Ailleurs, Ici, Maintenant

8 minutes de lecture

Cela faisait longtemps qu’ils parcouraient le sentier sinueux où ils avaient fait maintes rencontres et vaincu cent périls. Ils étaient fatigués cependant, ils avaient envie de trouver la route. Ils avaient envie de retrouver un peu d’air que ces montagnes autour d’eux ne laissaient guère passer. Il y avait bien eu des éclaircies : le sentier était monté parfois jusqu’aux cols, ils avaient pu voir l’horizon, se rappeler le soleil, la caresse du vent, l’odeur des arbres… Car une fois qu’ils descendaient, tout cela s’éteignaient pour leur laisser l’écho de leur pas sur la roche nu qui les entouraient et les surplombaient, comme s’ils avaient été dans la croute de la terre, l’entre deux, entre son cœur et son esprit. Ils avaient tant appris. Ils ne regrettaient rien, ni n’étaient trop pressés. Seulement dans leur tête les choses s’éclaircissaient à mesure qu’ils savaient approcher de la fin de ce parcours. Ils allaient quitter cette terre rude qui leur avait tant apporté. Ce n’était pas sans chagrin qu’il se projetait de la quitter. Et en même temps l’espoir ne les quittait pas, l’espoir de lendemain qui chante dans les hauts plateaux où le soleil baignait les fruits de lumière, gorgés d’énergie et de saveurs ! Ils tendaient et aspiraient à autre chose, à regagner les hauts pour s’élever en matière et en esprit. Aller de l’avant pour construire. Pour s’aimer et s’épanouir, conscient des souvenirs qu’ils les avaient grandis. Ils ne laissaient pas que quelques pierres et de la glaise froide sur ce sentier. Tout un pan de ce qui les avait construits se trouvait ici. Simplement, c’était finit. Dans quelques pas, ils seraient à la surface, plein de ce qu’ils avaient vécut pour vivre encore, différemment, pleins d’avant et de maintenant. De demain aussi, certainement. Il ne restait que quelques kilomètres à parcourir, encore un peu de patience et ils y seraient. Malgré son état, Psymio avançait courageusement, ralentissant un peu le groupe, elle continuait de marcher coûte que coûte. Finalement Olaf lui avait annoncé qu'elle n'était pas malade, en vérité elle attendait un bébé. Psykren, dont le visage rayonnait depuis la nouvelle de sa future paternité, était plein de douceur, de tendresse, de patience, son aimée lui en était reconnaissante, agréablement surprise, ses yeux illuminaient de joie, d’amour et de gratitude. Olaf se réjouissait de voir sa fille épanouie et aimée malgré tous les obstacles, toutes les épreuves qu’elle avait surmontées, elle avait été fidèle à elle-même, et aujourd’hui elle était sur le point d’accomplir ses plus grands rêves. Seulement le temps était contre eux et bien d’autres choses… Particulièrement Yavol, il cherchait sa poupée et avait tous les moyens pour lui, ils étaient dans son Plan, il y avait tous les pouvoirs, undüs et élémentaires. La petite famille en cavale était en danger tant qu’ils seraient ici, pour les en sortir Olaf les menait à la béance qui menait à un autre plan : celui de Paloma. Sa si puissante et belle alliée, la mère de sa fille, avait du génie, surtout quand il s’agissait de créer par amour. Il espérait apercevoir la béance à tout instant, Paloma les y attendait, et il savait qu’ils étaient tout deux aussi avides de savoir leur fille, l’homme qu’elle aimait et leur enfant en sécurité. Même plus, serein de leur avenir, prêt à construire un nouveau monde dont les seuls dictats seraient leurs cœurs. Olaf leur décrivait l’endroit au moment de pause, il leur parlait des arbres, des clairières, des prairies, des rivières… Psykren y imaginait une cabane avec un atelier où il rangerait ses outils, Psymio un potager, des plantes médicinales, concoctant des baumes et des potions pour guérir, apprentis sorcière, et du temps pour écrire, peindre, danser. Et ils construiraient ensemble leur maison où grandiraient leurs enfants. Au bout du quatrième jour, alors qu’ils allaient s’arrêter déjeuner, le premier dirigeable à grande vitesse se fit apercevoir. Ils se cachèrent entre les buissons et les roches, seulement ils ne pouvaient être certains de ne pas avoir été vu. Une fois qu’ils furent sûrs que le dirigeable était partit, ils accélérèrent le pas. Au bout de quelques mètres, deux dirigeables vinrent sur eux et restèrent en stationnaire quelques secondes avant de repartir d’où ils étaient venus. Le vent se leva, et la pluie se mit à tomber tellement fort qu’elle fouettait violemment leur peau nue. Persuadé d’être à deux pas de la béance, Olaf secoua les troupes pour continuer au pas de course. Une voix se fit entendre dans l’orage « si tu te rends, je laisserai ton enfant ». Psymio hurla et tomba au sol. Psykren devint livide et se précipita auprès de sa femme, lorsqu’Olaf les rejoignit, du sang coulait sur les cuisses de la jeune femme. « Il attaque le bébé ! » Hurla-elle, pleine de rage et de désespoir. Psykren se leva regarda le ciel, à la recherche de quelque chose à atteindre, il trouva un arbre mort où il enfonça violemment son poing…

***

« Paloma !

- Pas maintenant ! Elle suait, sa respiration était rapide et saccadée.

-Madame, votre sœur…

- Doit partir ! Dit-elle en se tournant vers l’homme, les yeux brûlants. Elle doit s’en aller et tout de suite !

- Mad…

- TOUT DE SUITE ! L’homme sursauta et partit. Paloma se tourna à nouveau vers le bonzaï, un érable au bois blanc aux feuilles rouge sang se tenant au-dessus d’un bassin d’eau argentée, et reprit sa concentration. Elle devait trouver un moyen de les aider, trouver Yavol et le déstabiliser. Il devait être dans son propre Plan, mais elle n’arrivait pas à le localiser. Elle avait entendu sa fille hurler, dans la seconde elle s’était précipitée ici pour faire le vide et mettre en action son pouvoir. Le bébé était protégé à présent, mais sa mère était faible, son homme la portait alors que le vent et la pluie étaient de plus en plus violents, parfois glaçant pour que le blizzard blesse jusqu’au sang. Paloma voulait voir cet être mort ! Elle savait que c’était lui qui avait fait enfermer sa petite sœur, elle savait que c’était lui qui avait révélé la faute de Merkhan, que c’était lui qui avait poussé Meneallem à se suicider et son fils à devenir fou. Il parlait d’amour, cela lui donnait envie de vomir. Pourtant, avait-elle des leçons à lui donner ? Chacun faisait de son mieux, seulement il avait attaqué sa famille, ses amis, et maintenant son enfant. Elle ne pouvait pardonner d’avantage, il lui fallait le voir mort, hors d’état de nuire. Elle palpa tous les espaces, toutes les sphères, pour le dénicher dans n’importe quel Plan. Elle y mit toute son âme et son amour pour Psymio, toute sa rage de la voir vivre, même sans elle. Et elle y parvint, elle trouva son aura dans le plan des Epanheul, dans la plus grande ville, caché dans un bar à chicha, elle sentait même l’odeur du hashish. Elle lâcha la bride de son pouvoir et la ville trembla de partout, les murs s’effritèrent, les sols s’ouvrirent, les toits s’effondrèrent : des arbres poussaient à une vitesse phénoménale et terrassait tout sur leur passage, empalant parfois des humains. Elle savait qu’elle aurait à répondre de ses agissements, mais pour le moment, elle devait atteindre sa cible qui déviait ses attaques. Elle frappa, frappa encore, chaque coup faisait grandir un arbre à vu d’œil qui montait jusqu’à plus de cents mètres, les branches, les feuilles, poussaient en déchiquetant tout. Enfin Yavol hurla, un arbre s’enfonça dans son pied et grandit. Il fit de son mieux pour sauver son corps, ses pouvoirs tentaient frénétiquement de le conserver. Le résultat fut très satisfaisant pour Paloma : Un arbre immense avait fondu en lui le visage et le corps souffrant de son ennemi. Il n’était pas tout à fait mort, mais pas tout à fait en vie. Dès lors, Psymio, Psykren et Olaf virent le ciel se dégager, la pluie s’arrêter et le vent tomber. Ils n’en croyaient pas leurs yeux, restant un moment immobile, mais un gémissement de Psymio les fit reprendre leur course. Ils n’eurent pas à aller bien loin, la béance fut là. Olaf eut les larmes aux yeux et se tourna vers le couple : « Voilà, c’est ici ! Entrez ! Entrez chez vous ! ». Ils obéirent. Ils sentirent plus qu’ils ne virent la béance, une subtile anfractuosité dans l’espace temps qui les électrisaient. Paloma attendait, fébrile. Sa fille était là, à quelques mètres d’elle. Elle la voyait à présent, son visage, ses yeux, son expression pressée, effrayée et heureuse à la fois. Ils avaient réussît. Ils étaient arrivés à bon port, dans un lieu où ils seraient en sécurité, à même de vivre et de s’épanouir. Ils pouvaient arrêter de courir. Finit la fuite et ses instabilités angoissantes. La terre promise était là, sous leur pied. Psykren détailla le lieu, les yeux écarquillés par l’émerveillement. Psymio n'avait d'yeux que pour elle.

« Alors c'est toi ? Finit-elle par demander alors que Paloma restait aussi immobile que muette.

- Oui… souffla a-t-elle enfin, la gorge douloureuse d’émotion. Psymio la regarda encore, cette étrange beauté, cet être si différent et si semblable à présent, était sa mère.

- Je comprends que tu éprouve de la colère, je sais aussi que tu éprouve de l'amour. Le mien grandit chaque jour depuis ta naissance, parfois happé par le remords.

- Pas de regrets alors ? Demanda durement Psymio. Paloma déglutît.

- J'aurai adoré être ta maman. Seulement cela ne se pouvait d'une quelconque manière. Je t'ai regardé grandir de loin. Tu es devenue une femme magnifique, tellement forte et courageuse. Non, je n'ai aucun regret. Je t'aime depuis que je t’ai désiré et cela durera jusqu’à la fin des temps. Et tout ce que j'ai fais, c’était par amour pour toi. Tu es ce qui compte le plus depuis que je te sais de ce monde. Olaf et Psykren s’était un peu éloignés et semblait juger du temps qu'il faudrait au groupe pour rejoindre le bocage des visages.

- Tu m'as manqué, à chaque instant.

- J'ai toujours été là… Tu m’as ressentie n'est-ce pas ? J'ai toujours été là et je serai toujours là. Soudain Léo se souvint, de son séjour brumeux et de cet envolée qui avait bien faillit l’emporter.

- C’était toi ? Ce jour là à l’hôpital ?

- Je t'ai nommé Éva. Ils t'ont baptisé Léopoldine. Tu portes un autre nom encore aujourd’hui. Mais la fragrance de ton âme reste inchangée. À chaque instant, je pouvais te trouver. Tu es ma fille, le fruit d'un amour heureux et pur. J'ai toujours été là pour toi.

- J'ai cru que je ne méritais pas qu'on m'aime, j'ai cru que je ne valais rien. J'ai réussie cependant à me raconter une autre histoire et à devenir celle que je suis, une femme forte et indépendante qui a grandie seule, apprenant à s’aimer seule, à avoir confiance seule. Je me suis guidée, je me suis réconfortée, je me suis protégée. Sans toi.

- Te rencontrer m'a fais beaucoup de peine la première fois car c’est ce que je pensais aussi. Léo, mon absence était nécessaire. Elle fait partie de toi. Pardonne moi, et si tu ne veux pas le faire pour moi, fais le pour toi. Regarde qui tu es aujourd’hui et offre nous ce pardon. Je te le demande. Elle s'agenouilla dans l'herbe, les deux hommes n’étaient plus visibles ou audibles, faisant preuve de discrétion qui finit d'émouvoir la jeune femme. Elle éclata en sanglots.

- Je t'ai pardonné… Maman. Je te pardonne. Je voudrai seulement une chose. Paloma avait les larmes aux yeux.

- Oui ? La voix de Léo tremblait alors qu’elle osait demander ce qui lui avait tant manqué.

- Serre-moi dans tes bras. » Paloma se leva et prit sa fille contre elle. Elles restèrent ainsi, pleurant silencieusement et se réconfortant réciproquement. Le cœur de Léo frissonna sous le froid du baume qui s'étendit ensuite dans tout son corps. Une vague fraîche et salvatrice. Elle guérissait. Sa mère avec elle. La paix naissait. Et toutes deux renaissaient.

Annotations

Vous aimez lire Dune Tanguy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0