I.2 Le Pacte d'Amour

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— Pour ça, ne t'en fait pas, personne ici ne fait attention à ce que je dis.

— Que fais-tu des domestiques, imprudent ?

— À part Niclas, ils ne me prennent pas au sérieux. Or, Niclas est en bas et je veux une réponse. Toutes les fées sont-elles comme tes frères et toi ?

— Nous ressemblons à notre mère. Elle-même ressemble à son père, qui a créé les terrestres à l’image de son corps physique.

— Tu aurais pu te contenter d'un simple oui, dit Simon en reprenant sa lecture.

— Ce n’était pas un oui, le reprit Stolas. Nous ressemblons à notre illustre ancêtre, le Roi Nor, mais toutes les fées de son jardin sont uniques. Il en est de toutes sortes et de toutes formes. En outre, je ne suis pas une fée, mais une mée.

— Quelle différence cela fait-il ? s’enquit son fiancé en glosant son livre.

— Les fées développent parfois des déviances qui changent profondément leur nature. C’est cela qu’on appelle une mée.

— Tu as donc des déviances ?

— J’ai le sang de mon terrestre de père.

— Qu’est-ce que cela fait, exactement ? À quoi le voit-on ?

— C’est… »

Et pourquoi répondrais-je ? réfléchit Stolas.

Parler des travers de son organisme, ou même de ceux qu’il risquait de développer, ne reviendrait-il pas à avouer sa faiblesse, aussi bien au terrestre qui lui faisait face qu’aux dieux qui l’observaient d’en haut ?

Simon Rogue poursuivit son interrogatoire, indifférent à l’état dans lequel ses questions indélicates mettaient le jeune Riordan.

« Qu'en est-il de vos ailes ? s’enquit-il encore. En avez-vous vraiment ?

— Fini tes idioties, ta tante veux nous voir au salon.

— Est-ce un oui ?

— Non, sombre abruti, cracha Stolas avec colère, c'est un fiche-moi-la-paix ! Maintenant, je te prie de me suivre en bas ou je serais contraint de t'y traîner de force par ta saleté de chevelure trop longue ! »

Simon leva les yeux, incrédule. Le pauvre garçon n’était pas encore bien habitué aux mouvements d’humeur de son fiancé. Au cours du mois passé, il avait constaté que derrière son visage radieux, Stolas était de nature extrêmement colérique. Pour autant, il ne savait toujours pas quoi en penser ou comment réagir lorsque que ce défaut se manifestait.

« Comme tu voudras », céda-t-il.

Les deux garçons descendirent en silence pour se rendre auprès du monde. Simon, qui avait repris contenance, arrêta Stolas.

« Ta main », exigea-t-il en tendant la sienne.

À contrecœur, la mée la saisit. Le terrestre et lui avaient un accord : aussi longtemps qu’aucun autre Rogue ne saurait la nature des Riordan et qu’aucun Riordan ne saurait que, par la faute de Stolas, un Rogue les avait percés à jour, les deux familles devaient continuer à penser que leurs héritiers formaient le couple le plus prometteur qui puisse être.

Ce faisant, Stolas payait le prix fort son imprudence de l’été précédent. Sans autorisation, il avait quitté le manoir familial pour flâner dans les bois pendant qu'on le croyait à l'étude. Il avait suffi que Simon soit justement aux Chutes du Mont Impérial lorsque Stolas s'y promenait, que quelque chose attire son attention du côté de l'eau, qu'il ait la fantaisie de courir quelques pas sur l'onde… Il n’y avait pas deux ans qu’il avait appris à marcher sur l’eau ! La seule fois qu’il l’avait fait en dehors de son parc, il avait fallu qu’un terrestre le surprenne !

Même après avoir découvert son observateur, Stolas n'avait pas fait grand cas de l'incident et s'était bien gardé d'en faire mention à qui que ce soit. À la vérité, il l’avait presque oublié avec le temps. Simon s’était chargé de lui rappeler en resurgissant dans sa vie un an plus tard.

Ainsi, le fils Riordan aurait pu refuser de se prêter à l’alliance proposée par les Rogue Il était de mauvais ton d’afficher une union trop forcée dans les sociétés mondaines. Aucune des deux familles n’aurait risqué cette publicité. Seulement, le terrestre avait fait pression sur lui en le menaçant de délation. Pris au dépourvu, Stolas avait cédé sans vraie reflexion en se promettant de rétablir la situation plus tard.

En cela, il avait commis sa troisième et peut-être sa pire erreur. Chaque jour de silence aggravant ses deux premières fautes, il en était à plus d’une saison de dissimulations coupables et de soumission à son maître chanteur. Personne ne devait être en mesure de déceler ce qui, du reste, ne laissait aucun doute pour lui : il méprisait Simon Rogue.

La tante Imogen se réjouit de voir les deux garçons au salon. Adam, son mari, complimenta la beauté de leur jeunesse et celle de leur couple déjà si plein d’amour. Très vite, on en revint à Marnie, sa fête, la mignonnerie de sa robe et la vivacité d’esprit dont elle faisait soi-disant preuve à son âge. Cette dernière exigea que l’on passât à table et fut exaucée.

Malgré une chaleur qui changeait les sorbets en limonade, la journée fut festive. Lorsque Marnie eut soufflé ses six bougies, on passa aux jeux. Plus tard, Il y eut un magicien, un comédien de cirque et une chanteuse lyrique que tous applaudirent avec entrain. Enfin, on migra vers le petit salon où Simon et Stolas jouèrent de façon très scolaire une sonate pour piano et violoncelle. La tante Imogen en fut émue aux larmes.

À deux heures, la petite put enfin ouvrir plus de cadeaux qu’elle n'était capable d'en compter. Cela mis un terme à la célébration. On remercia les convives. C’était au cinquante-neuvième jour du deuxième mois. Marnie Rogue venait d’avoir six ans.

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