depuis, Marguerite qui avait été touchée au plus près par la détresse de son enfant, était particulièrement sensible aux jeunes femmes au bord du gouffre.

Et tandis qu'elle riait en racontant à Caroline sa péripétie matinale – elle avait marché dans une énorme flaque d'eau avec ses petits escarpins qui maintenant faisait " floc... floc... " –, Marguerite appuyait sur la pompe du tensiomètre.

— Marguerite... je dois parler au professeur Bernard... avait murmuré Caroline en agrippant sa manche.

Surprise, l'infirmière avait lâché sa pompe. Elle avait regardé la malade accrochée à sa blouse et avait eu besoin de dix bonnes secondes pour réagir.

— Madame Martin ? Madame Martin ? répétait-elle interloquée.

Marguerite n'en revenait pas ! Personne n'avait entendu le son de sa voix depuis des semaines, et c'est à cette heure choisie où la nuit traîne encore que Caroline Martin s'était brusquement, exprimée. Quel choc ! Alors que Marguerite en tant que femme et mère, était à la fois chamboulée et très heureuse, la professionnelle en elle avait contenu ses émotions. Sa longue expérience auprès des souffrants psychologiques lui avait appris à les accompagner dans leurs progrès, si minimes soient-ils, et à ne surtout pas les brusquer par trop d'enthousiasme.

Cependant, Caroline ayant parlé d'une voix presque inaudible, Marguerite n'était pas sûre d'avoir bien compris son souhait. Penchée sur la jeune femme, elle l'avait questionnée à voix basse :

— Vous souhaitez parler au professeur ? Ai-je bien entendu ?

— Oui... le professeur... S'il vous plaît...

Marguerite s'était raidie. Ce genre de demande était plutôt inhabituel de la part des malades. C'était audacieux de solliciter la présence du médecin Chef, le spécialiste réputé et convoité de la clinique. De surcroît, Marguerite savait que le professeur Bernard avait un emploi du temps surchargé. Il n'acceptait de visiter les malades dans leur chambre que très exceptionnellement. Marguerite était très embarrassée. Elle se disait qu'avant de déranger le service du professeur Bernard, elle devait s'assurer que la jeune femme n'accepterait pas une autre alternative.

— Vous savez, je peux prévenir monsieur Dréan, le psychologue du service. Je peux lui dire de passer vous voir. Il le fera, j'en suis sûre. Oui, sans nul doute, il le fera. C'est quelqu'un d'assez disponible et d’extrêmement compétent.

L'offre de Marguerite n'avait reçu aucune réponse. Pas même un hochement de tête. L'œil vide et le teint pâle, la jeune femme n'avait pas rouvert la bouche. En conséquence, Marguerite n'avait pas insisté et s'était soumise à sa demande.

— Vous savez, le professeur est quelqu'un de très réclamé, avait-elle rajouté. Mais enfin, je vais faire mon possible...

Marguerite avait fait une courte pause avant de préciser :

— Je ne vous garantis rien, madame Martin. Mais enfin, je vais faire mon possible...

Sur le visage blafard de la malade, Marguerite avait perçu un battement de paupières et l'esquisse d'un sourire. Ce n'était déjà pas si mal ! Sans rien dire de plus, elle avait pris la température de Caroline et recueilli un peu de son urine pour analyses.

Sitôt ses examens terminés et ses dossiers complétés, Marguerite avait rempli sa mission. De son propre chef, elle avait sonné le branle-bas de combat dans les services concernés, en informant par téléphone l'ensemble du staff gravitant autour du professeur Bernard. Connaissant l'affaire " Caroline Martin " dont les médias s'étaient emparés et suivaient de près l'évolution, l'ensemble des personnes de l'équipe soignante sollicitée se demanda pourquoi la patiente de la chambre 115 qu'on appelait " La gréviste de la faim ", avait soudainement besoin de parler. Pour quelle raison, celle qui était " Sans force et très amaigrie " aux derniers bulletins de santé, voulait s’entretenir avec ce grand spécialiste, qu'à son admission elle avait refusé de voir ?

Persuadés que la malade ne leur laisserait pas de deuxième chance et dans l'impossibilité de joindre le professeur Bernard, ils mirent tout en œuvre pour que l'homme affairé et occupé puisse être dégagé de ses obligations de fin de journée. C'est ainsi qu'à grand renfort d'excuses, de remplacements et de reports d'entretiens, l'assistante du professeur avait réaménagé son planning.

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