Les ombres des choses

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Solitude.

« Il est l'heure de dormir mais le sommeil ne vient pas. J'attends Morphée dans ma petite chambre d'hotel, perchée au centième étage. J'ai des cigarettes et du whisky, mais non, il ne veut pas venir. Bien que je sois toujours seul, je ne m'en suis jamais plaint, à vrai dire. Si on y réfléchit, je ne le suis pas tant que ça, où que j'emporte ma destinée, elle est toujours là, ma fidèle amie, ma compagne de toujours : mon ombre. Je lève mon verre :

- Santé ma vieille.

Et elle me répond. »


Connor décide de ne pas perdre de temps à tenter de s'endormir : autant faire son job. Il sort. Dans les rues, le carnaval bat son plein, musique ethnique et costumes colorés. Il se faufile dans la foule, traverse la place des Morts et se rend rue des Âmes. Sylen est artiste dans le cabaret Marvolo de Jisralmaat. Le cabaret le plus populaire de la cité de la nuit éternelle. La pollution y est tellement dense qu'on ne voit jamais les étoiles, les gens aiment dire qu'elles sont à Marvolo. Le spectacle de ce soir est une satire visant l'empire des Quatre et les Odara.


« La métaphore de la grosse dondon qui se fait entuber par un jeune con. Nous y voilà encore ! Et alors ? Toujours la même rengaine : le jeune lubrique avide et la vieille poule fatiguée de s'engraisser. Y a-t-il un sens à cet existence ? Aucun. Sauf pour nous, petit peuple. Insignifiant. Oublié. Damné. Nous. Nous donnons un sens à cette vie futile : nous réagissons, écrivons, exprimons nos griefs. Nous nous esclaffons, vociférons, arpentons nos fiefs. Nous provoquons, affrontons, brûlons les pavés de nos pas déterminés. Nous fomentons. Elle est en marche. La révolution. Des mots, des genres, des peuples. La révolution. Des astres. L'évolution brutale des idées Ô combien chères à nos cœurs. Liberté. »


Aux côtés du grand Don Reno, la petite Sylen ensorcelait son public par son talent et son génie de la scène. Connor était bluffé par le spectacle. Fort, singlant, le scénario ne manquait pas de saveur. Ponctué de quelques blagues salées, le récit était consternant de vérité. Pertinent. Animé.

« La journaliste de TROLL MAGAZINE devrait leur consacrer un article, que dis-je une rubrique », se disait Connor en fumant sa cigarette à l'entrée des artistes : une petite rue sombre, décorée de poubelles éventrées par les chats errants. C'est un pléonasme, tous les chats sont errants à Jisrlamaat. Connor se tourna brusquement, la poignée de la porte se mit à bouger. Il se sentait fébrile, comme un jeune con, attendant impatiemment sa star adorée.

- Mais qu'est ce que je fous ?!

Il jeta sa cigarette et plongea sa main dans la poche de sa veste pour en sortir son paquet. La porte s'ouvrit, il leva les yeux, Sylen apparut.

- C'est vous Connor ?

- Oui. Fit-il nerveux en se collant une clope au bec et commença à gesticuler pour chercher son briquet. Sylen s'approcha de lui.

- Vous pouvez m'en donner une s'il vous plait ?

- T'es pas un peu jeune pour ça ?

- J'ai plus de trois mille ans.

Connor laissa tomber sa cigarette. Le choc, sans doute.

- Bon sang, t'en fais à peine quinze !

Sylen s'apprête à se baisser, mais Connor la retient par le bras.

- Non, arrête, c'est dégueulasse par terre.

Il lui tend son paquet, elle se sert, lui aussi.

- Bon ce briquet.

Sa cigarette s'allume. Celle de Sylen aussi. Elle tire une bonne bouffée et ferme les yeux, sourire aux lèvres, puis les ouvre et le regarde. Pyrokinésie. Connor fronce les sourcils.

- Non. Ce n'est pas moi. J'aurais pu éteindre cet incendie, mais un sort a dû me bloquer. Nous vivions cachés. Quelqu'un nous a forcément vendus.

Une larme perla sur la joue de la petite. Connor la prit dans ses bras. Pourquoi faire ça ? Il ne la connait pas. Il se méfie des originels. Il se méfie de tout le monde. « Trois mille ans et toujours saine d'esprit », se dit-il en lui caressant les cheveux.

- Tu as quelque part ou crécher ?

- Non je dors au cabaret en ce moment.

Il fouilla dans sa poche de pantalon et en sortit l'éléctro-clé de sa chambre d'hotel, qu'il tendit à la jeune femme. Elle le regarda, surprise. Connor ne fait jamais ça : faire confiance à quelqu'un. Mais si la légende dit vrai sur l'empoisonnement des cœurs des êtres de Chimeron, Sylen semblait être la seule à avoir gardé son âme intacte.

" Metell, un originel des contrées du centre, domaine d'Umdao. Ce nom revient souvent lorsque j'interroge les gens qui ont entendu parlé de l'incendie du 13 Medony. Ce gars à la réputation de se prendre pour un maitre des âmes. Il veut réduire l'humanité en esclavage. Je lui souhaite bien du courage ! Ces crétins sont tellement imprévisibles et sournois. J'en parle comme si j'appartenais à une autre espèce. Non, je suis humain et tout aussi crétin, imprévisible et sournois. Un originel d'Umdao n'a rien à faire chez Marwolaeth et pourtant tous les témoignages concordent : Metell était à Jisralmaat.


J'y pense, une déité et un humain là, personne ne dirait rien, elle sont trop puissantes, quelle hypocrisie.


Je prends ma navette pour me rendre au squat. Le corps calciné du jeune Desmond, git encore dans les débris noircis par le feu. Personne ne le réclame. Personne n'honore sa mémoire. Il n'a jamais existé. Perdu à jamais dans le cœur de Sylen. Il y a un bout de gazon à côté, j'y creuse un trou assez profond pour y enterrer la dépouille. Il aura, au moins, une sépulture sur laquelle Sylen pourra se recueillir. Ce n'est pas Metell le tueur, j'en ai la confirmation, maintenant. Un détail somme toute insignifiant, à première vue, mais qui en dit long. L'origine du feu était au cœur de la maison. Le foyer. Comme si elle était vivante. Le foyer. Comme si elle était née par le feu. Et inscrit sous le corps de Desmond : « Toi, enfant des cercles de la damnation, jamais plus âme innocente tu ne corrompras. Nul ne t'aimera plus. » Ce que ça veut dire, je n'en sais encore rien, mais je suppose que tout ceci est une mise en scène. Accuser les intolérants pour détourner l'attention de la réelle source de cette injustice.


Je rentre à l'hôtel. En entrant dans la chambre je trouve Sylen recroquevillée, par terre, au milieu de la pièce. Je la prends dans mes bras et la couche dans le lit. J'ai pris une chambre avec une grande baie vitrée. J'aime les baies vitrées. La vue est incroyable : cent étages, ça change la donne. Une hydre vient de se poser sur le toit du building d'en face. Quelle beauté ! Jisralmaat est une cité incroyable. J'entrouvre la fenêtre pour me fumer une clope sans déranger mon invitée. Je passe une jambe par dessus le rebord. J'aime cette sensation d'être suspendu au dessus du vide. Je vois soudain un bras fin, la peau bleue, me passer sous le nez : Sylen me prends ma tige et tire une bouffée.

- Je l'ai enterré.

- Merci.

Nemesis. Je finirai bien par trouver. "

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